Alimentation
L'Isère, recueil de recettes pour manger durable

Marianne Boilève
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Conduit par des députés de la majorité, le collectif Manger durable arpente la France depuis des mois à la recherche d'initiatives professionnelles et citoyennes dans le champ de l'alimentation durable.  Le 25 mars, il était en Isère pour récolter les « possibles » dauphinois.

L'Isère, recueil de recettes pour manger durable

« Permettre aux Français de manger mieux. »  L'idée occupe l'esprit de nombre responsables politiques. Mais comment s'y prendre ? Créé l'an dernier, le collectif de députés "Manger durable" s'est fixé comme objectif de recenser et de diffuser « massivement les initiatives professionnelles et citoyennes qui apportent des solutions en matière d'alimentation durable ». C'est à ce titre que, le 25 mars, Monique Limon et Elodie Jacquier-Laforge ont reçu leurs collègues Graziella Melchior, députée du Finistère, et Jean-Pierre Cubertafon, député de la Dordogne, pour leur présenter plusieurs « réalisations de terrain ».

Echanges avec les jeunes

C'est sous un beau soleil que les élus nationaux ont visité une ferme, un lycée agricole et une cuisine centrale de restauration collective ; pris des notes, échangé avec des jeunes, des agriculteurs, des élus locaux, des responsables de structures et d'entreprise, autant de « possibles » témoignant d'une « transformation effective vers le manger durable », a salué la députée Monique Limon.

Renaissance de la Bergerie des Templier

La visite a commencé à la Bergerie des Templiers, à Saint-Siméon-de-Bressieux. Sandrine Giloz et Jean-François Gourdain ont accueilli le collectif accompagné d'Éric Savignon, le maire de la commune. Les éleveurs ont raconté leur parcours pour arriver à trouver du foncier et remonter une ancienne ferme laitière familiale en exploitation ovine. « A côté, nous faisions des céréales que nous vendions à la coop, explique Sandrine. Mais en 2014, les prix se sont écroulés. Ajoutez à cela des sécheresses récurrentes et une météo catastrophique. C'est ce qui nous a conduits à passer en bio en 2015. »

Paysan boulanger

Dans la foulée, Jean-François est devenu paysan boulanger. En 2017, le couple s'est associé à d'autres producteurs pour ouvrir un magasin collectif à l'aide d'un financement participatif. Une initiative activement soutenue par la commune. « On ne s'est pas trompé, sourit le maire. Aujourd'hui, pour maintenir le commerce de proximité en centre-bourg, il faut se gratter la tête. Grâce à la qualité de ses produits, le magasin a drainé du monde et réussi à ramener de la clientèle qui profite aux autres commerces. » Le confinement et la crise sanitaire n'ont fait qu'accentuer le phénomène. « Merci le Covid ! », lance Sandrine Giloz avec une pointe d'humour. 

Fromage moisi

Cette réussite exemplaire n'est pas un cas isolé en Isère. Après un long échange avec des élèves du lycée agricole de La Côte-Saint-André, les élus ont visité une cuisine centrale privée qui emploie 110 salariés et fournit 20 000 repas par jour à la restauration collective. Son dirigeant, Frédéric Guillaud, a expliqué comment il joue la carte du local en construisant des partenariats forts avec les producteurs. Ses menus affichent l'origine des produits : carré du Trièves, yaourts de la Ferme des Iris, kiwis de Saint-Prim… « Quand les enfants mangent du fromage blanc de la ferme des Essarts, les ventes augmentent de 20 à 25% au supermarché le week-end suivant », s'amuse-t-il. Mais il connaît parfois des revers : « J'ai reçu un jour un courrier d'une mère d'élève qui se plaignait que nous ayons servi du fromage moisi : c'était du bleu du Vercors ! »

Education des enfants… ou des parents?

« Je pense que c'est l'éducation des parents qu'il faut faire », soupire un élu régulièrement confronté au problème. « Les enfants ne sont pas habitués à manger certains légumes, comme la salade ou les betteraves : nous avons des retours de parents mécontents », confirme Gabriel Girard, le maire de La Chapelle-de-Surieu. Idem pour les plats végétariens : ça ne passe pas (Retrouvez les échanges avec les jeunes sur terredauphinoise.fr) . Mais Frédéric Guillaud tient bon. « Ce qui m'intéresse, c'est que les enfants goûtent, revendique-t-il. L'alimentation des humains se joue entre 3 et 10 ans. Si on ne leur fait pas découvrir le salsifis ou la betterave à cet âge, on n'y arrivera jamais plus tard. » D'où l'importance des animations pédagogiques dans les cantines, souligne-t-il. « Nous en proposions, sur le gaspillage par exemple, mais comme il faut faire des économies, on n'en fait plus », reconnaît Dominique Primat, maire de Marcilloles, visiblement désolée.

Soutien des collectivités

Si l'éducation est une des clés d'un « manger durable », encore faut-il parvenir à faire correspondre l'offre et la demande. La restauration collective est une piste, qu'ont empruntée plusieurs acteurs isérois, comme RéColTer ou Manger Bio Isère, grâce au soutien des collectivités, notamment du Département, ou d'entreprises soucieuses de s'engager dans cette voie. Mais il faut aussi toucher les consommateurs qui font leurs courses au supermarché. 

La marque IsHere, un repère

A ce sujet, les députés ont rencontré Geoffrey Lafosse, le directeur du Pôle agroalimentaire de l'Isère, qui leur a exposé la démarche engagée par le Pôle depuis trois ans. L'association regroupe des entreprises (agriculteurs, transformateurs et distributeurs), les trois organismes consulaires et plusieurs collectivités (Département, Métropole de Grenoble, Pays voironnais, Grésivaudan, Entre Bièvre et Rhône). « Le but du Pôle, c'est d'augmenter la part de marché des produits locaux de qualité, au prix juste pour les agriculteurs », a précisé Geoffrey Lafosse. Il s'appuie pour cela sur une marque territoriale qui a pour vocation de « devenir un repère pour les consommateurs ». Après deux ans et demi d'existence, le pari est en passe d'être gagné : la marque IsHere, qui comprend un millier de référence et fédère 120 producteurs agréés, est connue d'un Isérois sur deux.

Autonomie alimentaire

« Comment articuler cette démarche avec la préoccupation des élus de développer l'autonomie alimentaire, quand on sait qu'une agglomération comme Grenoble n'est autonome qu'à hauteur de 1,37% », interroge Elodie Jacquier-Laforge. C'est bien tout le problème. Depuis plusieurs années, un gros travail a été fait pour structurer des filières, développer la production de légumes de plein champ, encourager les installations, mais les succès engrangés sont inégaux. « Nous avons des problèmes de logistiques, mais pas seulement, reconnaît le directeur du Pôle agroalimentaire. Il faut aussi sensibiliser les consommateurs aux enjeux environnementaux de façon à inciter les GMS à développer l'offre. Cela ne suffira pas. Nous avons un très bon accueil de la part des GMS. Ils nous disent qu'ils ne discutent pas les prix. Mais dès qu'on explique que le prix de vente est égal à la rémunération du producteur (1,5 Smic) plus le coût logistique, on est toujours trop cher. »

Juste rémunération des agriculteurs

Monique Limon, qui s'est beaucoup investie dans les États généraux de l'alimentation et leur traduction législative, conclut alors avec amertume : « On voit ce que ça donne avec la loi Egalim : ça a à peu près bien marché les deux premières années, mais ça se passe très mal aujourd'hui. Nous avons une proposition de loi pour aller plus loin. Pourra-t-elle être inscrite au calendrier législatif ? Je ne sais pas. La juste rémunération, c'était quand même la base des États généraux. Ce ne serait dommage de ne pas y arriver. » Les agriculteurs qui manifestaient le jour même à Lyon et Clermont-Ferrand, réclamant« des prix, pas des mercis », ne la contrediront sans doute pas.

Marianne Boilève

Guillaud, traiteur militant
Lors de la visite des élus, Frédéric Guillaud (face) a expliqué que la qualité a un coût… et qu'il l'assume.

Guillaud, traiteur militant

Le 25 mars, le collectif Manger durable, accompagné d'une dizaine d'élus locaux, a visité la cuisine centrale de Guillaud Traiteur, à La-Côte-Saint-André. L'occasion, pour Frédéric Guillaud, de démontrer que la restauration collective peut elle aussi concilier rentabilité, qualité et responsabilité.

« Nous n’avons qu’une envie, c’est de cuisiner. » Dans la mesure du possible avec des produits locaux. En ouvrant les portes de sa cuisine centrale à la délégation du collectif Manger durable, le 25 mars dernier, le PDG de Guillaud Traiteur a clairement revendiqué la ligne de son entreprise : préparer des repas pour 258 communes du département tout en faisant travailler les filières locales. 

Légumes locaux surgelés
 
« Pour moi, le local, c’est une salade cultivée à moins de 80 kilomètres de La Côte-Saint-André », a spécifié Frédéric Guillaud aux élus venus visiter ses locaux. Un quart des fournisseurs correspondent à cette catégorie, et 65% se trouvent en Rhône-Alpes. « Pour la viande, les produits laitiers, on y arrive, a-t-il expliqué. Le point le plus critique, c’est la partie légumes. Pour les courgettes par exemple, on peut s’approvisionner sans problème de juin à août. Mais comment fait-on le reste du temps ? » Après un essai concluant l’an dernier, l’entrepreneur a fini par trouver une solution en partenariat avec Gélifruit. « Nous pourrions fournir des légumes locaux, « cubés » et surgelés, toute l’année, a déclaré Luc Armanet, le directeur général (bénévole) de l’entreprise de Chanas. Nous allons démarrer avec quelques tonnes de légumes cette année. »

Expliquer la logique 

Cette démarche et la qualité qui lui est associée ont un coût. « La question est de savoir combien le producteur doit vendre son kilo de courgette ou son litre de lait pour pouvoir en vivre, a rappelé Frédéric Guillaud aux élus. Mais c’est à moi d’expliquer la logique du calcul aux collectivités. » Les repas du traiteur coûtent entre 3 euros et 3,50 euros hors taxe. « Nous sommes les plus chers du coin, assume l’entrepreneur. Pour tirer les prix vers le bas, il faut jouer sur le personnel. On peut très bien faire de la cuisine sans cuisinier. Nous, on cuisine ! »

Pâtes Saint-Jean et lait de Quincieu
 
Preuve à l’appui : un cuistot est en train de vérifier la cuisson de 30 kilos de pâtes fraîches (Saint-Jean bien sûr) dans une gigantesque marmite basculante qui, le lendemain, mitonnera sans doute « 1 400 litres de béchamel à l’heure » (avec du lait entier du Gaec de Quincieu, souligne Frédéric Guillaud). A côté, une équipe portionne les tagliatelles al dente. Un peu plus loin, une opératrice s’occupe de thermo-sceller les barquettes de parmentier de canard et bœuf qui seront étiquetées avant de partir en livraison. Une organisation efficace, qui permet à l’entreprise de distribuer près de 20 000 repas chaque jour dans des dizaines de crèches, d’écoles, d’hôpitaux ou de maisons de retraite du département et jusque dans la Drôme. 
 
MB