Nuciculture
De nombreux vergers de noyers isérois sont convertis en agriculture biologique

Depuis deux ans, de nombreux nuciculteurs isérois convertissent leurs vergers en bio. Prise de conscience environnementale plus marquée, contraintes accrues et techniques améliorées contribuent à ce nouvel élan.
De nombreux vergers de noyers isérois sont convertis en agriculture biologique

Les motivations sont variées. Les profils des exploitations concernées le sont aussi.

Mais c'est un fait. Nombreux sont les nuciculteurs à s'orienter vers l'agriculture biologique pour la conduite de leurs noyers.

Comme l'indique Ghislain Bouvet, conseiller en production de noix à la chambre d'agriculture de l'Isère, « c'est une vraie tendance. Depuis deux campagnes, de plus en plus de conversions bio sont mises en œuvre par les producteurs de noix ».

Constat partagé par Jean-Claude Darlet, président de la chambre d'agriculture de l'Isère, lui-même producteur à Saint-Bonnet-de-Chavagne en bio depuis dix ans.

« Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans le cas de conversions marginales. Il s'agit d'une réelle filière », expose-t-il.

Une rélfexion personnelle

A chaque exploitation, ses propriétés, son environnement, sa conduite, ses évolutions.

Les raisons de la conversion s'avèrent plurielles et révèlent la diversité des installations.

Pour certains, ce choix repose sur une conviction personnelle. Franck Adiard, installé dans l'exploitation familiale à La Rivière suite à une reconversion professionnelle, n'envisageait pas une autre façon de travailler.

Elle correspond à son mode de vie et aux attentes de ses clients.

Comme Sébastien Renevier, à Tullins, qui a aussi repris l'exploitation de ses parents après avoir travaillé pendant 15 ans dans la biologie médicale.

« La lecture des étiquettes présentes sur les produits phytosanitaires que j'utilisais, une réflexion personnelle en lien avec de nombreux échanges avec mon entourage sont autant d'éléments qui m'ont décidé », explique le nuciculteur.

Travailler autrement

Mais Ghislain Bouvet, très présent au sein du monde nucicole, le confirme : « il n'y a pas de profil type de producteurs qui convertissent leur exploitation en bio ».

Il y a des jeunes. Ceux qui reviennent dans l'agriculture après une première partie de carrière dans un autre secteur d'activité. Et ceux qui s'installent dans l'exploitation familiale après leurs études agricoles et qui lui font prendre ce virage.

Mais il y a aussi des producteurs qui ont plus de 50 ans, qui étaient en conventionnel, qui ont déjà beaucoup fait évoluer leurs pratiques et qui estiment que le passage en bio représente une étape supplémentaire mais pas infranchissable.

Il y a également ceux qui souhaitent travailler autrement et qui voient en cette conversion un nouveau défi professionnel à relever. Et il y a ceux – nombreux - qui font le constat général qu' « entre toutes les restrictions que nous avons sur l'usage des produits phytosanitaires, celle à venir du glyphosate, la pression des riverains, la question se pose avec de plus en plus d'acuité », résume un nuciculteur en réflexion.

Plus-value et coûts de production

La surface des exploitations n'est pas non plus un critère déterminant. Les nuciculteurs qui franchissent le pas travaillent au sein de petites structures. Ou de plus grandes.

L'EARL Jany, qui exploite 70 hectares de noyers à Saint-Marcellin, s'est lancée dans la conversion en 2018.

« Comme nous sommes implantés en plein cœur de la ville, nous subissions pas mal de pression de la part du voisinage. C'est la principale raison qui nous a motivés. Et puis, en termes de respect de l'environnement et de réponse à la nouvelle demande des consommateurs, nous avons pensé que ce serait intéressant », explique Jules Jany, étudiant en alternance dans la ferme familiale.
Si le paramètre économique est inclus dans toutes les réflexions de conversion, il n'est pas considéré comme première motivation.

Pour certains, le passage en bio doit permettre une plus-value.

Pour d'autres, il ne doit pas engendrer de pertes. Raphaël Romey, nuciculteur à Saint-Pierre-de-Chérennes, en conversion depuis août 2019, a pour objectif de « retomber sur ses pattes ».

Car, il faut en être conscient, le temps passé à désherber mécaniquement plutôt que chimiquement et à entretenir les vergers, est plus important qu'en conventionnel.

Quant aux coûts de production, ils se révèlent plus coûteux. Que le prix de vente de noix biologiques soit plus élevé, est donc normal. L'écart doit être accepté.

Un équilibre à trouver

Cette vague de conversion met en exergue les efforts déjà fournis par la profession pour répondre aux attentes des consommateurs et de la société civile.

Les pratiques nucicoles, notamment au niveau des traitements phytosanitaires, ont déjà tellement évolué qu'elles se rapprochent de plus en plus du cahier des charges de l'agriculture biologique.

Sans être aisé, le passage en bio paraît donc plus accessible aujourd'hui.

Selon Ghislain Bouvet, les clés d'une transition réussie reposent sur la conversion de vergers qui ne subissent pas une trop forte pression sanitaire, qui ne soient pas trop denses, et qui soient plantés de variétés AOC, comme franquette, moins sensibles aux maladies et aux ravageurs que sont l'anthrachnose, la bactériose ou le coletotrichum.

De l'avis des producteurs qui se sont lancés, l'acquisition et l'utilisation de certains matériels s'avèrent également incontournables.

C'est principalement le cas de la tondeuse satellite (d'un coût allant de 7 000 à 14 000 euros) qui sert à l'entretien des interlignes.

Les améliorations techniques réalisées sur ce type d'outils ces dernières années jouent certainement un rôle important dans l'augmentation du nombre de conversions.

Quant à la question de l'irrigation, elle doit aussi être étudiée avec attention.

Avec une installation suspendue, la conversion fonctionne très bien. Dans le cas d'un système enterré, c'est plus compliqué. Des solutions doivent forcément être trouvées.
Pour tous ces nuciculteurs, ces changements ne s'improvisent pas. Ils doivent être mûrement réfléchis et mis en œuvre avant la conversion.

Selon Jean-Claude Darlet, « le passage en bio nécessite un équilibre, une approche technique pointue et de fines observations du verger pour être en mesure de faire les bons traitements et les bons apports au bon moment ».

Ce changement d'approche s'inscrit au sein d'un marché porteur actuellement. Marc Giraud, directeur de la coopérative Coopenoix confirme « cet environnement relativement favorable, mettant en avant une progression de la demande en production biologique ».

Et ajoute : « Les conversions en cours devraient nous amener vers un pourcentage de 15% de la collecte d'ici trois à quatre ans. Mais je pense qu'il reste encore de la place car ce mode de production va aujourd'hui dans le sens des consommateurs ».

Pour autant, la progression devra être maîtrisée. « Si le marché existe, il faudra rester prudent pour ne pas le déstabiliser avec trop de conversions », tempèrent certains professionnels.

 

Isabelle Brenguier

 

Il a dit :

 

« La société civile demande beaucoup aux agriculteurs. A la Senura, nous travaillons sur des solutions alternatives depuis plus de 20 ans », Christian Mathieu, président de la station d'expérimentation nucicole Rhône-Alpes.

 

Témoignage / 
Vanessa et Samuel Romey ont fait le choix de bien préparer leur exploitation à la conversion biologique de leurs vergers de noyers. Pour que la transition soit opérée dans les meilleures conditions.

Une démarche qui prend du temps

Crédit photo : Romey
Vanessa et Samuel Romey, nuciculteurs à Saint-Pierre-de-Cherennes, mûrissent leur projet de conversion en agriculture biologique depuis 2014.
Vanessa et Samuel Romey, nuciculteurs à Saint-Pierre-de-Cherennes, mûrissent leur projet de conversion en agriculture biologique depuis 2014.Un premier diagnostic réalisé à l'époque leur confirme l'intérêt qu'ils portent à cette démarche mais leur montre qu'ils ne sont pas prêts à « passer le cap ». « Les changements que nous devions mettre en œuvre dans la conduite de notre exploitation en matière de pratiques culturales et de temps de travail étaient trop importants », explique ainsi Samuel Romey.
Loin de se décourager, les deux associés de l'EARL Romey ont fait le choix d'opérer les changements nécessaires avant de se lancer.
Parmi les principaux, ils ont modifié leur système d'irrigation, acheté une tondeuse satellite, procédé au changement de leur tracteur pour pouvoir utiliser ce nouvel outil et fait adapter la soufflerie de leur ramasseuse pour éviter que trop de noix ne soient laissées dans le champ.
Remise en question
Pour Samuel Romey, la conversion de leurs noyers en bio représente « une remise en question du fonctionnement de notre exploitation. Elle correspond à une envie que nous partagions avec ma femme et mes enfants, pour être en accord avec la demande de la société mais aussi parce qu'après avoir travaillé pendant 22 ans de la même façon, j'avais envie de donner un nouvel élan à mes conduites culturales. Mais nous avons voulu faire les choses dans l'ordre, sans nous précipiter. C'est une démarche qui, selon nous, prend du temps et à laquelle il faut se préparer ».
Leur conversion est lancée depuis le 15 août 2019. Elle concerne leurs 37,5 hectares de vergers de noyers et l'hectare de petits fruits qu'ils cultivent aussi.Les premiers constats du nuciculteur portent sur le temps qu'il passe dans ses vergers, plus important qu'en conduite conventionnelle, et sur l'état des parcelles.
Il estime que « sans désherbage chimique, il faut accepter qu'elles soient moins propres visuellement pour être plus propres sur le plan environnemental ».
IB