Installation
La transmission réussie de l'exploitation d'Henri Chabert à Rencurel dans le Vercors

Isabelle Brenguier
-

En janvier dernier, Fanny Bichebois et Jean-Baptiste Camerlynk ont repris la ferme laitière d’Henri Chabert à Rencurel, sur les contreforts du Vercors en Isère. Une belle histoire pour les deux parties. 

La transmission réussie de l'exploitation d'Henri Chabert à Rencurel dans le Vercors
Fanny Bichebois et Jean-Baptiste Camerlynk ont repris la ferme laitière d’Henri Chabert à Rencurel.

Tous trois en conviennent : ils se sont bien trouvés. En ce jeudi 2 mars, adossés contre le bâtiment d’élevage de la « Ferme Des Dahus » à Rencurel, Fanny Bichebois, Jean-Baptiste Camerlynk et Henri Chabert reviennent sur leurs parcours respectifs, leur rencontre et ce qui a conduit à ce que le couple reprenne l’exploitation laitière du désormais jeune retraité. A les écouter, cette transmission pourrait faire rêver plus d’un porteur de projet et plus d’un cédant tant elle s’est passée simplement. Car finalement, ni d’un côté, ni de l’autre, ils n’ont cherché très longtemps. 

L’envie de s’installer

Située à Rencurel dans le massif des Coulmes sur les contreforts du Vercors, la ferme labellisée AB * depuis 2010 d’Henri Chabert était composée d’un bâtiment d’élevage équipé d’un séchage en grange, d’un troupeau de 28 vaches laitières – des montbéliardes et quelques villardes -, et d’une cinquantaine d’hectares de prairies dont la grande majorité était en fermage. Les 120 à 150 000 litres de lait produits chaque année sont livrés à la coopérative Vercors Lait. 

Si Henri Chabert est aujourd’hui âgé de 62 ans, il en avait 59 quand il a commencé à penser à sa retraite et à en parler autour de lui. Mais son annonce a à peine eu le temps de figurer dans le RDI (Répertoire départ installation). Assez rapidement, il a reçu la visite de Fanny Bichebois et Jean-Baptiste Camerlynk à la recherche d’une exploitation à reprendre.

Le couple avait été alerté par le père de Fanny, agriculteur à Rencurel également, qui était au courant du projet de cessation d’activité de l’éleveur. « J’ai fait des études dans les domaines du paysagisme et de l’agro-environnement. Mais je me suis vite rendue compte que c’est dans l’agriculture que je voulais travailler. J’ai donc fait cinq ans de maraîchage en Haute-Savoie », explique Fanny Bichebois.

Quant à son compagnon, Jean-Baptiste Camerlynk, après des études en mécanique industrielle, il a goûté aux travaux agricoles en faisant du woofing en Haute-Loire, puis en devenant vacher dans les alpages du Beaufortin et de la Tarentaise. Mais l’envie de s’installer l’a rattrapé. 

Une enfant du pays

Fanny Bichebois n’avait pas spécialement imaginé revenir dans son village natal. « Cela a été une super opportunité », estime-t-elle cependant. « L’exploitation d’Henri correspondait tout à fait au modèle que nous recherchions. C’était inespéré », souligne Jean-Baptiste Camerlynk, qui, habitué à la vie dans les montagnes savoyardes, se réjouit de son installation dans le Vercors.

Henri Chabert le reconnaît : « Le courant est bien passé entre nous. Et, le fait que Fanny ait été une enfant du pays a facilité les choses, c’est certain. D’autant que, comme il n’y a pas de maison d’habitation avec l’exploitation et qu’il est compliqué de se loger dans le Vercors, cela m’a tranquilisé que Fanny et Jean-Baptiste habitent dans le gîte familial ». 

Les origines de la jeune femme ont aussi certainement rassuré les propriétaires des parcelles louées auparavant par Henri Chabert, reprises aujourd’hui par le couple. Même si le cédant avait bien préparé ces transmissions.

Les deux agriculteurs ont investi 430 000 euros dans leur installation. Ce montant intègre le bâtiment, le troupeau, le matériel, les charges annexes et le futur atelier de transformation. Pour les accompagner dans la réalisation de leur projet, ils ont perçu chacun 55 000 euros de DJA (Dotation jeune agriculteur). S’agissant des investissements, Jean-Baptiste Camerlynk esquisse un petit conseil aux futurs cédants. « Soit il faut les réaliser au moins dix ans avant de céder la ferme, soit il faut les laisser faire aux repreneurs. Car sinon, cela fait trop de capital à reprendre et financièrement, cela ne passe plus », estime-t-il. 

Passer la main

Pour que la transmission se déroule au mieux, les deux jeunes gens ont réalisé sept mois de « stage test » chez Henri Chabert. Cela leur a permis de bien découvrir le parcellaire, le troupeau, « de se mettre dans le bain » et de conforter leur choix. Ils se sont officiellement installés le 1er janvier dernier. Pour l’instant, l’exploitation est restée la même. Mais les deux agriculteurs envisagent la création d’un petit atelier de transformation qui leur permettraient de fabriquer de la tomme, de la raclette et de la mozzarella. 

Depuis, Fanny Bichebois, Jean-Baptiste Camerlynk et Henri Chabert boivent le café tous les jours ensemble. Mais l’éleveur a pris sa retraite… et du recul. « Cette exploitation, c’est ma vie. Mais quand je les ai trouvés, je me suis senti prêt à en commencer une autre. J’ai eu envie de passer la main. Je suis vraiment content d’avoir pu la transmettre. Pour moi, cela n’aurait pas pu mieux se passer », avoue le retraité. 

* agriculture biologique

Isabelle Brenguier

Le statut du fermage, « une vraie chance pour les jeunes installés »
La ferme des Dahus de Fanny Bichebois et Jean-Baptiste Camerlynk est située à Rencurel dans les Coulmes, dans le massif du Vercors.

Le statut du fermage, « une vraie chance pour les jeunes installés »

Henri Chabert détenait peu de parcelles en propriété. La majeure partie d’entre elles étaient exploitées en fermage. Quand Fanny Bichebois et Jean-Baptiste Camerlynk ont repris l’exploitation, ils ont aussi pu reprendre les baux… et s’en sont réjouis. « C’est grâce à cette configuration que nous avons pu concrétiser notre projet de reprise. Si le foncier de l’exploitation n’avait pas été en fermage, le coût de l’investissement que nous aurions dû supporter aurait été complètement différent. En Isère, on ne s’en rend pas forcément compte parce que les parcelles en fermage sont majoritaires, mais pour avoir été dans d’autres régions où ce n’est pas le cas, ce fonctionnement est une vraie chance pour les jeunes qui s’installent. Grâce à cela, le capital va dans l’outil de travail et pas dans le foncier », explique Jean-Baptiste Camerlynk.

IB

Accompagnement sur-mesure de la Chambre d'agriculture de l'Isère pour les cédants et les futurs installés
Aymeric Bosneagu est conseiller transmission à la Chambre d'agriculture de l'Isère.
Installation

Accompagnement sur-mesure de la Chambre d'agriculture de l'Isère pour les cédants et les futurs installés

Afin d’aider cédants et futurs installés dans leurs projets, la Chambre d’agriculture de l’Isère met à disposition une équipe de conseillers en charge de différents dispositifs spécifiques.

Utilisant tous les outils disponibles en matière de transmission et d’installation, Fanny Bichebois, Jean-Baptiste Camerlynk et Henri Chabert ont bénéficié d’un accompagnement complet des services de la Chambre d’agriculture de l’Isère

En premier lieu, dès 2021, Henri Chabert a contacté le Point accueil transmission. « Cette première démarche lui a permis de se signaler auprès de la chambre d’agriculture, de faire le point sur toutes les étapes à mettre en place pour préparer la reprise de son exploitation et de porter à sa connaissance tous les outils et dispositifs prévus pour les cédants sans repreneur », détaille Aymeric Bosneagu, conseiller transmission à la Chambre d’agriculture de l’Isère, qui ajoute : «  Gratuit, ce point accueil est accessible à toutes les personnes concernées par l’arrêt de leur activité ou leur départ à la retraite. Il leur permet de se voir expliquer toutes les différentes possibilités de reprise qui les aideront à pérenniser leur entreprise. A ce moment-là, nous ne répondons pas forcément à toutes les questions qui se posent, mais nous les mettons sur la table pour lancer la réflexion et leur indiquer les personnes ressources à même de pouvoir les accompagner ». 

Le deuxième outil utilisé par Henri Chabert fut la « concrétisation-transmission ». Il consiste à accompagner plus précisément les cédants n’ayant pas de repreneur identifié. Financé par la Région Auvergne-Rhône-Alpes, il est aussi gratuit pour les personnes qui le sollicitent. 

Quant au troisième outil, il s’agit d’un audit (simple ou approfondi) de l’exploitation. « A un audit simple équivalent à un diagnostic - incluant les bâtiments, le foncier, le matériel, le cheptel, les stocks, le détail de la comptabilité, bref, tout ce qui permet son fonctionnement –, nous pouvons le compléter d’un approfondissement comprenant une évaluation de la valeur de l’exploitation reposant sur trois types de critères : la valeur patrimoniale, la valeur économique basée sur la rentabilité de l’exploitation, et la valeur de reprenabilité. Cet audit permet au cédant de bien identifier les biens de son exploitation et de réfléchir à la manière et au pas de temps auquel il souhaite les céder. C’est aussi ce sur quoi nous nous appuyons pour rédiger l’offre qui sera publiée dans le RDI (Répertoire départ installation) », explique Aymeric Bosneagu. 

Depuis 2022, l’équipe transmission de la chambre d’agriculture utilise en plus une nouvelle valeur basée sur les statistiques des profils des personnes installées depuis 2017. Selon le conseiller, ces informations sont particulièrement intéressantes car elles donnent une idée assez précise des porteurs de projet, de leurs investissements, leurs associations, leurs productions, les éventuels passages en bio, la création de nouveaux ateliers… Elles sont aussi rassurantes pour les cédants, car cela leur permet de mieux se projeter sur leur transmission et d’identifier plus facilement leurs besoins quand l’heure de la retraite sonnera. 

« Stage test »

Du côté des repreneurs de l’exploitation d’Henri Chabert, Fanny Bichebois et Jean-Baptiste Camerlynk ont suivi en parallèle leur parcours à l’installation, comprenant le montage du dossier DJA (Dotation jeune agriculteur), le PPT, un stage 21 heures « Je contribue à l’agriculture de demain », ainsi qu’un « stage test » de sept mois pour découvrir l’exploitation qu’il souhaitait reprendre. Ces stages sont finançables soit par Pôle Emploi, soit par la Région. Ils peuvent être d’une durée de trois à douze mois dans le cadre d’une reprise individuelle et aller jusqu’à 15 mois pour une association. Les deux jeunes installés ont aussi profité de plusieurs rendez-vous de suivi, dont un réalisé avec Lise Escallier, conseillère spécialisée dans l’organisation du travail à plusieurs. « Il est important de bien préparer les personnes qui vont travailler en association. Grâce à ces rencontres, les porteurs de projet peuvent construire une organisation qui convient à chacun avec la communication appropriée », souligne encore Aymeric Bosneagu. Encouragés à réaliser d’autres stages pendant leur période de « stage test », Fanny Bichebois et Jean-Baptiste Camerlynk se sont formés à la fabrication de mozzarella. « Il est fortement recommandé de profiter de cette période pour solliciter d’autres fermes pour élargir ses connaissances et son champ de compétences », insiste le conseiller.

Pour Aymeric Bosneagu, la transmission et la reprise d’une exploitation sont des étapes importantes qui prennent du temps. Pour qu’elles se passent au mieux, il convient que chacun dispose du maximum d’information de façon à ce que chacun puisse construire son projet et se prononcer. « C’est ce qui évite les non-dits et les malentendus », assure-t-il.

Isabelle Brenguier

L'équipe de conseillers spécialisés en matière de transmission et d’installation de la Chambre d'agriculture de l'Isère, au plus près des besoins

L'équipe de conseillers spécialisés en matière de transmission et d’installation de la Chambre d'agriculture de l'Isère, au plus près des besoins

La Chambre d’agriculture de l’Isère a constitué une équipe de conseillers spécialisés en matière de transmission et d’installation. Selon Americ Bosneagu, conseiller, « notre travail au niveau du RDI (Répertoire départ installation) est important, car il permet d’identifier les capacités de reprise des porteurs de projet, de les accompagner tout au long de leur réflexion, de fixer et même de faire évoluer leurs priorités, de façon à ce qu’ils ne s’arrêtent pas sur un seul schéma quand la situation reste fermée », explique-t-il.