Débat
Priorité à la souveraineté alimentaire

Isabelle Doucet
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Élus et responsables des OPA se sont retrouvés le 18 mai à Beaucroissant pour échanger sur la souveraineté alimentaire et l’avenir des productions en Isère. 

Priorité à la souveraineté alimentaire
La soirée, animée par Marianne Boilève, journaliste à Terre Dauphinoise, a été suivie par une quarantaine de personnes en présentiel et une trentaine à distance. 

« Je pensais que la souveraineté alimentaire n’était pas un sujet en France et j’apprends que nous pourrions la perdre d’ici 2023. Nous étions le grenier de l’Europe ! » Jean-Pierre Gaillard, président du Crédit agricole Sud Rhône-Alpes n’en revient pas. Lors de la Nuit de l’agriculture, qui s’est déroulée mardi 18 mai à Beaucroissant - en écho avec le grand Rendez-vous national sur la souveraineté alimentaire (1) qui avait lieu le même jour -, il a interpelé les élus venus débattre autour d’une table ronde avec les responsables des OPA.
Le banquier fait ses comptes : le déficit de la balance commerciale française est de 65 milliards d’euros, l’agriculture exporte pour 52 milliards d’euros avec un excédent commercial de 6 milliards d’euros alors que le déficit de la balance commerciale de l’industrie automobile est de 10 milliards d’euros. « Où sont les priorités ? », interroge-t-il.
Ces enjeux de société, le monde agricole est prêt à les relever, à condition de ne pas être freiné par la règlementation ou par l’absence de moyens.
Cendra Motin, députée de l’Isère LREM et vice-présidente de la commission des finances répond que le plan de relance a été doublé, passant de 100 à 200 millions d’euros (M€) en sorte de « donner un coup de pouce à l’innovation (…) pour faire face au changement climatique, nourrir la population, être compétitif ».

Une solution locale

En tous les cas, ce n’est pas dans la loi Egalim que les agriculteurs et les consommateurs ont entrevu des perspectives.
« Le compte n’y est pas » assène Jérôme Crozat, le président de la FDSEA de l’Isère et du Conseil de l’agriculture départementale, organisateur de la Nuit de l’Agriculture.
Là aussi, sous le feu des questions, la députée promet une troisième version de cette loi, dotée de trois articles essentiels : l’obligation de contractualisation, la transparence des coûts d’achat des matières premières et la règlementation sur la provenance.
« La solution sera locale », insiste à son tour Jean-Pierre Barbier, le président du département de l’Isère.
Chantre de la marque IsHere initiée avec la chambre d’agriculture, le président en rappelle les fondamentaux : une marque reconnue pour ses valeurs (origine locale, qualité, juste rémunération) par les consommateurs, mais aussi un pôle agroalimentaire (PAA) chef d’orchestre du dispositif et une aide à la structuration des filières, notamment pour répondre aux exigences de la GMS.

Un modèle en transition

Producteurs, transformateurs, distributeurs, collectivités et organismes consulaires, établissements privés et publics, « chacun dans son rôle », comme le dit Pascal Denolly, le président du PAA, tous travaillent ensemble.
Ce que confirme François Cholat : en contractualisant les cultures de blé, le collecteur a garanti un prix aux producteurs et permis aux boulangers de se fédérer pour répondre aux appels d’offre des cantines. Il souligne : « L'offre des marchés publics permet de relancer et de défendre le commerce, l’artisanat et l’agriculture locale. » 
La coopérative Oxyane est aussi très attentive à la demande des marchés locaux. « Nous sommes passés d’une coopérative de matières premières à une coopérative alimentaire », explique Jean-Yves Colomb, son président.
Il décrit un modèle en transition « et donc des opportunités » dont il faut se saisir dans le cadre de projets, « y compris en investissant dans l’aval ». Il énumère les créneaux dans lesquels s’est inscrite la coopérative : HVE, CRC, agriculture biologique, énergies renouvelable, filière œuf, filière protéine… Et des enjeux nouveaux que représentent les légumes, en partenariat avec des transformateurs pour adresser les marchés publics.
« Il n’y a pas que les circuits courts, reprend Jérôme Crozat, mais une offre très large sur les circuits intermédiaires. Les marques territoriales nous permettent de mener les produits plus loin, vers la GMS. »
L’intérêt : développer une offre, des ateliers complémentaires qui permettent en particulier à des jeunes de s’installer et de dégager un revenu. Il souligne l’importance de recréer des unités de transformation qui se sont « perdues dans la concentration de l’industrie agroalimentaire des années 60 ». 

Filières intermédiaires

C’est aussi une histoire de confiance, estime Jean-Claude Darlet, le président de la chambre d’agriculture de l'Isère.
« Ceux qui ont produit des légumes plein champ dans la ceinture verte grenobloise se sont fait étrangler par la grande distribution, rappelle-t-il. Un agriculteur est prudent. »
Il partage les mêmes attentes quant à la contractualisation, aux marques territoriales et à la relance des « filières de développement intermédiaires ».
Les politiques indiquent que la loi Egalim, en ce qu’elle impose 50% de produits durables dont 20% de bio dans les cantines d’ici 2022, a changé positivement la donne. 

Favoriser l'installation

Car il y a urgence à reprendre les choses en main. « Il y aura 2 500 départs à la retraite d’ici 10 ans », s’alarme Jocelyn Dubost, le président de jeunes agriculteurs Isère.
Seule solution à l’hémorragie et donc à continuer à produire local : favoriser l’installation. Pour cela, il faut que les jeunes soient aidés ; qu’ils dégagent un revenu et puissent développer des projets (méthanisation, bâtiment d’élevage sans être exposés au Nimby (2)) ; qu’ils bénéficient d’un foncier régulé ou de solutions de portage ; qu’ils aient les moyens de s’adapter au changement climatique ; que les territoires où ils s’installent soient dynamiques ; mais il faut aussi que les métiers soient attractifs et connus.
« Si l’on veut que des jeunes s’installent, il faudrait doubler le budget PAC dédié », ajoute Jocelyn Dubost.
Les jeunes installés ont aussi besoin d’un accompagnement, « de références techniques et économiques, y compris dans les productions atypiques ». Le président des JA estime aussi le système assurantiel universel et la contractualisation comme primordiaux. 

Isabelle Doucet

(1)           Le grand Rendez-vous de la souveraineté alimentaire, organisé par Conseil de l’Agriculture Française (CAF) a réuni les acteurs de l’agriculture, en présence du président de la République et du ministre de l’Agriculture, le mardi 18 mai 2021 de 9h30 à 13h00. 

(2)           Not in my back yard : pas dans mon jardin

 

 

 

Le gel, les assurances et la PAC
Nicolas tTaynard, président de caisse locale Groupama et Yannick Neuder, vice-président du Conseil régional.

Le gel, les assurances et la PAC

Actualité / Les échanges étaient soutenus lors de la Nuit de l’agriculture organisée par le CAD à Beaucroissant.  

Le débat s’est ouvert sur l’épisode de gel survenu début avril, le monde agricole marquant son impatience face aux politiques présents.
Des trésoreries à court terme exsangues, une main-d’œuvre permanente et saisonnière qu’il faudra rémunérer en dépit de l’absence de revenus, des investissements à recouvrir sans entrée d’argent : Jean-Claude Darlet, le président de la chambre d’agriculture a dressé un tableau sombre de ce gel noir qui a touché 2 000 ha de fruitiers, des surfaces viticoles, en maraîchage, des grandes cultures, l’horticulture et même l’apiculture. « Beaucoup d’annonces », dénonce-t-il, mais peu de concret.
Car les 2,5 millions d’euros (M€) promis par l’État pèseront bien peu face aux 120 à 150 M€ de pertes que rapporte Jérôme Crozat, le président de la FDSEA.
La région a déjà débloqué 15 M€, rappelle Jean-Pierre Taite, vice-président en charge de l’agriculture. Il précise que « les communautés de communes peuvent aussi abonder ».
Jean-Pierre Barbier, le président du conseil départemental, annonce une aide complémentaire de 1 M€, « mais le compte n’y est pas ».
Tous veulent éviter « l’épisode du plan de campagne », mis en œuvre dans les années 2000 et que certains doivent encore rembourser.
La députée Cendra Motin, a listé les mesures prises, semblables à celle de la crise covid : chômage partiel, prêt garanti par l’Etat, mesures sociales. De plus, « un fonds d’urgence sera débloqué en juin et versé en juillet pour les fruits à noyaux ». Elle assure aussi que « en passant par des dispositifs qui existent déjà », les plafonds d’aides pourront être épargnés de la sanction de Bruxelles et échapper aux minimis et que les reports de charges sociales « se transformeront en exonérations ».

A bout de souffle

Cette catastrophe interroge directement le système assurantiel. « Un système à bout de souffle », reconnaît la députée Cendra Motin qui plaide pour « généraliser l’assurance récolte », et annonce que le dossier est traité au niveau interministériel, qu’il implique l’État, le monde agricole et les assureurs. « Nous souhaitons aboutir sur un barème en juillet, puis porter un texte législatif », annonce-t-elle.
Nicolas Traynard, président de caisse locale Groupama Auvergne-Rhône-Alpes confirme l’échec du dispositif. Sur l’épisode de gel, l’assureur a encaissé 25 M€ de cotisations pour en décaisser 28M€. « Groupama ne peut pas continuer. Pour que le système d’assurance fonctionne, nous avons besoin de tous les acteurs et de l’État. » 

« Jouer collectif », c’est ce que préconise aussi Jean-Pierre Gaillard, le président du Crédit agricole Sud Rhône-Alpes.
La région aimerait bien expérimenter des dispositifs. « Nous sollicitons l’État depuis trois ans, mais sans réponse », s’agace Yannick Neuder, vice-président en charge de la recherche et de l’innovation.
En effet, si la région est autorité de gestion en matière de fonds européens, Jérémy Jallat, vice-président JA Isère et Aura, explique que la gestion des risques sur le 2e pilier de la PAC représente un surcoût de 32 M€.
Jérôme Crozat estime quant à lui « qu’il faut être responsable dans chaque filière », afin d’investir « pour être une PAC de projet et non une PAC de guichet ». Car la solution passe aussi par une réflexion plus globale sur les revenus de l’exploitation. 

Isabelle Doucet