Conduites d’exploitation
D’une contrainte à une adaptation

Isabelle Brenguier
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Les agriculteurs du massif de Belledonne ne sont pas épargnés par les difficultés qui touchent le monde agricole. Ils cherchent les solutions à mettre en œuvre avec pragmatisme. 

D’une contrainte à une adaptation
De nombreux agriculteurs, élus et habitants du massif de Belledonne ont participé à l'assemblée générale de l'Adabel le 23 février à Allevard.

S’adapter. Et faire preuve de résilience. Tel est devenu le lot des agriculteurs confrontés au changement climatique qui se manifeste avec de plus en plus d’acuité. L’été 2022 marqué par des températures extrêmes et une sécheresse qualifiée d’historique, a imposé aux agriculteurs d’être inventifs et de chercher d’autres moyens que ceux auxquels ils sont accoutumés pour cultiver leurs terres et nourrir leurs bêtes. Même si le territoire de Belledonne peut sembler un peu moins exposé que d’autres face à ces changements, les exploitants ont été confrontés à des situations qu’ils n’avaient jamais connues par le passé.

Léa Perrotin, maraîchère à Laval-en-Belledonne, Anne Kerdranvat et Robin Vergonjeanne, du Gaec « La ferme de Bellevue » au Moutaret, et Elodie Tournoud, de « La ferme des deux massifs » à Allevard, ont profité de l’assemblée générale de l’Adabel * le 23 février dans cette même commune, pour partager les actions qu’ils ont mis en place pour s’adapter à la chaleur et au manque d’eau.

L’eau du réseau

Léa Perrotin est installée depuis 2020 au sein d’une parcelle de 8 000 mètres carrés, située à 600 mètres d’altitude. 3 000 sont consacrés à son activité de maraîchage alors que le reste est fauché. En 2022, la jeune agricultrice considère que sa production de légumes biologiques de saison « a tenu » parce qu’elle a pu être arrosée grâce au réseau d’eau de la Communauté de communes du Grésivaudan. Forcée à s’adapter, Léa Perrotin a aussi fait de nouveaux choix de plants et a modifié son planning de cultures. Mais, elle le reconnaît : « je n’ai pas manqué d’eau. J’en ai eu toute l’année. Elle m’a « seulement » coûté très cher », confie-t-elle. Pour la jeune femme, sa dépendance à la ressource se révèle comme « la » problématique de son exploitation. Elle estime qu’il va falloir continuer de réfléchir sur le sujet. Et que les politiques s’associent à cette réflexion. « Installer une maraîchère avec uniquement l’eau du réseau, on peut se demander si c’est une bonne idée, étant donné le coût que cela représente. Mais en même temps, elle est la seule à avoir « tenu » », soulignent les agriculteurs présents. D’autant que même s’il y a un tarif spécifique pour les exploitants agricoles, il devrait encore augmenter en 2023. De quoi se demander s’il sera longtemps supportable. Jacqueline Rebuffet, vice-présidente de l’Adabel, a profité de la rencontre pour s’émouvoir du fait que l’agriculture soit considérée comme « un besoin d’agrément ». « C’est triste. En tant qu’agriculteurs, nous produisons de l’alimentation pour nourrir les habitants du Grésivaudan », rappelle-t-elle.

Remise en cause des pratiques

Installés dans leur élevage composé d’un atelier de 40 vaches charolaises, de veaux de lait et d’un autre de porcs naisseurs au Moutaret au nord du massif, au sein d’une surface de 95 hectares très morcelée, Anne Kerdranvat et Robin Vergonjeanne, ont manqué d’herbe l’été dernier. « Nous avons récolté moins de 300 rouleaux de foin, contre plus de 400 l’année dernière », expliquent-ils. Mais ils ont encore plus manqué d’eau pour abreuver leurs bêtes. Cela les a conduit à chercher de nouvelles parcelles situées à proximité de points d’eau. Ils en ont trouvé une à Pontcharra, à côté du Gaec de Plantzydon, raccordé au réseau, et une autre au-dessus de Pinsot, dans des terres qui n’avaient pas vu de vaches depuis plus de 100 ans, où il y avait plus de fougères que d’herbe. « Mais les bêtes ne se sont pas montrées difficiles et se sont adaptées ». L’explosion des coûts de carburants les a aussi incité à réfléchir à deux fois avant de prendre le tracteur. « Nous avons limité les passages dans les parcelles et optimisé des trajets en mettant certains outils à l’avant du tracteur et d’autres à l’arrière, pour diminuer les coûts », précise ainsi Robin Vergonjeanne. Les deux associés ont souligné à quel point leurs pratiques ont été remises en cause du jour au lendemain, les forçant à ne plus pouvoir compter sur les sources comme ils le faisaient, à monter leurs bêtes en altitude, à envisager les mettre en alpage… « Cela a des conséquences sur la gestion globale de l’exploitation », insistent-ils. Car parcourir les routes d’Allevard à Barraux avec une tonne à eau pour abreuver les animaux, s’ils l’ont fait cette année parce qu’ils n’avaient pas le choix, le jeune agriculteur le dit très clairement : « il n’est pas question de le faire pendant 30 ans, il vaudra mieux créer des réseaux ».

Acquisitions  

On aurait pu penser qu’Aurélie Tournoud, éleveuse de vaches laitières et allaitantes et productrice de glaces, aurait tiré profit de la chaleur de l’été 2022. Même pas. « En fait, nous nous sommes rendus compte que lorsqu’il fait trop chaud, les gens ne sortent pas de chez eux et ne participent pas aux manifestations », explique la jeune agricultrice. Plaisanterie mise à part, Aurélie Tournoud a présenté son installation située entre les massifs de Belledonne et de Chartreuse avec dynamisme. Également confrontée au manque d’eau, l’exploitante a aussi confié avoir réalisé de nombreux trajets pour fournir en eau du réseau ses animaux. Elle a également indiqué avoir fait des acquisitions dans du matériel de fauchage plus large pour diminuer le nombre de passage et in fine, ses coûts de carburants.

Rôle positif

Ces témoignages ont révélé la capacité d’adaptation des agriculteurs. Mais ils ont aussi montré l’inquiétude qu’ils nourrissaient déjà pour l’année à venir qui s’annonce encore plus compliquée avec la neige qui n’est pas tombée de l’hiver. « Hier, le 22 février, j’ai dû arroser mes semis de plein champ. Alors qu’habituellement, je me bats avec mon sol trop mouillé », a tristement souligné Léa Perrotin.

Pour autant, la rencontre a également mis en avant leur enthousiasme. Car s’ils reconnaissent que leur quotidien est difficile, ils ne se sentent pas vaincus pour autant. Ils aiment leur métier. Ils aiment l’exercer. Remplis de joie de vivre, ces jeunes ont aussi fait valoir que ces difficultés les contraignent à sortir de leurs habitudes, à trouver des idées, à contacter de nouvelles personnes, bref « à sortir de leur zone de confort », ont-ils indiqué, tout sourire, terminant leurs propos par un « moralement, on va bien », qui a séduit l’assemblée.

Le collectif qu’ils partagent au sein de l’Adabel semble aussi les animer et jouer un rôle positif dans leur vie d’agriculteur. Incontestablement, les rencontres et les échanges que l’association crée tout au long de l’année, les nourrissent et les motivent. Un avantage pour les agriculteurs adhérents. Une satisfaction pour leurs représentants.

* Association pour le développement de l’agriculture de Belledonne

Isabelle Brenguier

Belle année pour l’Adabel
Audrey Abba et Guillaume Seurin sont les deux co-présidents de l'Adabel.
Vie de l’association

Belle année pour l’Adabel

L’Adabel a profité de son assemblée générale pour revenir sur l’année écoulée. 

L’Adabel se porte bien. Preuve en est le nombre de participants qui se sont pressés à son assemblée générale jeudi 23 février à Allevard, la hausse de son nombre d’adhérents (1) et l’étendue des projets mis en œuvre au cours de 2022. Le maintien des espaces ouverts, la création de la Sica (Société d'intérêt collectif agricole) de Belledonne, la mise en ligne d’un nouveau site Internet, la préparation de plus de 1 000 colis de Noël, la réalisation de tours de prairies, l’accompagnement à l’installation, le travail sur l’emploi partagé réalisé avec Agri Emploi 38, celui réalisé sur l’agroforesterie avec le GIEE… sont autant d’exemples cités au cours de la rencontre.

« Nous avons plus de participation avec des personnes que nous ne voyions pas avant. Nous apprécions car ces nouvelles implications reflètent mieux la diversité de l’agriculture de Belledonne. Nous avons aussi le sentiment d’avancer sur nos projets et de mieux fédérer les différents acteurs du massif », reconnait Audrey Abba, agricultrice à Laval et co-présidente de l’Adabel, qui estime également que l’association a réalisé un gros travail pour redéfinir ses priorités et repositionner son rôle dans le territoire. « Et puis, nous avons plus communiqué. Ces dernières années, nous étions plus concentrés sur nos actions sans prendre suffisamment le temps de les expliquer. Aujourd’hui, les gens voient davantage ce qu’on fait », ajoute-t-elle.

Nouveaux financements

En 2023, le défi le plus important que devra relever l’Adabel concerne la pérennisation de son poste d’animation. Depuis 2015, il était financé par un partenariat tripartite entre la Chambre d’agriculture de l’Isère, l’Espace Belledonne et l’Adabel. « Mais la fin du programme Leader (2) en 2023 place une énorme épée de Damoclès au-dessus de l’association qui doit trouver de nouveaux financements et partenariats pour maintenir le poste. L’énergie qui sera déployée pour répondre à cette problématique portera certainement préjudice aux projets que nous menons. Mais ce travail est primordial. L’issue doit être positive », avance Audrey Abba. Présente dans la salle, Manuelle Glasman, responsable de l’équipe territoire à la Chambre d’agriculture, a assuré du soutien de l’organisme consulaire dans la volonté de maintenir l’animation de l’Adabel.

(1)   61 agriculteurs, 18 communes et quatre membres associés adhérents en 2022

(2)   Liaison entre action de développement de l'économie rurale

IB