Patrimoine
La mémoire collective sous une peau de béton

Marianne Boilève
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Désormais installées à Saint-Martin d'Hères, les Archives départementales de l'Isère ont été inaugurées le 27 mai après trois ans de travaux. Début juillet, le public pourra y consulter 39 kilomètres de fonds documentaires et mille ans d'histoire locale.

La mémoire collective sous une peau de béton
Conçu par les agences CR&ON et D3, le nouveau bâtiment des archives départementales de l'Isère est habillé d'une peau de béton grise et ocre, clin d'œil à la Chartreuse qui se dessine en arrière-plan.

Imaginez un thermos géant dans lequel vous auriez enfermé tous vos souvenirs de famille. C'est un peu le système constructif de l'audacieux bâtiment où sont désormais conservées les archives départementales de l'Isère. Derrière ses quatre monolithes de béton travaillé en une succession de strates grises et ocres - clin d'œil à la Chartreuse qui se dessine en arrière-plan -, un réseau de galeries techniques joue les espaces-tampons entre l'extérieur et les magasins. Cette double peau géante garantit une inertie thermique exceptionnelle, indispensable à la conservation des documents, dont les plus anciens remontent à l'an Mil…

550 000 documents d'archives

Construit à Saint-Martin-d'Hères, le nouvel « écrin de la mémoire iséroise » a été inauguré en format Covid le 27 mai dernier. Il aura coûté 37 millions d'euros. Plus coffre-fort sans doute qu'écrin, ce bâtiment « vertueux » (1) de 14 000 m2 abrite une cinquantaine de magasins répartis sur cinq étages, soit 70 kilomètres de rayonnages. Des milliers de boîtes, de registres, de feuillets, de liasses, de plans, archivés en un millier de « fonds », contenant eux-mêmes plus de 550 000 références (les fameuses « cotes »). Un trésor patrimonial unique, que le président du conseil départemental, Jean-Pierre Barbier, a qualifié dans son discours inaugural d'« antidotes aux faits alternatifs » et aux allégations de « ceux qui veulent réécrire l'histoire ».

Jusqu'à présent, ces précieux documents étaient conservés à Grenoble, dans un bâtiment saturé à force de recevoir, année après année, des centaines de dépôts administratifs et autres minutes notariales. L'ouvrage des années 60 ne correspondant plus aux normes en matière d'archivage, le conseil départemental a décidé d'en construire un nouveau en 2015 et de l'implanter en bordure du domaine universitaire de Saint-Martin-d'Hères, dans un secteur en pleine requalification urbaine.

Les agences CR&ON et D3, lauréates du concours d'architectes lancé en 2016, en ont signé la conception : quatre blocs compacts abritant cinq niveaux de magasins, posés sur un vaste « plateau » qui surplombe un rez-de-chaussée traversé par une « rue intérieure ». Ouverte sur la ville au sud, sur le campus au nord, cette artère sépare les espaces dédiés aux publics de ceux réservés à la conservation. Elle conduit à un vaste atrium, espace central distribuant tous les autres, d'où l'on peut apercevoir, en levant la tête, les passerelles et les coursives qui desservent les magasins.

Bois et béton brut

Située au rez-de-chaussée, face à une banque d'accueil toute de mélèze vêtue, la salle des inventaires dégage une ambiance soignée et chaleureuse, mêlant bois et béton brut. Chercheurs, juristes et amateurs, guidés par un archiviste si besoin, pourront y consulter à loisir catalogues et bases de données. Une fois les références commandées, ils iront s'installer dans la salle de lecture (60 places), où les magasiniers viendront leur apporter les documents.

Conçues comme un « lieu culturel ouvert à tous », les Archives départementales disposent également d'une salle de conférence de 126 places, d'une salle d'exposition (où l'on peut voir actuellement une très belle exposition photographique sur le chantier), et de deux salles pédagogiques destinées à accueillir les scolaires dans le cadre d'ateliers animés par les professeurs-relais du service éducatif.

Au-delà, dans l'aile Est et les étages, c'est le monde secret des archives. Inaccessible aux publics, il occupe les quatre blocs qui structurent le bâtiment, soit les deux-tiers de sa surface. S'y trouvent les zones de traitement des documents, les ateliers de restauration et de reproduction des archives (prises de vues, numérisation, micro-filmage…), ainsi que l'extraordinaire dédale des réserves. Un espace de stockage gigantesque, constitué de dizaines de magasins, avec chacun ses spécificités (rayonnages mobiles pour les formats standard, magasins grands formats pour les plans et les affiches…) et ses conditions de conservation (température et hygrométrie stables pour les documents sur papier et les parchemins, climatisation pour les supports photographiques ou audiovisuels…). C'est là que les archives départementales, « patrimoine unique et inestimable que nous avons le devoir de transmettre aux générations futures », selon la directrice, Hélène Viallet, ont peu à peu trouvé leur place, après une opération de transfert et de relocalisation minutieuse qui a duré six mois. L'ouverture au public est prévue pour début juillet.

Marianne Boilève

(1) Outre son isolation et son inertie thermique, le bâtiment est équipé de panneaux photovoltaïques qui permettent de produire une partie de l'électricité consommée. Les eaux de pluies sont récupérées pour arroser la végétation rase du « plateau », qui contribue à l'équilibre thermique du bâtiment.

Archives départementales de l'Isère - 12, rue Georges-Pérec à Saint-Martin-d'Hères.

Un déménagement hors norme
Le déménagement des archives départementales représente 39 km de linéaires de documents, allant de l'an mil à nos jours.

Un déménagement hors norme

Pas simple de déplacer dix siècles d'histoire… Le déménagement des Archives départementales de l'Isère a démarré à l'automne 2017 par la revue générale des fonds : près de 39 kilomètres de boîtes, de registres, de documents, mesurés, répertoriés, magasin par magasin, rayonnage par rayonnage. Il a fallu ensuite nettoyer, dépoussiérer, voire reconditionner des dizaines de kilomètres d'archives. S'en est suivi un premier travail de « déménagement virtuel » pour décider de leur futur emplacement dans le nouveau bâtiment, en prenant en compte leur conservation, leur communication au public et l'optimisation de l'espace. Cette opération a permis d'ajuster avec les architectes la répartition des rayonnages, fixes ou mobiles, au sein des magasins.

Le déménagement proprement dit a débuté en janvier dernier. Répartis en lots, les fonds ont été soigneusement emballés et transférés sur le site de Saint-Martin-d'Hères pour y être redéployés dans les nouveaux magasins sous le contrôle rigoureux des archivistes : pas question de se tromper dans l'ordre des lots ou la localisation des cotes. Avant de les rendre de nouveau consultables, les 550 000 références ont été relocalisées dans un progiciel spécialisé. Une étape cruciale qui permettra aux magasiniers d'aller chercher les documents d'archives commandés par les chercheurs. Particuliers ou juristes en quête de documents administratifs (pour prouver un droit, régler un contentieux…), géomètres, historiens, enseignants, étudiants, généalogiste amateur ou passionnés d'histoire locale, ces derniers étaient plus de 1 500 à venir consulter les archives départementales en 2019.

MB