TABLE RONDE
« Nos assiettes prises en otage » : la chambre régionale d’agriculture lance le débat

Manger est un acte vital, lié à nos cultures, nos représentations ou à notre budget. Parce qu’il est de plus en plus source de clivages, la chambre régionale d’agriculture Auvergne-Rhône-Alpes a souhaité ouvrir le débat le 23 novembre lors de sa dernière session de 2021. 

« Nos assiettes prises en otage » : la chambre régionale d’agriculture lance le débat
À la maison ou à l’école, l’éducation alimentaire s’avère de plus en plus importante pour les Français. ©Réussir SA

Dépasser les clivages pour préserver l'équilibre de nos régimes alimentaires : tel était l’enjeu de la table ronde organisée par la chambre régionale d’agriculture Auvergne-Rhône-Alpes à la suite de sa dernière session ordinaire de 2021. Trois fois par jour, 365 jours sur 365… Si se nourrir est l’un des besoins les plus primaires de l’Homme, force est de constater qu’avec le temps, d’autres préoccupations se sont conviées à nos tables. Régimes alimentaires, cultures, croyances, modes, économie… notre façon de manger est presque devenue un objet de science voire de controverse. Face à la montée de nouveaux questionnements au sein de la société, la chambre régionale d’agriculture d’Auvergne-Rhône-Alpes a souhaité ouvrir le débat de manière dépassionnée et factuelle, en invitant lors de son débat annuel plusieurs professionnels (médecin, nutritionniste, sociologue, acteurs des filières…). Avec un objectif : tenter de comprendre les mécanismes à l’œuvre.

L’alimentation : une nouvelle religion ?

D’un point de vue sociologique, Bertrand Oudin, PDG de Ceresco, société de conseil spécialisée dans le secteur agricole et agroalimentaire, a d’abord expliqué que « l’archipélisation de la société s’applique aussi à l’alimentation avec des communautés de valeurs qui se créent et qui exacerbent leurs points de vue ». Un constat qui a donné naissance à des mouvements anti-viande, sans-gluten ou sans sucre… L’époque du « trop » a été balayée par celle du « sans », dans lequel beaucoup s’engouffrent à la recherche de « sens ». L’alimentation serait donc devenue une nouvelle religion ? Probablement pour une partie de la population, aiguisant l’appétit de certaines start-ups qui cuisinent déjà les protéines de demain. Mais pas pour tous ! « Ceux pour qui les fins de mois sont difficiles, l’alimentation reste un besoin très primaire. Avec la flambée de l’énergie, le budget alimentaire est encore plus sous-pression », a estimé Bertrand Oudin. Face à la multiplication des injonctions et des régimes alimentaires, que dit la médecine ? « Supprimer un pan d’alimentation revient à supprimer un pan nutritionnel et de plaisir », a résumé Dominique Cellier, médecin nutritionniste, responsable métabolisme-nutrition au Centre Léon Bérard de Lyon.

Le « mieux », la meilleure réponse au « sans »

« Le mal manger a des conséquences assez dramatiques sur la santé. L’humain est omnivore par opportunisme, il aime retrouver individuellement chaque aliment. Dans ce cadre, je ne peux que conseiller la consommation d’un maximum de produits bruts, le danger venant des produits ultra-transformés et de l’excès », a poursuivi le médecin nutritionniste. Pour Agnès Giboreau, directrice du centre de recherche de l’Institut Paul Bocuse, l’équilibre passe sans aucun doute par l’objectivité et la mesure : « Le rejet complet de la viande ne touche qu’une minorité de la population. La majorité est plutôt dans une logique de réduction de la consommation (flexitarisme). Éduquer la population dès son plus jeune âge sur l’équilibre alimentaire est une nécessité, tout comme celle de fournir une information objective. Il faut arrêter de trouver des compromis : un steak est un morceau de viande, il n’a rien de végétal ». Et d’estimer que la filière viande doit aujourd’hui poursuivre les travaux engagés ces dernières années : mieux prendre en compte les évolutions sociétales en faisant évoluer les pratiques vers un impact environnemental réduit et un bien-être animal garanti, valoriser les spécificités de l’élevage français et proposer de la qualité pour compenser la baisse de quantité à travers les labels et autres IGP.

Sophie Chatenet