L'AOC Bois de Chartreuse, récente et unique sur un produit non alimentaire, entre progressivement en oeuvre. L'ONF vient de récolter de très beaux arbres. Le CIBC est venu s'assurer du respect de la procédure.

L'ONF fournit ses premiers arbres

Ça y est ! L'Office national des forêt (ONF) est bien entré dans la démarche AOC Bois de Chartreuse. Une parcelle gérée par cet organisme vient de connaître le premier contrôle lié à l'appellation mené par Jeanne-Véronique Davesne, coordinatrice au comité interprofessionnel du bois de Chartreuse (CIBC) l'organe de défense et de gestion de l'appellation. « C'est surtout une opération de pédagogie et d'information », tempère la jeune femme, « l'ONF n'étant entré dans la démarche qu'en avril 2020, soit un an après l'officialisation de l'AOC elle-même.

Roger Roux-Fouillet (ONF) repère avec Jeanne-Véronique Davesne (CIBC) la parcelle contrôlée sur une carte IGN.

Etat d'esprit forestier

« L'objectif est de créer une famille, une filière forestière spécifique, regroupée autour d'une démarche de qualité, qui permette d'unifier des valeurs et un état d'esprit. Nous en sommes simplement au début. Davantage qu'un contrôle, il y a surtout explications sur les buts de l'appellation, son fonctionnement et ses objectifs. »

Et ce jour-là, la tâche est concrète : examiner la mise en œuvre du cahier des charges de l'AOC dans une parcelle, la 86, située dans le massif au-dessus du monastère de la Grande Chartreuse. Le balisage des limites de la parcelle, le bon marquage des arbres, la gestion en futaie irrégulière, sont les bases de l'exploitation. Le diamètre minimum des sapins ou épicéas doit être de 30 cm. Ici, on a plutôt l'embarras du choix entre les fûts de... 80 cm. « Ce sont de gros arbres de plus de 200 ans, qui ont poussé lentement et que nous exploitons méticuleusement », explique Roger Roux-Fouillet, chef technicien forestier à l'ONF.

Les pratiques de gestion, de délimitation, d'abattage de la parcelle sont auscultées afin de s'assurer de la qualité de la procédure.

Bois de structure

Les mastodontes sont magnifiques. 16 mètres de long, 80 cm à hauteur d'homme (1,3 m de haut) ces spécimens sont rares, mais pas en Chartreuse. « Ne sont prélevés que les sujets en pleine maturité, grâce à une coupe directionnelle visant à n'abîmer aucun arbre autour », explique la représentante du CIBC. Le travail effectué par le bûcheron est une œuvre d'art. Un travail si parfaitement exécuté que si les branchages n'étaient pas laissés sur place pour contribuer à la biodiversité locale, on aurait du mal à voir où ont été abattus les arbres. Il y a bien les souches mais autour, très peu de traces d'abattage. Tout au plus quelques traînées laissées lors de l'enlèvement des grumes pour les rassembler sur une place de dépôt.

Balisage de la parcelle en exploitation. Opération indispensable pour gérer la cohabitation avec les promeneurs même hors saison.

« L'AOC Bois de Chartreuse porte sur des bois de structure, ce n'est pas le fût qui obtient directement l'AOC, explique Jeanne-Véronique Davesne. C'est le scieur qui la demande, mais il faut pour cela que les opérations amont portent bien sur des bois susceptibles d'entrer dans la dénomination. »

Le tri doit donc être le plus précis possible dès la parcelle forestière afin de faciliter le travail du scieur. « C'est comme le lait qui donne au final du beaufort, illustre la coordinatrice. Le lait n'est pas labellisé en tant que tel, c'est le produit fini obtenu à partir du lait qui avait certaines caractéristiques. Dans l'AOC Bois de Chartreuse, c'est pareil. C'est la pièce débitée par le scieur qui obtient l'appellation parce que la grume correspond au cahier des charges prédéfini. »

Une étiquette normalisée est appliquée sur la grume par le bûcheron afin d'assurer la traçabilité jusqu'à la scierie.

Patrimoine

Cette première coupe de l'ONF en AOC compte 700 m3 de bois destiné à la scierie Frison agréée dans l'appellation, pour des constructions bois envisagées par deux communes de Chartreuse. Le circuit est ultra-court dans ce cas-là. Mais ce n'est pas sa vocation absolue. « Nous sommes concurrencés en ce moment par les bois des Vosges et du Jura scolytés, explique Roger Roux-Fouillet. Une façon de regagner un peu de terrain est de travailler sur nos arbres en frais, sciés et séchés localement. C'est plus cohérent. Et encore on ne parle pas de bois venant de l'étranger. » Les gros bois doivent être débités dans des scieries agréées. « Il faut une scie à ruban, c'est exigé dans le cahier des charges, explique Jeanne-Véronique Davesne. Ces scies avaient tendance à disparaître au profit des scies standardisées, automatiques et de moindre capacité (45 cm de diamètre maxi). Un vrai savoir-faire local s'évaporait. C'est cela que protège l'AOC. Une provenance particulière et un patrimoine spécifique », le tout dans une forêt classée d'exception depuis 2015.

Jean-Marc Emprin