Économie
Concilier croissance économique et écologie

Morgane Poulet
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Lors de ses rencontres de l’économie, le 4 avril à Grenoble, le Crédit agricole sud Rhône-Alpes a exprimé l’urgence de réussir à allier économie et écologie.

Concilier croissance économique et écologie
Les intervenants des rencontres du Crédit agricole sud Rhône-Alpes ont donné des pistes pour envisager une économie en phase avec l'urgence climatique.

« L’humain a toujours été placé au-dessus de tout, a argué Jean-Pierre Gaillard, président du Crédit agricole sud Rhône-Alpes, lors des rencontres organisées le 4 avril à Grenoble. Le défi aujourd’hui, c’est de le placer au centre de l’écosystème afin qu’il devienne réellement un partenaire des autres équilibres. » Si derrière la croissance économique, les notions de création de valeur, d’aménagement du territoire ou encore de création d’emplois sont bien présentes, la notion de protection de l’environnement semble être totalement à la marge.
Pourtant, selon Jean-Pierre Gaillard, les banques font partie de ces acteurs qui peuvent répondre au défi écologique. Et pour cela, il faut faire en sorte que « les économies puissent se transformer ».
 
Prendre en compte les changements
 
Alpiniste depuis les années 1960, le journaliste Jean-Michel Asselin constate que les changements liés au réchauffement climatique ne datent pas d’hier. « Le refuge de la Pilatte, situé à 2 577m de haut dans Les Ecrins, est fermé depuis un an car il a été construit sur un socle granitique soutenu par le glacier de la Pilatte, qui a perdu 50 m d’épaisseur en quelques années. Il reposait vraiment sur le permafrost. Et maintenant, le refuse se casse en deux », cite-t-il comme exemple criant.
Si pour lui, l’homme a été assez maladroit vis-à-vis de la montagne, il faut trouver une solution de toute urgence, effectuer une « réconciliation entre économie et écologie, deux entités qui ne peuvent plus marcher l’une sans l’autre ». Pour autant, il assure être « très optimiste » car il estime que les jeunes d’aujourd’hui sont « plus connectés » que les jeunes de son époque.
 
« La planète s’en tirera »
 
Comme le rappelle Olivier Hamant, chercheur à l’Inrae, la dernière fois que la planète a connu une température trop chaude de deux degrés, « c’était il y a 120 000 ans, car la terre était plus proche du soleil ». Des traces de tempêtes maritimes déplaçant des rochers de 1 000 tonnes subsistent par exemple. Or, aujourd’hui, ces mêmes tempêtes ne déplacent plus que des rochers dix fois moins lourds. « La planète a déjà connu des bouleversements climatiques et s’en tirera », clame Jean-Michel Asselin.
Néanmoins, 2030 marquera un basculement fondamental, pour le chercheur. « C’est ce que j’appelle la fin du néolithique, car le constat est que nous avons tellement voulu contrôler la nature en transformant le dehors en un dedans que nous avons perdu le contrôle. » Un monde dans lequel l’homme n’a plus le contrôle reste donc à inventer, d’autant plus que des limites planétaires, qui définissent l’espace de viabilité de l’humanité sur terre, ont déjà été franchies au nombre de trois.
Olivier Hamant prend l’exemple de des terres immergées. En ce qui concerne la faune, elle est divisée aux deux tiers par des animaux domestiqués en masse et d’un tiers par les hommes. Seulement 3 % d’animaux sauvages y vivent encore. En vingt ans, les zones urbanisées européennes ont également vu un déclin de 80 % des insectes.
Et s’il cite des exemples liés à la faune, c’est parce qu’il explique que « la biodiversité va avec le service écosystémique », c’est-à-dire l’alimentation, les biomatériaux, la médecine, la pharmacie ou encore les services de dépollution des sols. Tous ces services gratuits, qui existent grâce à la croissance économique, valent pour lui plus que le PIB mondial et ne fonctionnent que s’il y a un haut niveau de biodiversité.
 
Revoir le système
 
Des contraintes poussent aujourd’hui l’humanité à changer de système, alors même qu’il lui a tout apporté. Elles sont pour Maxence Cordiez, membre du comité d’experts « Connaissance des énergies » et ingénieur au CEA de Saclay, au nombre de deux : l’épuisement des combustibles fossiles, comme le pétrole et le gaz, qui deviennent de plus en plus difficile à aller chercher ; le réchauffement climatique.
80 % de l’énergie mondiale est aujourd’hui produite par des combustibles fossiles. Et la première énergie mondiale est le pétrole. Le nucléaire ne représente quant à lui que 18 % de l’énergie consommée. Le problème réside dans le fait que pour se passer de combustibles fossiles, il faudra utiliser des métaux, ce qui créera des tensions. Par exemple, pour exploiter du lithium, il faut compter une dizaine d’années pour ouvrir une mine. L’anticipation est donc de mise. Il existe également des contraintes environnementales, car s’il y a un gisement mais pas d’eau à proximité, il sera difficile d’extraire le matériau. Les oppositions sont quant à elles de plus en plus fortes, en Europe comme au Pérou, pays à la forte culture minière.
 
Réponses vertueuses
 
Le système économique a alors tout son rôle à jouer pour répondre à l’urgence climatique. Le décret tertiaire, par exemple, permet d’offrir « un cadre qui oblige les structurent à atteindre un certain nombre d’objectifs », commente Caroline Bouvard, directrice générale adjointe économie et attractivité à Grenoble-Alpes-Métropole. Ce décret prévoit, pour les entreprises du secteur tertiaire, une réduction de leur consommation d’énergie de 40 % d’ici à 2030, de 50 % d’ici à 2040 et de 60 % d’ici à 2050.
Pour Michel Ferrier, président de Solarparc, il y a tout intérêt à investir dans les bâtiments intelligents et passifs, « qui ne consomment rien » grâce à leur très bonne isolation par l’extérieur. Le photovoltaïque peut également constituer une réponse vertueuse pour remplacer les énergies fossiles. Une fois que les populations prennent conscience de l’urgence à changer de mode de vie, les solutions peuvent être multiples. Et dans les collectivités, des investissements pour moderniser l’éclairage public par des ampoules LED constitue une solution intéressante.
La méthanisation constitue également une option pérenne. En France, 80 % des matières méthanisables sont d’origine agricole, le reste provenant d’industries agroalimentaires ou encore d’ordures ménagères. Pour Pauline Evrard-Guespin, directrice territoriale à GRDF, en plus d’être une solution pour lutter contre le réchauffement climatique, « le biogaz constitue un bon sens économique car les trois quarts de sa valeur économique se trouve sur les territoires, le reste en Europe ». La filière s’est d’ailleurs considérablement développée, passant de zéro site de méthanisation il y a une dizaine d’années à 140 aujourd’hui. Et les particuliers peuvent tout à fait soutenir ces sites, notamment en souscrivant un contrat de gaz vert.
Certains se sont déjà adaptés à la nécessité de changer de canaux de consommation, comme l’explique Delphine Martinez, directrice d’Ahlstrom-Munksjö à Brignoud. « Avec la crise sanitaire, il n’y avait plus de matériaux, et la R&D nous a aidés à trouver de nouvelles recettes pour pallier les pénuries de matière. »
Et selon Pierre Fort, directeur du Crédit agricole sud Rhône-Alpes, c’est en passant de « la prise de conscience à l’action individuelle et collective » qu’un avenir pourra être construit pour l’environnement, sans pour autant empêcher l’économie de tourner.

Morgane Poulet