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Crise aux sommets

Isabelle Doucet
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Les bergers et bergères de l’Isère, réunis sous une bannière syndicale, ont manifesté devant la Chambre d’agriculture de l’Isère. Leurs conditions de travail sont prises très au sérieux par la FDSEA, le syndicat patronal qui est l'instance représentative des employeurs.

Crise aux sommets
Les bergers, soutenus par la CGT, sont restés toute la matinée devant la Chambre d'agriculture de l'Isère.

Jeudi 27 avril, 7 h 30, Maison des agriculteurs à Moirans. Le petit groupe s’active. Un barnum est déplié devant l’entrée du bâtiment. Dessus, un gros logo : CGT.
Le syndicat des gardiens de troupeau (SGT), affilié à la centrale syndicale ouvrière a décidé de mener une action devant les locaux de la représentation agricole pour « dénoncer les conditions de travail des bergers durant les saisons d’alpages » et « le refus de toute négociation de la part de la FDSEA en écartant les dates de réunion proposées par la Direction du travail (DETS) ».
Dans la matinée, une délégation a été reçue par les responsables de la FDSEA de l'Isère (représentante des employeurs agricoles) et de la Chambre d’agriculture de l'Isère pour échanger sur leurs revendications.

Conditions de logement

« Nous voulons visibiliser nos conditions de travail car elles sont dures et les employeurs ne veulent ni les reconnaître ni évoluer », explique l’un des porte-parole.
« Au lieu de s’opposer, la CGT a signé la nouvelle convention collective nationale des salariés agricoles, mais il y a normalement des adaptations départementales. En ce qui concerne les bergers, il y a des avenants en Savoie, dans les Hautes-Alpes, mais l’Isère n’en a pas et ne veut pas en voir. »
Sur le fond, même si certains reconnaissent que des employeurs dans les alpages font des efforts pour améliorer les conditions de travail, tous ne sont pas au même niveau.
« Il arrive souvent que l’on nous vante les qualités d’un alpage et de ses installations, mais on découvre une réalité différente au cours de la saison. La cabane est branchée à l’eau ? Oui, mais dans un ruisseau autour duquel paissent les bêtes. Cela arrive d’attraper des diarrhées. »
Le logement est une des conditions sur laquelle les saisonniers deviennent exigeants. « La loi donne le chiffre de 9 m2 par personne. Mais même quand il y a une cabane, ce n’est pas beaucoup. Un berger qui veut passer l’été avec sa femme et son enfant est à l’étroit dans un tel endroit. » D’autres dénoncent des conditions très variables : « On peut simplement nous indiquer de planter une tente, ou d’emmener un camion aménagé pour nous loger. » `

Salariés compétents

Côté équipement de travail, la plupart dénoncent la prise en charge personnelle de leurs chaussures, ciré, ou parapluie antifoudre. « Pourtant tout cela relève de l’équipement de protection individuelle (EPI) que d’autres salariés voient fourni par leur employeur. »
Alors pourquoi font-ils ce métier ? « Parce que nous nous sommes formés pour cela, avance l’un d’eux, que nous avons envie de faire ce métier comme d’autres ont envie d’être boulanger ou mécanicien. »
« Je veux casser l’image idyllique d’un métier passion, avec toute un environnement poétique,
dit une bergère. C’est simplement notre gagne-pain, nous ne savons faire que ça. »
Un porte-parole s’interroge devant l’ambiguïté des employeurs : « Ils veulent des salariés compétents, bien formés, expérimentés. C’est normal, c’est plus sécurisant pour eux d’avoir quelqu’un qui connaît bien les bêtes et l’alpage. Il vaut mieux les fidéliser. Mais d’autres vont au moins disant, faisant quelquefois venir des bergers sous le statut de travailleurs détachés. Nous naviguons dans cet entre-deux. Il vaudrait mieux arriver à se mettre autour d’une table et négocier pour que tout le monde s’y retrouve. »

Rendez-vous le 25 mai

Le mouvement du Syndicat des gardiens de troupeau (SGT38) n’est pas une surprise pour les représentants patronaux.
« Le SGT a provoqué cette manifestation car il ne voyait rien arriver, mais la date de rencontre était déjà fixée, le 25 mai prochain », explique Guy Durand, éleveur dans le Vercors, représentant de la Fédération des alpages de l’Isère (FAI) et administrateur de la FDSEA Isère.
Sur la difficulté à trouver une date de rencontre pour échanger sur les conditions de travail, les responsables de la FDSEA s’en expliquent.
La première date proposée fin 2022 n’avait pu être honorée car, victime d’un grave accident, le représentant des employeurs était dans l’incapacité de se présenter. « Puis la direction du Travail n’a pas proposé d’autres dates assez tôt », poursuit l’éleveur.

Un métier dur

Guy Durand et Alexandre Escoffier, vice-président de la Chambre d’agriculture de l’Isère et de la FDSEA, ont reçu dans la matinée une délégation de cinq personnes, bergères et bergers, ainsi qu’un représentant régional de la CGT sur les questions agricoles, Damien Ferrier.
Ils sont tombés d’accord pour se mettre autour de la table le 25 mai.
« Il y a du travail sur les conditions en alpages, reconnaît Guy Durand. Les bergers ont des besoins – normaux - que ceux des années 70 n’avaient pas. La législation a évolué, il est normal qu’elle évolue aussi pour les bergers. »
Il explique que la Fédération des alpages de l’Isère travaille sur la question depuis 15 ans.
« Il y a des avancées, on fait souvent venir l’inspection du travail. Les chalets sont de mieux en mieux équipés, il y a de plus en plus de facilités d’hébergement et de remplacement et tous les groupements pastoraux ont bien compris que les bergers ont besoin d’un jour de repos par semaine ou de couper la saison en prenant quelques jours. Le Département, avec ses partenaires comme la MSA a d’ailleurs créé pour cette saison un poste de berger remplaçant, que l’État n’a pas voulu financer. »
Il ajoute : « On a le souci du bien-être du berger, mais ce n’est pas simple : le troupeau se déplace, il y a la prédation, la sécheresse, le manque d’eau, la météo, des incertitudes à gérer en permanence. C’est un métier de plus en plus dur et les exploitations d’élevage ont de plus en plus besoin du pastoralisme en raison du manque de fourrages ».

Un avenant de massif

Il y a près de 140 bergers employés en Isère en saison, contre seulement 30 il y a 30 ans.
La prédation explique le besoin accru de surveillance des troupeaux. Le métier et les profils des bergers ont donc beaucoup évolué, moins vite que les textes.
La question de l’avenant est liée à celle de la nouvelle Convention collective nationale de production agricole, applicable depuis 2020, au terme de longues négociations.
Mais le métier de berger est tellement difficile à codifier que ses usages sont en inadéquation avec les textes. Et l’avenant est encore à écrire.
Pour Jérôme Crozat, le président de la FDSEA, un tel avenant n’a de sens qu’à l’échelle d’un massif, « prenant en compte les spécificités du métier de berger ».
Une telle convention réclamera du temps avant qu’un texte puisse être produit, c’est la raison pour laquelle le SGT plaide pour une règle départementale et un alignement sur le mieux disant.
« Nous avons tous envie d’aller vers quelque chose qui va bien, surtout pour nos alpages. Nous avons besoin des bergers et nous sommes soucieux de leurs conditions de travail », lance Guy Durand.
Jean-Marc Emprin et Isabelle Doucet