Rentrée agricole
Devoirs de rentrées

Le Conseil de l'agriculture du département s'est réuni à Izeaux le 5 septembre pour évoquer les dossiers chauds de la rentrée avec les élus de l'Isère. Des échanges souvent vifs, mais sans langue de bois.
Devoirs de rentrées

L'annulation de la foire de Beaucroissant n'a pas empêché le monde agricole de faire sa rentrée politique. Le Conseil de l'agriculture du département (CAD) s'est tenu le 5 septembre au Gaec du soleil levant, à Izeaux, à quelques centaines de mètres du traditionnel champ de foire. Eleveurs laitiers inscrits dans la filière saint-marcellin, Michel Bélissard et ses deux fils ont accueilli les élus en évoquant à grands traits leur quotidien et leur sentiment d'être « déphasés », comme une grande partie de la profession. « Nous travaillons près de 60 heures par semaine et aimerions embaucher pour n'en faire plus que 40, mais nos produits ne sont pas suffisamment bien valorisés », a expliqué l'éléveur après avoir détaillé combien la sécheresse et le manque d'eau compliquent la donne.

Pas d'agriculture sans eau

Une belle entrée en matière pour Jean-Claude Darlet qui a rappelé à la dizaine d'élus locaux et nationaux présents qu'« il n'y aura pas d'agriculture sans eau ». Mentionnant les difficultés pour instruire les dossiers en faveur des systèmes d'irrigation ou du stockage de l'eau, le président de la chambre d'agriculture a insisté sur la nécessité de développer des réseaux d'irrigation pour toutes les filières. « Nous faisons un travail conséquent depuis des années pour préserver la ressource en eau, cultiver des productions moins gourmandes et baisser notre consommation en eau tout en développant les surfaces irriguées, a-t-il indiqué. Malgré cela, nous nous heurtons à des surenchères administratives colossales. Sous prétexte qu'on risque de déranger deux chauves-souris et trois libellules, on risque de planter des projets qui pourraient pérenniser un grand nombre d'exploitations iséroires pendant des dizaines d'années ! Mesdames et messieurs les parlementaires, faites-en sorte que l'on ne devienne pas fous face aux contraintes administratives. L'avenir de l'agriculture en dépend. »

Le propos fait mouche. « J'entends ce que vous dites, a réagi Elodie Jacquier-Laforge, députée de la 9ème circonscription. Je crois qu'il faut que l'on sorte de ces oppositions [entre agriculture et environnement, NDLR]. Il n'est pas normal qu'une retenue d'eau demande huit à dix ans d'instruction. Si vous rencontrez des difficultés, je vous invite à prendre contact avec nous. Nous sommes là pour vous accompagner. N'hésitez pas à nous solliciter. »

Signalant les « six millions d'euros » débloqués chaque année pour financer l'irrigation, Yannick Neuder a mis l'accent sur le soutien de la Région aux agriculteurs, tout en les invitant à la hardiesse. « L'argent, c'est important, mais ça ne fera pas tout, a déclaré le vice-président délégué à l'enseignement supérieur, à la recherche, à l'innovation, aux fonds européens et à la santé. Il faut se concentrer sur la recherche et l'innovation. C'est mon dada. Installer de l'irrigation, même économe, ça ne fera pas venir l'eau. Il faut travailler sur plusieurs pistes, et notamment diversifier les productions pour diversifier les revenus. »

Guerre des prix

Le CAD est ensuite revenu sur le bilan insatisfaisant de la loi Egalim, notamment certaines « aberrations » concernant la séparation entre la vente et le conseil pour l'utilisation des produits phytosanitaires, la contractualisation ou la restauration hors domicile (RHD).

Eric Chavrot, le président de Dauphidrom, a fait remarquer que « pendant la crise sanitaire, la RHD a été stoppée et le groupe Sicarev a stocké, congelé. Aujourd'hui, nous l'invitons à passer commande, mais nous avons eu zéro retour ». L'éleveur a également rappelé que les GMS, en jouant la carte du local, cherchaient surtout à « s'acheter une image de marque. Derrière, elle nous serre les prix ».

La guerre des prix a en effet repris de plus belle depuis quelques semaines. « C'est reparti comme avant, a déploré Jérôme Crozat. Les OP existent, mais ça patine. Chez Danone comme chez les autres, le seul but, c'est d'acheter la matière première le moins cher possible. » Philippe Poncet, éleveur à Val-de-Virieu et président de l'OP Danone Sud-Est, a confirmé. Il a également déclaré vouloir travailler sur les volumes et sur la reconduction de la mention de l'origine française, car beaucoup de produits laitiers contiennent de la poudre de lait... rarement française. « Il faut que nous trouvions des partenaires pour nous aider à mentionner l'origine de la poudre de lait, et surtout développer une poudre de lait locale. »

Artisan du Pôle agroalimentaire de l'Isère, le président du Département s'est dit « prêt à creuser toutes les pistes », mais a exprimé ses doutes sur celle de la poudre de lait local. « Dire qu'on va valoriser du lait local en poudre, c'est avoir une vision angélique de l'industrie, a fait remarquer Jean-Pierre Barbier. Quel est l'industriel qui va acheter de la poudre deux fois plus cher parce qu'elle est locale ? Pour valoriser le lait local, il y a quelque chose de plus simple : c'est l'embouteillage. En Isère, on a les producteurs, la collecte et l'outil. C'est un sujet sur lequel on travaille depuis deux ou trois ans, mais je n'ai pas le sentiment qu'on avance beaucoup. » Et le président Barbier de saluer des démarches comme celles de la maison Cholat ou de la coopérative Dauphinoise qui, avec des produits quotidiens de grande consommation - le pain et les œufs - font office de « locomotives » pour la marque IsHere. « Vous prêchez un convaincu », a répondu Jérôme Crozat.

Danger populiste

Le président du CAD s'en est ensuite pris aux initiatives de certains mouvements associatifs. « On fait croire que tout le monde peut décider de tout, a dénoncé Jérôme Crozat. Dans notre département, nous avons un jeune agriculteur qui veut s'installer avec 600 veaux dans la commune de Bizonnes : une pétition circule contre le projet et le maire a reçu des courriers d'injures. Ne laissons pas décider des minorités ! » Le syndicaliste a également mis en garde les élus contre le « danger populiste » représenté par une pétition en faveur d'un référendum d'initiative populaire sur le bien-être animal ou la consultation sur la PAC.

Dans un même ordre d'idée, Jean-Claude Darlet a quant à lui fait part de son exaspération au sujet du loup et, plus largement, des outils de vidéosurveillance mis en place pour contrôler les faits et gestes de la profession. « Tout le monde veut surveiller ce que fait l'agriculteur sur ses parcelles », s'est-il indigné, en pointant « les dérives auxquelles conduisent cette c... de loup. » Chez les élus, tout le monde s'accorde à dire qu'il faut sortir de l'impasse. Mais « c'est compliqué, a souligné Monique Limon, député de la 7ème circonscription. L'Assemblée étant le reflet de la société, il est difficile de se faire entendre en faveur de l'éradication du loup ». Et si le sénateur Michel Savin s'est une nouvelle fois prononcé en faveur de la modification du statut du loup dans la convention de Berne, son collègue Guillaume Gontard a rappelé que sortir le prédateur de la liste des espèces protégées poserait la question de l'indemnisation des attaques. 

Marianne Boilève