Syndicalisme
La valeur ajoutée, grande perdante de la crise sanitaire

Marianne Boilève
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Lors de l'assemblée générale du territoire Saint-Marcellin-Vercors-Isère Communauté, qui s'est déroulée le 1er décembre à la MFR de Chatte, les agriculteurs de la FDSEA ont fait part de leur vive inquiétude quant aux prix annoncés dans la plupart des filières.

La valeur ajoutée, grande perdante de la crise sanitaire
Les pratiques et la question du prix des noix ont longuement été débattues à l'assemblée générale de la FDSEA qui s'est tenue le 1er décembre à Chatte.

Quand on les invite à faire le bilan de l'année en cours, les agriculteurs du Sud Grésivaudan affichent une belle unanimité. En positif : la récolte de noix. En négatif : le prix des noix. A Chatte, le 1er décembre, ils ont profité de l'assemblée générale du territoire Saint-Marcellin-Vercors-Isère Communauté pour exprimer leur vive inquiétude. «En partant trop bas avec une grille un peu basse, Coopénoix a foutu le feu», a d’emblée dénoncé un adhérent. Robert Giroud, ancien exploitant à Tullins, s'est dit «outré» par les prix payés aux producteurs. «Certains négociants se font des marges énormes», accuse-t-il. 

Prix alarmants

 Administrateur de la FDSEA, Gilles Charbonnel convient qu'il y a «un gros problème». Producteur de noix à Saint-Romans, il ne cache pas son désarroi : «Quand on voit le prix moyen des noix - autour de 2,20-2,30 euros -, on se demande comment c'est possible. Personnellement, je ne sais plus comment faire.» Un propos corroboré par de nombreux adhérents, comme Bastien Michallet, qui est en train de convertir sa ferme de Cognin-les-Gorges à l’agriculture biologique : le jeune exploitant se dit «assez content» de l'année écoulée, mais s’alarme des prix annoncés. 

Vente directe

Chez les agriculteurs qui combinent plusieurs ateliers, les retours sont à peine meilleurs. Raphaël Gaillard, en polyculture-élevage à Saint-Vérand, explique que, sur l’ensemble de ses productions (charcuterie, colis de viande et noix), « la noix représentait avant 50% du chiffre d’affaires. Mais c’était avant… » Par chance, cette année, la vente directe a augmenté de 30 à 35% à la faveur du confinement. Mathématiquement, cette belle performance a conduit à une hausse des charges… et de la charge de travail. «La vente directe, c’est bien, mais c’est lourd à suivre»,  conclut l’éleveur.

Sécurité

Bruno Neyroud, producteur de noix, lait et bois à Varacieux, décrit l’ambivalence de la situation. «Le point positif, c'est qu'on a le double de production de l'année passée, constate-t-il en faisant allusion au désastre de l'automne 2019. J'aurais du mal à dire un prix, car je ne connais pas la grille. Je livre à la coopérative. C'est une sécurité : on est toujours payé, mais il faut de la qualité. En revanche, le point le plus négatif, c'est le prix des cerneaux : j'ai du mal à comprendre qu'il soit si bas.» Deux explications sont avancées par ses collègues : la production américaine et les stocks de la coopérative.

Muscler l’AOP ?

Face à la grogne des producteurs, Alexandre Escoffier se demande si la solution ne serait pas de muscler le cahier des charges de l'AOP. «Est-ce qu'il ne faudrait pas qu'il soit plus draconien ? Je pose la question… » C’est le moment de jouer collectif, ajoute le président de FDSEA. Rappelant que, « sur le marché international, le consommateur veut de la noix française », Jérôme Crozat encourage les interprofessions de la noix de Grenoble et du Périgord à s’allier plutôt que de se tirer dans les pattes. « Il faut qu’elles unissent leurs forces pour vendre sur le marché mondial », préconise-t-il, appelant les producteurs à se mobiliser « pour faire fonctionner la filière » et renforcer l’interprofession au niveau national, quitte à « former deux ou trois gars pour prendre la relève ».

Inquiétude légitime

Les autres productions n’incitent pas plus à l’optimisme. Des céréales à la viande, la plupart des voyants sont en alerte, y compris pour les filières de qualité. En témoigne le prix moyen du lait en IGP saint-marcellin, un peu inférieur à celui de 2019, avec une cotation en dessous 400 euros les 1 000 litres. Pour Bruno Neyroud, président du comité du saint-marcellin, l’inquiétude des producteurs est d’autant plus légitime que la restauration hors domicile, grande consommatrice de produits haut de gamme, est à la peine, voire à l’arrêt complet pour ce qui est de la restauration commerciale.

Viande bovine en berne

La remarque vaut également pour la viande bovine qui n’offre « aucune perspective », selon certains producteurs. Sécheresses à répétition, baisse de la consommation hors domicile, absence de débouchés vers l’Italie pour les broutards : la conjoncture est plus que morose. Et les prix s’en ressentent : la valorisation d’un bovin viande est devenu pratiquement équivalente à celle d’une vache de réforme. Certains parviennent à maintenir un prix grâce à un cahier des charges exigeant, comme les Eleveurs de saveurs iséroises, ou en pratiquant la vente directe. « C’est une solution, mais c’est aussi une organisation », prévient Raphaël Gaillard. 

Propositions alléchantes

Elu à la chambre d’agriculture, Alexandre Escoffier évoque une réflexion en cours pour équiper l’abattoir de Grenoble d’un atelier de steak haché surgelé. Depuis le printemps, les ventes de steak haché ont en effet augmenté de plus de 50% à l’échelle nationale. La question mérite d’être étudiée, comme celle d’autres productions porteuses, notamment l’élevage de poulet, « la seule viande dont la consommation augmente », selon Raphaël Gaillard. Mais attention à bien réfléchir à son modèle et ne pas forcément céder aux « propositions alléchantes », avertit Cédric Ruzzin, producteur de volailles et de noix à Poliénas. « Quand j’enlève l’investissement, les coûts de production et maintenant les charges liées à la grippe aviaire, il ne me reste pas gras sur mes lots », indique le producteur… pourtant en Label rouge.


Marianne Boilève