Stratégie
Lait local : des briques Plein lait Yeux

Marianne Boilève
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Constitué en association fin octobre, un collectif de producteurs laitiers du Sud-Isère veut mettre sur le marché isérois des briques de lait local et équitable dès le printemps 2021. Collecté par Sodiaal et conditionné dans l'usine Candia de Vienne (Isère), le lait devrait être commercialisé sous la marque IsHere.

Lait local : des briques Plein lait Yeux
L'association Plein Lait Yeux Isère va commercialiser un lait de consommation local et équitable, collecté dans le Sud-Isère, dès le printemps 2021.

Ça y est ! Le collectif de producteurs laitiers à l'origine du projet de lait de consommation isérois s'est choisi un nom : « Plein lait Yeux Isère ». Constitué en association lors d'une assemblée générale réunie à Susville (Isère) le 27 octobre, il s'est également donné des statuts et une existence juridique, qui vont lui permettre d'entrer dans la phase opérationnelle de la démarche. Son objectif est de commercialiser, dès le printemps 2021, du « lait en direct, à travers la mise en place d'un lait de consommation local et équitable ». « Issu de nos territoires de montagne », précise Philippe Luyat, le président de la toute jeune association.

Orlanne Arthaud, productrice de lait à Tréminis, apprécie le projet Plein Lait Yeux pour sa dimension collective

Pour la quinzaine de producteurs laitiers du Trièves et de Matheysine engagés dans le projet, la mention est importante. Tous sous contrat avec Lactalis mais collectés par Sodiaal, ils savent que l'avenir du lait en montagne est en grande partie conditionné à son ramassage. Et que cette collecte a un coût : les laiteries ne manquent pas de le rappeler à chaque négociation. D'ailleurs, dans ses statuts, Plein lait Yeux Isère spécifie bien que le groupement entend « acheter le lait aux producteurs », « tout en leur assurant une meilleure rémunération ». Certes ce ne seront que quelques centimes de plus par rapport à ce que paie Lactalis, « mais c'est toujours ça de pris », souffle une éleveuse du Trièves. « Le gros intérêt de ce projet, c'est que l'on minimise les risques, puisque l'on conserve nos quotas et notre contrat avec notre laiterie », ajoute Stéphane Bonnois, producteur à Villard-Saint-Christophe.

Travail à façon

Plein lait Yeux Isère a fait le choix d'un mode opératoire simple. L'association va acheter à Sodiaal le lait collecté dans la zone Sud-Isère (100 à 200 000 litres la première année) et passer un contrat de travail à façon (TAF) avec l'usine Candia de Vienne (Isère) pour le conditionnement. Plein lait Yeux récupèrera des palettes de 700 briques de lait portant sa signature et se chargera de la commercialisation, en principe sous la marque IsHere. Sa stratégie est de cibler surtout les grandes et moyennes surfaces (GMS), qui prennent généralement de gros volumes. La logistique sera assurée par une société de transport locale. Plusieurs prestataires sont d'ores et déjà en lice.

Démarchage maison

« Reste à régler la question du tarif de rachat auprès des GMS », a annoncé Thomas Huver aux producteurs le 27 octobre, lors de l'assemblée générale constitutive. Le technicien filière lait de la chambre d'agriculture, qui connaît bien le dossier puisqu'il accompagne les producteurs depuis le début, sait que le chantier est délicat. Mais il est du ressort des éleveurs. « Pour les aspects administratifs, nous pouvons nous en occuper, a expliqué le conseiller. Pour le volet commercial en revanche, vous serez plus performants, même si vous n'êtes pas des commerciaux. Si vous allez vous-mêmes dans les GMS, les directeurs ou les chefs de rayon n'auront pas la même écoute. Ils seront plus attentifs que face à nous, les techniciens de la chambre. »

Sachant que le coût de la brique d'un litre de lait demi-écrémé UHT en sortie d'usine est de 90 centimes (38 centimes payés au producteur + frais de colllecte, de conditionnement et de logistique), la négociation sur les marges des GMS risque d'être serrée. « C'est le chantier des trois prochains mois », convient Thomas Huver. Mais sa collègue Nathalie Grosjean, qui s'occupe des Eleveurs de saveurs iséroises, se montre rassurante : « Généralement, ça commence par un rendez-vous physique pris par l'éleveur dans une grande surface près de chez lui. Il se fait accompagner par le président de l'association. C'est l'occasion d'expliquer le projet et de se mettre d'accord. »

Coup de pub

On sent les producteurs motivés, mais tout même sur le qui-vive. « Dans notre secteur, nous n'aurons pas de mal à vendre notre produit, estime Stéphane Bonnois. Mais au-delà, ce sera plus compliqué. Cela dit, notre lait peut leur faire un petit coup de pub. Après tout, le local est à la mode... » Pour faciliter les démarches, Thomas Huver propose de travailler en lien avec le Pôle agroalimentaire et la marque IsHere qui disposent d'une force de frappe à l'échelle du département. « Les GMS ne vont-elles pas nous demander des promotions ? », s'inquiète Philippe Luyat. Rôdée à l'exercice avec les Eleveurs de saveurs, Nathalie Grosjean le tranquillise : « Il peut y avoir un peu de négociation, mais quand le prix est bien expliqué, un responsable de GMS peut l'entendre. » D'autant que sur le marché du lait isérois, il y a de la place.

Marketing : choisir le bon message... et une image
Séance de créativité à Susville.

Marketing : choisir le bon message... et une image

Plein lait Yeux Isère a un statut juridique. Reste à lui dessiner une identité visuelle. Très investi dans le projet, le petit noyau de producteurs laitiers déborde d'imagination. Tous tiennent à ce que le consommateur établisse un lien entre le lait, les producteurs et les paysages du Sud-Isère. Mais quel symbole choisir ? Des photos d'éleveurs avec leurs vaches ? La sihouette de l'Obiou ? Celle la Pierre Percée ? Le petit train de La Mure ?

Logo

Face aux propositions de visuels et de logos présentés par les techniciens de la chambre d'agriculture, chacun réagit, suggère, argumente avec cœur et conviction. Le débat s'engage sur le message à faire passer. Les idées fusent. « Sur la brique, est-ce qu'il vaut mieux communiquer sur le lait IsHere ou sur notre association ? », se demandent les éleveurs. Les techniciens les épaulent, sans jamais décider à leur place. « Il ne faut pas mettre trop d'infos sur la brique pour ne pas perdre le consommateur », prévient Nathalie Grosjean. « Imaginons le consommateur dans le rayon lait d'une grande surface. Il faut un message explicite », lance Philippe Luyat. Au final, les éleveurs s'accordent sur une information simple : un lait 100% local, équitable et de qualité. Pour le visuel, c'est une autre histoire. Le petit train de La Mure et l'Obiou ont chacun leurs partisans...
MB