Gel d'avril
« On aurait dit qu’il y avait eu le feu »

Isabelle Doucet
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La DDT de l’Isère a procédé à une première visite de terrain dans la vallée du Rhône en vue de déclencher le dispositif des calamités agricoles suite à l’épisode de gel du début avril. 

« On aurait dit qu’il y avait eu le feu »
Chez Jérôme Jury à Saint-Prim, les vergers sont anéantis en dépit de leurs protections.

La première visite d’expertise menée par la DDT en vue du déclenchement du dispositif de calamité agricole s’est effectuée mardi 27 avril dans le Roussillonnais. 
Le plus saisissant est sans doute le spectacle des cerisiers parés de brun, les couleurs de leurs fleurs mortuaires. Sept exploitations visitées, entre Sablons et Saint-Prim et partout le même spectacle de désolation suite à  l’épisode de gel des 6, 7 et 8 avril derniers. 
A Roussillon, Roland Manière a vu ses 12 hectares de fruitiers décimés. « C’est la sixième année que nous avons du gel sur le plateau de Louze », explique-t-il.  Les abricots et les pêchers avaient un mois d’avance lorsque le gel est arrivé.

Roland Manière, arboriculteur à Roussillon et Bénédicte Bernardin, de la DDT, constatent les dégâts du gel dans le verger.


« C’était une année prometteuse », poursuit l’arboriculteur avant d’ajouter : « Je n’ai jamais eu de récolte sur ces arbres plantés il y a cinq ans ». Ses cerises sont anéanties et les pommiers aussi font grise mine. « Peut-être en restera-t-il quelques-unes, glisse-t-il. Cela dépend de la variété et de l’exposition. Parfois les fleurs sont ouvertes, mais quand on regarde de près, on voit que le pistil a gelé. »

« Il faut sauver l’exploitation »

Spectacle de désolation total aussi dans le même secteur, chez Florence Besset, à Clonas-sur-Varèze. L’EARL produit toutes sortes de fruits frais et transformés vendus en direct dans deux magasins de producteurs et sur deux marchés de plein vent.
« L’exploitation est en péril », déclare la jeune femme qui s’est installée après ses parents en 2006. « Nous avons eu -7° et ça a duré longtemps ». Les fruitiers sont perdus.
Sur le cerisiers « on aurait dit qu’il y avait eu le feu, c’était marron, cramé », décrit Florence Besset. Elle estime à 85 ou 90% la perte sur les pommiers. Figuiers et cognassiers ne donneront aucun fruit.
Les groseilliers et cassissiers sont en sursis. « Cela a gelé bas, y compris sur les asperges ».

Chez Florence Besset, à Clonas-sur-Varèze, toutes les productions ont été touchées.

Les pertes en fraises plein champ sont estimées à 25%. Seule la vigne de raisin de table, qui n’avait pas été taillée, n’a pas été touchée. La mairie de Clonas lui a proposé de ne pas payer la location des communaux où sont plantés les vergers. « C’est déjà ça ».
Florence Besset ajoute : « Il faut sauver l’exploitation, c’est une exploitation viable, nous recrutons du monde. » Car si l’EARL n’embauchera pas de saisonniers, il y aura du travail pour ses permanents afin de remettre l’exploitation en état. 

 « L’abricot, j’y croyais ! »

A Auberive-sur-Varèze, Jérôme Jury a perdu l’intégralité de sa parcelle d’abricotiers plantés en 2013.
« J’ai investi un million d’euros, c’est le mieux de ce qui se fait en arboriculture », explique-t-il. Microjets, filets paragrêle et contre le carpocapse recouvrent les 15 ha du verger.
Le soir du gel, il a installé 6 000 bougies. « Il a fait –6,3° sous filet, cela n’y a rien fait. Et c’est la double peine car je suis assuré et je ne suis donc pas éligible aux aides au titre de la calamité agricole. Mais l’assurance ne couvrira que la cotisation et les 4 000 euros de la lutte antigel ».
A Saint-Prim, la parcelle de pommes gala de 4 ha, qui était en fleur début avril, a gelé à 98%. « J’espère que sur les fleurs secondaires, celles qui se sont ouvertes après, il y aura quelques fruits », poursuit Jérôme Jury.
Des floraisons de plus en plus précoces, des coups de froids intenses au printemps : le changement climatique bouleverse profondément la conduite des vergers. 
Jérôme Jury a pris quelques décisions radicales. Après avoir arraché un tiers de ses cerisiers l’an passé, il supprime les abricotiers cette année. Ingérables. « Les fruits à noyau sont trop exposés aux aléas climatiques. Je vais garder en priorité les vergers protégés, explique-t-il. Pourtant, l’abricot, j’y croyais ! » A la place, il installe des serres avec des fraises.

Ne pas rester à l'écart des dispositifs

La mission a observé l’apparition de bactériose sur des pêchers. Une surveillance étroite des arbres sera de mise cette saison, sûrement accompagnée d’une taille sévère.
« Il faut qu’il pleuve et laisser faire la nature », indique Roland Manière. Il prévoit un traitement contre les pucerons et la pose de capsules contre le carpocapse « pour ne pas se laisser envahir ».
Florence Besset a déjà fait ses arbitrages. « Nous voulions faire passer l’intercep pour éviter les désherbants, mais nous n’avions pas de quoi payer. Heureusement, j’ai pu m’arranger avec la banque. Je n’ai pas l’habitude de faire des dossiers. Mais si je n’en fais pas cette année, on est mort. »
Sur certains fruitiers, une deuxième floraison laisse espérer quelques fruits, sûrement petits. 
Marie Mallet, conseillère à la chambre d’agriculture, insiste auprès des agriculteurs afin qu’ils retournent le questionnaire de recensement des dégâts.
Bénédicte Bernardin, directrice adjointe du service agriculture de la DDT et Cécile Gallin-Martel, se disent aussi à la disposition des arboriculteurs pour qu’ils ne restent pas à l’écart des dispositifs d’aide qui seront mis en place. « Ce n’est pas notre façon de voir d’être toujours aidés », reconnaît Brigitte Manière. Mais peut-être faudra-t-il cette année, exceptionnellement. « Je voulais céder mon exploitation à ma fille, mais il va peut-être falloir attendre 2022 », analyse Roland Manière, le temps de remettre le verger en production.
Jérôme Jury se demande aussi dans quelles conditions il repartira la prochaine saison. « J’ai déjà fait un emprunt court terme. Je vais demander un report et un nouveau court terme ainsi que probablement un PGE. Mais à un moment, il faudra rembourser. »
Il emploie 23 personnes sur l’exploitation et la structure commerciale. Très inquiet, il ne recrutera que quelques saisonniers cette année contre une centaine habituellement. 

Au-delà des pertes de production, le gel exceptionnel a provoqué aussi des pertes de fonds et des bouleversements structurels dans les exploitations touchées. 
Toutes les productions fruitières de l’Isère étant concernées, le périmètre de la calamité sera sans doute à l’échelle du département. Une nouvelle mission de la DDT sera conduite avant la récolte.
Le périmètre sera validé en comité départemental d’expertise puis en comité national de gestion du risque agricole, sûrement en septembre. D'ici là, les agriculteurs espèrent que l'Etat débloquera un acompte.

Isabelle Doucet