Portrait
Une agriculture de montagne particulière

Morgane Poulet
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Alors que la finale départementale du concours de labour se déroule le 13 août à Pierre-Châtel, Cédric Fraux et Jordan Desimone, co-présidents des Jeunes agriculteurs de la Matheysine, sont revenus sur les difficultés qu’ils connaissent actuellement dans leur territoire de montagne.

Une agriculture de montagne particulière
Cédric Fraux est éleveur ovin à Lavaldens depuis 2013 et a co-fondé le canton des Jeunes agriculteurs de la Matheysine.

Tous deux co-présidents départementaux des JA, mais également du canton de la Matheysine, Jordan Desimone et Cédric Fraux participent, à travers l’entité Terre de sens*, à l’organisation de la finale départementale du concours de labour, qui se tiendra à Pierre-Châtel le samedi 13 août, et qui sera couplée à la fête des moissons de la commune.
L’objectif de Terre de sens est de valoriser le métier d’agriculteur et de montrer ses spécificités dans un territoire de montagne.
Mais le concours de labour sera avant tout l’occasion de créer une ambiance conviviale dans une situation parfois anxiogène pour les agriculteurs.
 
Constituer un groupe local
 
Cédric Fraux est éleveur ovin à Lavaldens. Il a repris l’exploitation de son père en 2013 et, depuis 2015, il est également moniteur de ski à la station de l’Alpe-du-Grand-Serre.
Son cheptel comprend 300 brebis de races préalpes et mourérou, dont les agneaux sont catégorisés Label rouge « Agneau de l’Adret » et sont vendus à la coopérative Agneau soleil.
L’éleveur cumule les activités : propriétaire de 42 hectares, il fait ses foins et fait partie du groupement pastoral de la Roizonne, dont il est désormais le trésorier.
Mais il est également président de la Cuma de la Roizonne et, depuis 2019, il est aussi co-président du canton des Jeunes agriculteurs (JA) de la Matheysine en compagnie de Jordan Desimone.

Jordan Desimone est quant à lui éleveur de chèvres à Oris-en-Rattier, à quelques kilomètres de Lavaldens. Installé en tant qu’hors-cadre familial, il a créé son exploitation de 12 hectares en 2016.
Il possède un cheptel de 50 alpines chamoisées et fait de la vente directe de fromages de chèvre, notamment lors de deux marchés par semaine. En tout, il produit et transforme entre 30 000 et 35 000 litres de lait par an.
Et afin de renforcer les actions menées par et pour les agriculteurs en territoire de montagne, les deux éleveurs ont décidé, il y a quelques années, de constituer un nouveau canton regroupant les jeunes agriculteurs de Matheysine.
 
Climat préoccupant
 
Un regroupement cantonal qui a du bon lorsqu’il s’agit de faire le point sur la situation climatique du territoire.
L’année 2022 est marquée par une sécheresse généralisée dans le pays. Le mois de juillet sera probablement le plus chaud jamais enregistré depuis 1958, selon Météo France, ce qui rend l’élevage très difficile, aussi bien en plaine qu’en montagne.
« En Matheysine, il n’y a presque pas eu de repousse d’herbe pour que les animaux puissent brouter », explique Cédric Fraux.
Dans les prairies artificielles, il y a eu 30 % de pertes à la première coupe, puis 80 voire 100 % de pertes à la deuxième coupe. « Nous n’avons même pas pu en faire une troisième », rapporte Jordan Desimone.

Manque d'herbe

Les troupeaux devront donc descendre des alpages beaucoup plus tôt que d’habitude.
Si chaque année, ils pâturent jusqu’aux alentours de mi à fin septembre, voire début octobre, Cédric Fraux s’est résolu à faire descendre ses bêtes progressivement à partir du 8 août en raison du manque de repousse dans les pâturages et de problèmes d’approvisionnements en eau potable.
« Une centaine d’animaux descendra cette semaine-là, puis la semaine suivante, ce sera autour d’environ 100 autres bêtes », explique-t-il.
La saison hivernale pourrait donc durer quatre mois supplémentaires.

Achat inédit de fourrages

Habituellement, dans le secteur, il y a en effet 150 jours d’hiver par an, du 1er décembre au 10 mai, ce qui correspond donc au moment où les animaux sont dans les bâtiments. Mais cette année, la période va s’étirer.


« Il y a un problème supplémentaire qui se pose pour moi. Mes agneaux sont en Label rouge. Or, un des critères de ce titre est l’autonomie alimentaire, et, à ce jour, il n’y a pas encore de dérogation, malgré la sécheresse. »
A l’image de ses voisins éleveurs, il devra commencer à nourrir son troupeau avec ses stocks de fourrage de l’hiver. Et, chose inédite pour eux, il faudra acheter du fourrage alors que cela n’avait jamais été le cas jusqu’à présent.
Pour d’autres, comme Jordan Desimone, il faudra acheter plus de foin que ce qui avait été prévu. Or, avec l’inflation des prix des intrants, sa situation financière pourrait se compliquer. « Il faut compter une hausse de 25 à 30% sur les intrants », précise-t-il. « On n’a rien et on doit acheter aux prix les plus élevés. »
Mais malgré la situation difficile que connaissent les agriculteurs, renforcée par la présence du loup – le secteur est classé dans le cercle 0 pour la deuxième année consécutive, « nous souhaitons créer un moment convivial grâce à la finale départementale de labour », précise Cédric Fraux.

Morgane Poulet

* Association portée par les Jeunes agriculteurs de l’Isère.

Fête des moissons à Pierre-Châtel
La Fête des moissons de Pierre-Châtel met en scène diverses activités pour présenter au public l'agriculture d'hier et d'aujourd'hui.

Fête des moissons à Pierre-Châtel

Tous les deux ans, depuis seize ans, la Fête des moissons est organisée à Pierre-Châtel par la mairie. Cette année, pour la première fois, elle sera couplée avec la finale départementale de labour, le samedi 13 août, organisée par Terre de sens, l’entité des Jeunes agriculteurs de l’Isère.
« Ce sera notre huitième Fête des moissons », explique Alain Villard, maire de Pierre-Châtel. « Nous l’organiserons à proximité de la halle en bois, au niveau d’une parcelle cultivée en triticale. »
Au programme de la journée : découverte de vieux métiers, avec la présence d’une batteuse, d’une machine à batteur pour animer cette dernière, un atelier de fabrication de pain, un pressoir à pommes ou encore des aiguiseurs ou une trépigneuse, qui est un plan incliné où marche un cheval afin de faire tourner la batteuse. Et plus original, une vache laitière sera présente pour que le public puisse s’essayer à la traite. Le tout en musique, car plusieurs musiciens seront présents pour animer la journée.

« Le bénévolat est quelque chose qui s’enfuit »

La Fête des moissons fait partie des événements qui « font vivre la commune », explique Alain Villard.
D’autant plus qu’aujourd’hui, « il n’est pas facile d’organiser de tels événements » car il faut réaliser un important travail de bénévolat, « et le bénévolat est quelque chose qui s’enfuit », ajoute le maire de la commune.
Il précise que la finale du concours départemental de labour est une chance pour la commune, car la Fête des moissons s’y tient au même moment. « Tout s’est bien organisé car de grandes parcelles étaient disponibles dans le terrain d’à côté, le colza ayant déjà été fauché. »
Ce dernier précise vouloir créer des événements et de la convivialité pour ses habitants. « Nous nous trouvons dans un milieu rural où l’on a tendance à ne pas beaucoup se mélanger, à rester seul et isolé. Nous sommes heureux de pouvoir créer des moments de convivialité où chacun se mêle aux autres », conclut le maire de Pierre-Châtel.

MP

Le programme pensé par Terre de sens

Du côté de Terre de sens, deux événements principaux seront organisés le 13 août : la finale départementale du concours de labour et l’agri challenge, une nouveauté.
Pour ce dernier événement, il s’agira d’organiser un concours d’agilité en tracteur afin de montrer au public ce que font les agriculteurs au quotidien.
L’agri challenge commencera à 10h30. Il s’adresse aux jeunes agriculteurs, qui ont donc moins de 38 ans.
« Les candidats doivent se trouver dans le secteur de la Matheysine », précise Jordan Desimone. Il sera entrecoupé par la pause méridienne.
« Nous avons prévu des menus 100% matheysins
», explique Cédric Fraux, « avec des produits locaux ». Viande des élevages à proximité, pains locaux, légumes des maraîchages du coin…
« Nous mettons un point d’honneur à ce que les hamburgers et les hot-dogs que nous ferons soient composés de produits d’ici, c’est l’occasion de montrer aux visiteurs que nos agriculteurs travaillent dur et bien », ajoute-t-il.
La finale départementale du concours de labour débutera à 14 heures.
A 14h30, la finale de l’agri challenge démarrera et se terminera aux alentours de 17 heures, avec une remise des prix.
« Il s’agit réellement d’un événement festif au cours duquel nous pourrons échanger avec les élus », précise Cédric Fraux.
« Ce sera également l’occasion de faire des comparaisons entre les différents matériels agricoles utilisés mais, surtout, de valoriser le métier d’agriculteur et de mettre en valeur les compétences des agriculteurs », ajoute Jordan Desimone.

MP

Fédérer le département

Les Jeunes agriculteurs de l’Isère sont regroupés à l’échelle du département mais également à des échelles locales, par canton.
Pour l’heure, ils sont quatorze. Le dernier créé l’a été il y a deux mois, il s’agit du canton des JA Belledonne-Grésivaudan et, trois ans plus tôt, le canton des JA Matheysine était formé.
« Les derniers regroupements de JA qui ont été mis en place concernent des zones de montagne car les nouvelles contraintes qui arrivent créent cette nécessité de fédérer le département », explique Cédric Fraux, président des JA Matheysine.
« A terme, il faudra se servir de ces groupements pour promouvoir et pour mettre en avant les territoires de montagne, qui sont touchés par des problèmes bien différents de ceux des exploitations de plaine. »
Poussés par des élus politiques locaux, Cédric Fraux explique que ce soutien reçu permet aux JA d’accomplir et de mettre en place diverses actions pour promouvoir le secteur.

MP