Alpages
Préserver les tourbières

Morgane Poulet
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Alors que les alpages font face à des problèmes récurrents d’accès et de préservation de l’eau, différents acteurs travaillent ensemble à trouver des solutions au Crêt-du-Poulet.

Préserver les tourbières
La plus grande tourbière de l'alpage du Crêt-du-Poulet a été mise en défens pour deux ans.

« Dans les années 1960-1970, une véritable déprise rurale a eu lieu, laissant à certaines zones l’occasion de se refermer », explique Denis Rebreyend, président de la Fédération des alpages de l’Isère (FAI), au cours de la journée des alpagistes organisée au Crêt-du-Poulet le 3 août. Les troupeaux ont quitté les alpages, or, sans eux, la biodiversité prairiale est perdue car des éléments naturels essentiels disparaissent avec eux, précisent les représentants du Conservatoire des espaces naturels (CEN) du département.
C’est le cas au Crêt-du-Poulet où la disparition de l’alpage a fait se refermer le milieu. Depuis la réintroduction de cheptels lors de la saison estivale, la zone s’est rouverte, mais le réchauffement climatique fait se poser la question de la pérennité de l’existence des tourbières, nombreuses à cet endroit mais dont il ne reste qu’une centaine en Isère. Ces dernières, véritables réservoirs de biodiversité, ont désormais tendance à disparaître, d’autant plus qu’en raison de l’assèchement des alpages, les animaux les fréquentent plus souvent pour s’y abreuver.
Depuis 2021, le CEN, la FAI et la Ligue de protection des oiseaux (LPO) travaillent à une Mesure agro-environnementale et climatique (MAEC) au Crêt-du-Poulet pour préserver ces espaces aquatiques, essentiels à la bonne santé des alpages. Une mise en défens à titre expérimental a ainsi été réalisée.
 
Une ressource sensible
 
Dans le massif de Belledonne, 2022 a, comme partout ailleurs, été une année difficile en termes de sécheresse. La surfréquentation du site et la présence de troupeaux bovins ont également eu des impacts sur certaines tourbières. Un essai de clôture autour de la plus grande de l’alpage, qui fait presque un hectare, a ainsi démarré en 2023 et prendra fin en 2024. Face à un risque de dégradation lié à la pénétration au cœur de ce milieu, la tourbière a été mise en défens à titre expérimental. Cette action fait partie du Contrat vert et bleu* mis en place dans l’espace Belledonne de 2021 à 2026.
Abîmée par les animaux qui se sont aventurés dedans l’an dernier et qui ont donc labouré le sol, mais aussi par le réchauffement climatique, son volume d’eau est plus faible ces dernières années qu’il ne l’était auparavant. Cela pourrait s’intensifier dans les années à venir. La clôture n’est à ce stade qu’une expérience, car mettre des barrières tout autour de la tourbière pourrait avoir des effets contre-productifs. Dans le contrat de MAEC, qui intègre ce test, il est ainsi précisé que la bordure peut être déplacée.
 
Contractualiser pour pérenniser
 
En effet, en 2015-2016, le CEN a mené le même genre d’expérience à l’Alpes d’Huez avec la FAI. Ils se sont aperçus qu’en contournant les tourbières, les animaux broutent différemment et la tourbière finit tout de même par s’assécher. C’est pourquoi les éleveurs devront être particulièrement attentifs à l’état de la zone au Crêt-du-Poulet.
L’objectif du test est d’avoir une ressource en eau stable dans le temps et suffisamment importante pour laisser les bovins s’y abreuver. Actuellement, plusieurs solutions selon différentes configurations peuvent être données pour éviter aux tourbières de s’assécher. Il est possible de mettre des zones en défens ou bien encore de creuser pour augmenter le volume disponible pour l’abreuvement des bêtes.
Sylvain Ferrari, éleveur bovin, ajoute qu’il est écrit dans la MAEC qu’il ne doit pas y avoir de pénétration animale dans le milieu, qu’il ne doit pas non plus y avoir de parc de contention ou encore de pierre à sel dans ou à proximité de certaines tourbières. Il est aussi interdit de faire pâturer les troupeaux avant le 1er août en raison de la présence de poussins tétras-lyres. Ces derniers naissent autour du 15 juillet et ont besoin de végétation.
« Il y aura de toute façon des contrôles pour voir si les éleveurs et les bergers sont au courant qu’il y a une MAEC. Les points abordés par cette dernière seront ensuite vérifiés, il faudra voir s’ils sont respectés », précise Bruno Caraguel, directeur de la FAI.

Morgane Poulet

* Démarche qui permet d’établir un diagnostic partagé du territoire et d’aboutir à un programme d’action planifié sur cinq ans et construit avec l’ensemble des acteurs du territoire.

Une aide précieuse
Différents acteurs étaient présents lors de la journée des alpigistes pour présenter leur activité.
Secourisme

Une aide précieuse

L’Équipe de secours animalier en montagne intervient depuis 2019 dans toutes sortes de situation pour venir en aide aux éleveurs et aux bergers.

Créée en 2019, en réponse à l’interdiction prononcée à l’encontre des interventions de pompiers en montagne, l’Équipe de secours animalier en montagne (Esam) est une association composée de secouristes bénévoles. Ces derniers ont pour mission de venir en aide aux animaux en situation périlleuse, en moyenne comme en haute montagne.
« Nous intervenons vis-à-vis de tous les animaux, même si le plus souvent, il s’agit d’aider des chiens embarrés et des animaux qui restent coincés dans une faille », explique Christophe Mounier, secrétaire de l’association.
 
Bénévolat
 
Composée de trente secouristes bénévoles et de trois vétérinaires, l’Esam intervient grâce à un numéro d’appel unique en un maximum de 48 heures. L’intervention est entièrement gratuite, sauf si un héliportage est nécessaire. Le coût d’une intervention d’hélicoptère depuis Grenoble jusqu’à un alpage comme le Crêt-du-Poulet revient en effet à environ 1 000 euros TTC. « Nous avons du matériel agréé et nous venons d’acquérir un harnais bovin ainsi qu’un bâton d’injection avec une rallonge de deux mètres », ajoute Christophe Mounier.
 
S’entraider
 
Bruno Caraguel, directeur de la Fédération des alpages de l’Isère (FAI), rappelle que la Direction départementale de la protection des population (DDPP) « n’intervient que pour la mort d’un animal, alors que la responsabilité de l’éleveur porte sur le bien-être animal ». Qui plus est, si la FAI proposait un service pour les animaux vivants en difficulté, « nous ne nous en sortirions pas, nous aurions dans les trois ou quatre demandes par semaine et nous ne pourrions pas tout gérer ».
C’est pourquoi il explique trouver les missions de l’Esam essentielles pour les alpages. « Nous pouvons tout à fait centraliser les appels, c’est-à-dire que si un éleveur est en difficulté, il peut téléphoner à la FAI, qui le redirigera ensuite vers l’Esam si cela est nécessaire. »

MP
Un alpage cogéré
L'alpage du Crêt-du-Poulet est géré par cinq éleveurs.
Elevage

Un alpage cogéré

L’alpage du Crêt-du-Poulet a repris vie dans les années 1980 et est désormais géré par cinq éleveurs.

« L’activité de l’alpage du Crêt-du-Poulet a repris dans les années 1980, car il avait été abandonné », explique Sylvain Ferrari, éleveur bovin à Crêt-en-Belledonne. En raison d’un manque d’herbe disponible pour leur troupeau à Saint-Pierre-d’Allevard, deux éleveurs ont débroussaillé l’ancien alpage. Rejoints par d’autres, ils parviennent à dégager environ 190 hectares de prairies réparties dans trois communes : Crêt-en-Belledonne, Theys et Le Haut-Bréda.
 
Gestion partagée
 
Aujourd’hui, cinq éleveurs de génisses se répartissent les pâturages. Ils sont occupés par de nombreux jeunes bovins, ce qui équivaut à 60 UGB (unité de gros bétail) pour une occupation de l’alpage d’une centaine de bêtes. Ayant pris le parti de ne pas engager de berger, les éleveurs se relaient pour surveiller les troupeaux ou encore pour mettre en place des clôtures. Dans le cadre de ce travail, des bénévoles leur viennent régulièrement en aide. Les troupeaux sont également tous indemnes de besnoitiose et des prises de sang sont effectuées à chaque descente.
Ils jonglent également entre plusieurs parcs situés à différentes altitudes. Le premier est situé au niveau des pistes de ski, à environ 1 350 mètres, et le dernier atteint presque 1 800 mètres. Après la zone de ski subsistent quatre parcs où les éleveurs doivent effectuer une rotation de leurs troupeaux pour optimiser la ressource fourragère tout en créant une pression des pâturages là où elle est nécessaire.
 
Des aménagements
 
En 1995, des passages canadiens ont été réalisés dans l’ensemble de l’alpage. Huit points d’eau ont également été aménagés, de même qu’un système de pompage pour monter l’eau jusqu’en haut des prairies. Le débroussaillage effectué en 1978-1979 a permis de passer de 50 hectares à environ 190, car le Crêt-du-Poulet était en majorité fermé.
Les éleveurs essayent également différents programmes en lien avec la Fédération des alpages de l’Isère (FAI) pour améliorer la contention, le captage des sources, le débroussaillage mécanique avec des pelles araignée ou encore pour gérer une MAEC au sujet du dossier tourbière.

MP