Acceptabilité des projets
Le dialogue comme stratégie

Qu'il s'agisse d'unité de méthanisation ou d'élevage, nombreuses sont les initiatives du monde agricole qui suscitent des interrogations, voire des craintes, au niveau local. Jouer la transparence et la pédagogie permet de mieux faire accepter les projets.
Le dialogue comme stratégie

A l'heure où l'on parle tran­si­tion tous azi­muts – éco­lo­gique, éner­gé­tique, agri­cole, ali­men­taire... –, les ini­tia­tives fleu­rissent en Isère. Le dé­par­te­ment ne compte pas moins d'une ving­taine de pro­jets d'uni­tés de mé­tha­ni­sa­tion agri­cole. Une dy­na­mique ver­tueuse, qui n'est pas sans poser pro­blème dès qu'il est ques­tion d'im­plan­ter un pro­jet quelque part. La re­marque vaut éga­le­ment pour cer­taines pro­duc­tions agri­coles. De même qu'ils sont en de­mande d'éner­gies vertes, les consom­ma­teurs ex­priment des fortes at­tentes en ma­tière de bien-être ani­mal et de « consom­mer local ». Mais ils sont moins en­thou­siastes lors­qu'ils ap­prennent qu'un éle­vage de poules ou de porc en plein air va s'ins­tal­ler près de chez eux.

S'intéresser aux peurs

Ces contra­dic­tions posent la ques­tion de l'ac­cep­ta­bi­lité so­ciale de cer­tains pro­jets agri­coles. En 2017, Clé­ment Mal­tret cher­chait à s'ins­tal­ler pour pro­duire et trans­for­mer du porc bio. Il a trouvé une ex­ploi­ta­tion lai­tière à re­prendre en Char­treuse et com­mencé à ex­po­ser son pro­jet. Levée de bou­clier de la part des ri­ve­rains. Fort d'un début de car­rière dans l'en­sei­gne­ment, Clé­ment a déployé des tré­sors de pa­tience et de pé­da­go­gie pour ex­pli­quer ce qu'il allait faire et ras­su­rer ses fu­turs voi­sins. Il a pris part aux réunions pu­bliques, ar­gu­menté, pro­posé des vi­sites d'éle­vage, convaincu une frange d'op­po­sants au pro­jet..., mais pas l'autre. « Je pen­sais qu'il fal­lait des ar­gu­ments tech­niques, mais ce n'est pas ça le pro­blème, constate le jeune ins­tallé. Ce qu'il faut, c'est s'in­té­res­ser aux peurs. La peur vient de l'igno­rance et aussi de l'image de cer­tains mo­dèles d'éle­vage. »

 L'installation d'un élevage, même conforme aux attentes des consommateurs, peut poser problème.

S'ils sont bien compris, les projets peuvent susciter l'adhésion de la population locale, comme cela s'est fait autour du projet Agrométha, à Eyzin-Pinet. Dans les chambres d'agri­cul­ture, les tech­ni­ciens confirment. « Il y a un cli­mat de mé­fiance, vu que main­te­nant on est au cou­rant de tout, et sur­tout de n'im­porte quoi, re­lève Fran­çois Gau­din, conseiller production volaille et porc. Cette mé­fiance est à mettre en rap­port avec le fait qu'il y a de plus en plus de néo-ru­raux qui, pour beau­coup, n'ont qua­si­ment ja­mais eu de lien avec le monde pay­san. Il ne faut pas non plus pré­su­mer de la bonne image des éle­vages : tout le monde en veut, mais pas trop à côté de chez soi. »

Evoquer les aspects positifs du projet

En éle­vage comme pour un mé­tha­ni­seur, mieux vaut évi­ter que les ha­bi­tants aient la désa­gréable im­pres­sion de « n'avoir pas leur mot à dire ». Pour ce faire, il ne faut pas hé­si­ter à par­ler de son pro­jet en évo­quant aussi bien les éven­tuelles nui­sances que les as­pects po­si­tifs du pro­jet. « La seule di­men­sion tech­nico-éco­no­mique ne suf­fit pas : le volet ac­cep­ta­bi­lité lo­cale est à prendre en compte à part en­tière », sou­ligne Jean-Paul Sau­zet, de la chambre d'agri­cul­ture de l'Isère. Car quand cet as­pect est né­gligé, une op­po­si­tion bien struc­tu­rée peut tout faire ca­po­ter.

Energie verte

Du côté de Mo­res­tel, deux jeunes por­teurs de pro­jets l'ont bien com­pris : ils sont allés voir les élus de la com­mune et de la com­mu­nauté de com­munes bien avant de dé­po­ser le per­mis de construire, pour les convaincre de la per­ti­nence de leur en­tre­prise et de sa va­leur ajou­tée en termes d'image (pro­duc­tion lo­cale d'éner­gie verte) : ils ont ob­tenu un sou­tien sans faille. Comme beau­coup, sans le dire, ils ont beau­coup ap­pris du feuille­ton d'Ap­prieu.

Première unité de méthanisation à sortir de terre en Isère, le projet d'Apprieu a dû faire face à une opposition farouche de certains riverains.

La ge­nèse de la pre­mière unité de mé­tha­ni­sa­tion isé­roise reste dou­lou­reuse, mais ins­truc­tive pour Lio­nel Ter­moz-Ba­jat, son an­cien pré­sident. « C'est l'in­connu du mé­tha­ni­seur et le côté construc­tion qui a été pro­blé­ma­tique chez nous, ré­sume l'éle­veur d'Ap­prieu. Nous avons fait énor­mé­ment de réunions, les gens trou­vaient que c'était un super pro­jet, mais ils ne le sou­hai­taient pas chez eux. Ils vou­laient que l'on soit dans une zone in­dus­trielle, mais pour nous, c'était un pro­jet agri­cole qui de­vait res­ter en zone agri­cole. »

Ecart de mentalité

De son côté, Alain Vial, lea­der de la contes­ta­tion ap­pre­lane, dé­plore le manque d'écoute et de trans­pa­rence des por­teurs de pro­jet. « Nous sou­hai­tions en effet que le mé­tha­ni­seur soit ins­tallé ailleurs, ra­conte-t-il. Nous avions pro­posé des lo­ca­li­sa­tions al­ter­na­tives et même des échanges de ter­rain, mais nous n'avons pas été en­ten­dus. Une agri­cul­trice nous a même dit qu'ils avaient le droit de faire ce qu'ils vou­laient dans « leur » plaine. Ça ré­vèle un réel écart de men­ta­lité. »

Processus d'appropriation

C'est pré­ci­sé­ment ce genre de conflits que pou­voirs pu­blics et opé­ra­teurs cherchent à évi­ter. De l'Ademe à GRDF, cha­cun y va de son ma­nuel ou de son guide des bonnes pra­tiques. L'opé­ra­teur ga­zier a d'ailleurs com­mandé à une équipe de so­cio­logues un re­tour d'ex­pé­rience axé sur « l'ap­pro­pria­tion lo­cale des sites en in­jec­tion » dans une di­zaine de com­munes en France. Un tra­vail minu­tieux, basé sur plus de 300 en­tre­tiens, qui conclut à la né­ces­sité de dé­ve­lop­per « une réelle stra­té­gie de dia­logue avec l'en­semble des par­ties pre­nantes du pro­jet (élus lo­caux, ha­bi­tants, as­so­cia­tions, com­mer­çants) » afin d'en fa­ci­li­ter le « pro­ces­sus d'ap­pro­pria­tion ».

En­core faut-il l'amor­cer, ce dia­logue. Dif­fi­cile, sur­tout avec un sujet aussi com­plexe que la mé­tha­ni­sa­tion. Pour­tant, dans leur étude, les so­cio­logues man­da­tés par GRDF ont re­mar­qué que plus les ha­bi­tants connais­saient un pro­jet, plus ils y adhé­raient. D'où l'im­por­tance de faire de la pé­da­go­gie, de pro­po­ser des vi­sites, de jouer la trans­pa­rence.

Information adaptée

C'est ce qu'a fait Do­mi­nique Ron­zon, le pré­sident d'Agro­mé­tha. Agri­cul­teur et fervent par­ti­san du mix-éner­gé­tique, l'homme tra­vaille de­puis près de dix ans à l'émer­gence d'un pro­jet de mé­tha­ni­sa­tion dans la com­mune d'Eyzin-Pi­net. Dis­crè­te­ment, sans faire de vague, il a em­bar­qué dans l'aven­ture une tren­taine d'ex­ploi­ta­tions, ré­par­ties entre Saint-Jean-de-Bour­nay et Vienne. Pa­ral­lè­le­ment à l'éla­bo­ra­tion du pro­jet, qui a per­mis aux agri­cul­teurs de s'in­ves­tir et se consti­tuer en un groupe soudé, le pré­sident d'Agro­mé­tha a mi­nu­tieu­se­ment pré­paré le ter­rain au­près des élus, des ac­teurs du sec­teur, des ri­ve­rains, des pro­prié­taires, an­ti­ci­pant les ques­tions, les pro­blèmes, dif­fu­sant à cha­cun une in­for­ma­tion « adap­tée », pré­cise, com­pré­hen­sible et désa­mor­çant les bombes (risques, nui­sances, tra­fic...) avant qu'elles n'ex­plosent.

Pour présenter leur projet, les associés d'Agrométha ont organisé une réunion publique fin novembre 2019 : plus de 200 personnes y ont assisté.

Pour ce faire, Do­mi­nique Ron­zon, sur les conseils du bu­reau d'étude, a tra­vaillé en « cercles concen­triques », s'adres­sant d'abord à son maire et à ses voi­sins, puis à ceux des com­munes proches, in­sis­tant sur les avan­tages du pro­jet (au­to­no­mie éner­gé­tique, pro­tec­tion de la res­source en eau, ré­duc­tion des en­grais chi­miques par l'uti­li­sa­tion des di­ges­tats...), mais aussi sa di­men­sion col­lec­tive.

Cette stra­té­gie des pe­tits pas a porté ses fruits. Le pro­jet s'est peu à peu ins­tallé dans les es­prits. Il s'est fait ac­cep­ter en dou­ceur, comme une so­lu­tion d'ave­nir plu­tôt que comme un pro­blème. Pour preuve, à la fin de la réunion pu­blique (la pre­mière) qui a réuni plus de 200 per­sonnes à Ey­zin-Pi­net fin no­vembre, Do­mi­nique Ron­zon a de­mandé à ses 40 com­pa­gnons de route de se lever pour que les ha­bi­tants puissent les iden­ti­fier. Ré­ponse de la salle : une salve d'ap­plau­dis­se­ments...

Ma­rianne Boi­leve