Santé
Lever les tabous

Morgane Poulet
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Lors de son assemblée générale à Moirans le 23 juin, Adice a rappelé l’importance pour les agriculteurs d’optimiser leurs conditions de travail.

Lever les tabous
Hugues Villette, directeur d'Adice, et Patrick Ribes, président, ont présidé l'assemblée générale d'Adice à Moirans.

En amont de la fusion de 2019 de Conseil élevage d’Ardèche, Drôme et Isère pour créer Adice, les administrateurs des associations ont réfléchi aux missions, aux métiers, à la philosophie et aux valeurs qu’ils souhaitaient mettre en avant dans la nouvelle structure.
L’écoute envers les éleveurs, afin que les conseillers aient une vision à 360 degrés, a été particulièrement mise en avant, qu’il s’agisse d’aspects techniques, économiques, environnementaux ou concernant le travail.
£« Il faut travailler pour le bien-être des éleveurs, explique Jean-Philippe Goron, responsable de l'activité caprine d'Adice, donc leur proposer des actions concrètes allant en ce sens ».
C’est cet aspect qu’Adice a souhaité placer au centre de son assemblée générale, qui s’est tenue à Moirans le 23 juin.
 
Travail sur soi
 
Pour Adice, il est important d’accompagner les éleveurs vers plus de bien-être car il existe une véritable souffrance au travail, souvent entretenue par des « normes de groupe, une peur du regard de l’autre et le poids des habitudes », explique Sophie Marçot, consultante et formatrice en organisation du travail.
Les problèmes d’organisation, qui constituent alors un frein au développement des compétences, à la rentabilité des fermes, à la transmission et à la prise de décisions cohérentes, ne font alors que renforcer un mal-être déjà existant.
« Et l’agrandissement des fermes empire parfois la situation », ajoute la formatrice, pour qui il est nécessaire pour les éleveurs de s’épanouir dans et hors du travail, d’adopter une attitude plus proactive, une véritable posture de chef d’entreprise. « Il s’agit aussi d’un enjeu majeur pour les territoires, car un agriculteur bien dans sa tête favorise l’attractivité du métier, pérennise le dynamisme local et encourage la montée en compétence. »
Or, les éleveurs présents à l’assemblée générale remarquent que bien souvent, il n’est pas évident de voir si l’un d’eux va mal ou pas.  Dépassant les limites de ce qui est « très privé » ou étant « intrusif », s’enquérir de l’état moral de ses pairs peut paraître difficile.
« Pourtant, il faut bien mettre en lumière le problème de l’éleveur pour l’aider », constate Sophie Marçot. Donc oser en parler et aller au-delà de ce qui est tabou.
 
Des audits
 
Pour les aider à dépasser ce sujet tabou, Adice propose aux éleveurs des audits. Ils ont pour objectif « d’agir sur leur perception des situations » pour, ensuite, les aider à réorganiser leurs conditions de travail si cela est nécessaire, précise Patrick Ribes, président d’Adice.
Concrètement, « quand on fait un audit à la traite, ça ne concerne pas seulement la manutention, explique Jean-Philippe Goron, responsable de l’activité caprine. Il peut y avoir de multiples facteurs de risques, comme ceux concernant la circulation et les déplacements, ou encore le matériel, le bâtiment, les animaux, les risques psychosociaux, la manutention manuelle… »
Par exemple, la manutention manuelle peut engendrer de mauvaises postures, surtout si la salle de traite est trop haute pour le trayeur. Et ce type de travail répétitif peut être soulagé par le recours à des salariés agricoles. « Nous avons noué des liens avec AgriEmploi, car ils mettent à disposition des ressources humaines pour aider les agriculteurs. Cela leur permet de réduire leur prise de risque, de même que la partie administrative de leur métier, d’être soulagés en termes de quantité de travail à effectuer », ajoute-t-il.
La traite impose une certaine cadence et du matériel, qui, plus ou moins adapté peut être amélioré. « Lorsque l’on parle d’ergonomie, il faut voir comment l’on s’organise sur une semaine, si on partage les traites ou pas. Il ne s’agit pas seulement de gestes et de postures, mais bien d’une vision globale du fonctionnement de l’exploitation. »
« Les experts du travail restent avant tout les éleveurs, ajoute Sophie Marçot. Mais il est important d’oser se faire accompagner individuellement ou collectivement. Il ne faut pas se dire que les choses sont telles qu’elles sont et qu’elles ne changeront jamais, car il peut y avoir beaucoup à faire. »
 
Nouvelles technologies
 
Pour les aider à organiser au mieux leur travail, Adice recommande l’application Aptimiz. « Elle est simple d’utilisation, ne nécessite pas de temps de travail supplémentaire et permet de recueillir des informations très importantes », commente Chloé Grillot, conseillère élevage à Adice.
Il s’agit d’une application téléchargeable sur son smartphone et qui analyse le temps de travail par tâche, par zone, par personne et par machine tout en prenant en compte les temps de déplacement. Ainsi, elle peut aider l’agriculteur à automatiser certaines tâches répétitives et nécessitant de nombreuses heures de travail chaque mois.
Installable en 1h30, elle fonctionne en mode hors-ligne et consomme peu de batterie. Les données personnelles sont protégées, il n’y a pas de saisie à effectuer. L’application utilise seulement les données GPS du smartphone.
L’enregistrement de la journée se fait automatiquement et au cours des saisons. Enfin, l’utilisateur peut consulter une répartition de son temps de travail et de ses déplacements sur son tableau de bord, ce qui lui permet de constater si son organisation peut être améliorée ou pas.
« Par exemple, Aptimiz vous aide à voir si le déplacement d’une parcelle à une autre est optimal ou s’il est plus judicieux de s’organiser différemment », explique Chloé Grillot.

Morgane Poulet

Des enjeux à relever

Lors de son assemblée générale, Adice a parlé des enjeux qu’elle souhaite relever pour ses adhérents.
« Notre force est que nous restons neutres dans les conseils que nous apportons, a expliqué Hugues Villette, directeur. Ils s’appuient sur notre écoute des besoins des éleveurs et des problèmes qu’ils rencontrent. »
Il est important pour la structure de mettre en œuvre de petites équipes de conseillers pour favoriser l’intégration des nouveaux et leur montée en compétences. Mais cela doit aussi avoir pour vocation de permettre aux éleveurs de connaître d’autres conseillers que le leur.
Mais il s’agit aussi de rendre les métiers d’Adice plus attractifs tout en étant en phase avec les attentes sociétales. C’est pourquoi un bachelor est en cours de création avec l’Isara et sera mis en place pour le mois de septembre 2024.

MP