Climat
Les agriculteurs isérois engagés dans le changement climatique

Isabelle Brenguier
-

53 exploitants isérois ont été interrogés au sujet de leur perception du changement climatique. Les conclusions de ce travail montrent à quel point les agriculteurs doivent déjà composer avec.

Les agriculteurs isérois engagés dans le changement climatique
Les étudiants de licence professionnelle en « Eco-conseil en productions agricoles » du lycée agricole de La Côte-Saint-André ont présenté les résultats de l’étude qu’ils ont menée sur l’adaptation au changement climatique du Trièves et des Vals du Dauphiné.

Le changement climatique n’est plus mis en doute. L’étude réalisée en décembre dernier sur l’adaptation au changement climatique des exploitations agricoles du Trièves et des Vals du Dauphiné, par les étudiants de licence professionnelle en « Eco-conseil en productions agricoles » du lycée agricole de La Côte-Saint-André, le montre.

Mis en œuvre dans le cadre du projet « ClimA-XXI » localement porté par la chambre d’agriculture de l’Isère, ce travail a rassemblé étudiants, conseillers agricoles et agriculteurs. Il a vocation à appréhender la perception des agriculteurs de ces deux territoires à propos du changement climatique pour compléter les données de température et de pluviométrie dont disposent déjà Jean-Paul Sauzet et Vincent Battault, les deux conseillers de la chambre d’agriculture en charge de ce projet. « Nous souhaitions savoir quels constats les agriculteurs ont déjà fait, s’ils ont mis en œuvre de nouvelles pratiques et comment ils évaluent la vulnérabilité de leur système », explique Jean-Paul Sauzet.

Phase de sensibilisation

L’étude menée auprès de 53 agriculteurs isérois - 25 dans le Trièves et 27 dans les Vals du Dauphiné, installés en tant qu’éleveurs, céréaliers ou en polyculture-élevages, en individuel ou en société - poursuivait donc trois objectifs : une collecte de données, une sensibilisation des agriculteurs au changement climatique et un recueil des perspectives pour leurs exploitations.

Tous les exploitants rencontrés ont affirmé avoir déjà perçu le changement climatique. La moitié a même précisé que ce changement était appréhendé par la génération de leurs parents. Pour Jean-Paul Sauzet, ces constats sont déjà des indicateurs. « Ils montrent qu’ils n’y a plus de climato-sceptiques et nous confortent dans l’idée qu’il faut travailler sur ce sujet et accompagner les agriculteurs dans les évolutions qu’ils vont devoir conduire dans leurs entreprises ».

Modifications de pratique

Pour les exploitants enquêtés, ces changements sont de différentes natures. Il s’agit « de grosses chaleurs, de sécheresses, de remontée du climat méditerranéen, de moins de froid, de gel, de neige, d’épisodes de pluie plus importants et imprévisibles, d’évènements extrêmes ou de présence de cigales à 1 000 mètres d’altitude ». 92% d’entre eux considèrent ce changement comme « ayant un impact important pour l’exploitation ». Il entraîne notamment « des difficultés à produire du fourrage, un changement d’équilibre fourrager avec moins de maïs et plus de luzerne ; des-changements concernant les périodes de semis et de récolte, un accès moindre à la ressource en eau, et un travail plus pénible », mais aussi quelques conséquences positives : « les brebis restent plus longtemps en alpage, les porcs sont dehors toute l’année ». Du coup, le changement climatique a entraîné des modifications de pratiques culturales pour 21 % des agriculteurs du Trièves (plus de cultures en dérobé, remplacement du colza en triticale, allongement des rotations, implantation de plus de luzerne…) et 24 % des Vals du Dauphiné (abandon de la monoculture de maïs au profit de couverts et de sorgho, allongement des rotations, implantation de ray grass en dérobé). Le semis direct ou les TCS (techniques culturales simplifiées) se développent aussi dans les deux territoires.

Les agriculteurs enquêtés ont aussi fait part de leur constat de voir davantage de parasitisme et de maladies de cultures. Au sujet de l’alimentation des animaux, les exploitants ont indiqué toujours réaliser le même nombre de coupes fourragères chaque année mais à des dates avancées. Concernant la mise à l’herbe des bêtes, elle a peu évolué dans les deux territoires, mais le retour dans les bâtiments est en revanche plus tardif qu’il y a dix ans. L’accès à l’eau pour les animaux soulève de nombreuses inquiétudes pour l’avenir. Les éleveurs ont déjà mis en œuvre différents aménagements, en particulier un transport d’eau par tonne à eau. Au niveau du confort des animaux, les éleveurs ont massivement indiqué des problèmes de chaleur au pré et dans une moindre mesure dans les bâtiments.

En attente de conseils

La perception des exploitants vis-à-vis de l’avenir de l’agriculture dans les territoires met en avant de fortes difficultés et inquiétudes sur l’élevage laitier, que ce soit dans le Trièves ou les Vals du Dauphiné. « Partout des adaptations, avec de nouvelles idées à mettre en œuvre, seront nécessaires », relaient les étudiants, qui ont sondé un plus grand optimisme dans le Sud-Isère. Les agriculteurs pensent à des changements au niveau des cultures, de l’eau, des bâtiments, à la mise en œuvre de projets de méthanisation, de vente directe, de mutualisation du matériel, d’agroforesterie. Ils ont donc des attentes en matière de conseils, de formation, d’aides financières pour les aider à concrétiser leurs projets, d’une meilleure rémunération de leurs produits et davantage de reconnaissance dans l’exercice de leur métier.

Pour Jean-Paul Sauzet, « il est intéressant de voir que les agriculteurs ont déjà mis en place des stratégies d’adaptation. Nous constatons aussi une grande capacité de leur part à se projeter sur des évolutions de système. L’étude montre qu’ils ne sont pas accablés par le pessimisme. C’est rassurant. Il y a des initiatives individuelles, d’autres collectives. Elles devront être partagées dans les territoires ». Le conseiller constate également que « les agriculteurs ont aussi déjà intégrés que ces adaptations seront menées avec un coût de l’énergie de plus en plus élevé. Elles devront donc être sobres et efficaces ».

« ClimA-XXI », en route vers le futur
La chambre d’agriculture de l'Isère vient d’engager un travail de longue haleine sur les adaptations à mettre en œuvre pour s’adapter au changement climatique.

« ClimA-XXI », en route vers le futur

La chambre d’agriculture vient de s’approprier « ClimA-XXI », un outil de projection climatique qui permet d’appréhender les évolutions probables du climat dans un territoire donné.

Travailler avec des indicateurs climatiques qui permettent une projection sur les décennies à venir, est le principe du dispositif « ClimA-XXI », développé par l’APCA et actuellement repris par la chambre d’agriculture de l’Isère. « Nous sommes en phase de lancement et d’appropriation de la méthode », explique Jean-Paul Sauzet, conseiller énergie à la chambre d’agriculture. « Nous avons identifié trois secteurs géographiques (Chatte dans le sud-Grésivaudan, Virieu dans la Bourbre et Mens dans le Trièves) auxquels nous allons associer trois systèmes agricoles (noix et polyculture-élevage) sur lesquels nous allons appliquer des indicateurs pédo-climatiques pour repérer ce qui va se passer », ajoute-t-il. L’objectif est de mieux cerner l’évolution du climat et ses conséquences pour pouvoir répondre aux agriculteurs concernant leur adaptation au changement climatique.

Modèles climatiques

Les indicateurs sont de deux natures. Il en est des basiques comme les températures moyennes annuelles saisonnières, le nombre de jours de gel par an, le nombre de jours estivaux avec des seuils de température, le cumul annuel de précipitations, issus de données déjà accessibles. Et il en est des agro-climatiques, beaucoup plus significatifs pour certains systèmes de cultures. Là, il s’agit des dates des dernières gelées en sortie d’hiver, le nombre de jours où la température est supérieure ou égale à 25 degrés, le nombre de jours de canicule par rapport au risque d’échaudage ou de bien-être pour les animaux dans les bâtiments.

Ce travail de projection se fait grâce à l’existence de données objectives par rapport aux années écoulées et de modèles climatiques de plus en plus robustes à l’origine de projections émanant du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du Climat) de plus en plus fiables.

« Nous constatons déjà que l’évolution du climat peut fragiliser certains systèmes et même engendrer des ruptures. Des actions d’adaptations sont mises en œuvre (au niveau des ressources fourragères, des cultures). L’objectif est de voir ce que l’on peut faire par la suite. L’idée n’est pas d’inquiéter plus que nécessaire. Il s’agit simplement d’avoir des éléments scientifiques pour se mettre en situation de projet et aussi de pouvoir partager ce matériel (projections et idées d’adaptions) entre agriculteurs », précise Jean-Paul Sauzet.

IB

Parole d'étudiants

Les étudiants soulignent que ce travail a permis de découvrir ces deux territoires et de rencontrer des agriculteurs passionnés par leur métier, capables d’adaptation. Le réchauffement interpelle les exploitants mais aussi les étudiants. Autant ceux qui souhaitent devenir conseillers agricoles que ceux qui nourrissent le projet d’installation. A l’image de Léa Bertrand, qui, originaire de la région lyonnaise, souhaite s’installer pour produire du raisin de table. « Ce n’est pas vraiment une production typique de chez moi, mais avec le changement climatique, ce projet devient envisageable », affirme-t-elle. De l’art de transformer des contraintes ou des difficultés en atouts ou bénéfices…

IB