Nuisances
Ne pas confondre jardin public et parcelle privée

Isabelle Doucet
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Rave party, occupation illégale de parcelles agricoles : la prévention et le dialogue sont les deux meilleures armes de gestion de crise.

Ne pas confondre jardin public et parcelle privée
Jérémy Jallat, JA référent cantonal (Vercors) de la cellule Déméter de renforcement de la sécurité des exploitations agricoles et Jean-Max Lebaillif, JA référent départemental.

« Ils écrasent tout, laissent n’importe quoi. Souvent, le champ est fichu. Ils passent avec les voitures et repassent au même endroit, tassent le sol. Sans parler des corps étrangers qui sont un véritable danger pour les vaches », témoigne Jean-Max Lebaillif, référent départemental Jeunes agriculteurs Isère pour les dommages causés dans les exploitations.
Avec l’été, la bête noire des fermes de montagne, ce sont les rave parties.
Dans les vallées, ce sont plutôt les gens du voyage. Mais le constat est le même : installation dans des parcelles privées sans autorisation et dégradation de terres agricoles.

40 référents agriculteurs

À l’été 2020, après le déconfinement, les choses se sont aggravées.
« À ce moment-là, de nombreux Grenoblois sont montés à Saint-Nizier-du-Moucherotte dans le Vercors. Sans aucune connaissance du métier d’agriculteur, ils ont pénétré dans des propriétés privées », cite en exemple le lieutenant-colonel Anne Moulin, officier référent pour l’Isère de la convention Demeter qui lie la Chambre d’agriculture de l’Isère, le syndicalisme, la préfecture et le Groupement de gendarmerie de l’Isère pour la sécurisation des exploitations agricoles.

Vols de matériels et dégradations sont les principaux risques.
« Nous sommes un acteur de la déconfliction », assure l’officier de gendarmerie.
Elle préconise des réflexes simples, tels qu’ils ont été rappelés cet hiver par les gendarmes délégués lors des réunions territoriales avec les exploitants agricoles JA et FDSEA.
Une quarantaine de référents agricoles ont pour mission de faire remonter les informations à la gendarmerie. « Il faut appeler avant que cela ne dégénère », conseille Anne Moulin.

Discuter les conditions de départ

C’est ce qu’a fait Michel Basset, le maire de Sainte-Marie-d’Alloix, quand il a vu une centaine de caravanes s’installer dans des parcelles agricoles de sa commune au mois d’août 2021.
« La gendarmerie nous a conseillé de discuter et de passer une convention. Il ne faut pas imaginer que ces gens seront expulsés du jour au lendemain. Alors mieux vaut discuter les conditions de départ. »
Le maire souligne le travail et le savoir-faire des forces de l’ordre. « Ils sont venus tous les jours, ont discuté avec le chef de la communauté. C’étaient des personnes-ressources, qui nous ont conseillé de temporiser. Ils savent comment ça se passe et ils étaient là aussi lors de la réunion de débriefing, pour rechercher des solutions collectives. »

4 000 personnes à Roybon

À Sainte-Marie-d’Alloix, le terrain était « idéal » : plat, facile d’accès, avec une bouche d’incendie à proximité pour la prise d’eau, proche d’un transformateur électrique et planté de quelques arbres pour l’ombre.
La parcelle avait donc été repérée à l’avance.
Certains signes peuvent mettre la puce à l’oreille : des camionnettes qui s’attardent le long d’un champ en vue d’une installation de gens du voyage, ou plus visible, des camions de sonorisation qui arpentent la montagne, annonciateurs d’une rave party.
« Il est difficile de détecter ces mouvements en amont, témoigne Anne Moulin. Il faut suivre les réseaux sociaux et mettre la pression sur les organisateurs ».
En Isère, des alertes pour occupations illégales et des rassemblements ont lieu tous les week-ends depuis le printemps.
Le Vercors, la Chartreuse, le Trièves sont des secteurs particulièrement prisés. Le point d’orgue avait été atteint en 2020 à Lavaldens et à Roybon réunissant jusqu’à 4 000 personnes.

Savoir parler aux gens

Jean-Max Lebaillif assure le rôle de référent depuis deux ans. Il reçoit régulièrement des appels d’exploitants en difficulté.
« On nous contacte parce que des gens entrent dans les prés, plantent des tentes dans des prairies qui ne sont pas fauchées ou pour du vol de matériel. L’an dernier, il y a même eu des noyers coupés. On nous alerte aussi d’un risque de vol quand il y a des voitures qui tournent, ou tout simplement, des exploitants se renseignent pour savoir comment faire s’il surgit un problème sur leur ferme. En début d’année, j’ai dû intervenir tout de suite car un gars était en train de s’énerver et allait commettre une faute grave. J’ai détendu les choses. Il faut savoir parler aux gens », témoigne le jeune agriculteur.
Jérémy Jallat, éleveur à Saint-Nizier-du-Moucherotte et référent JA du canton, est confronté au problème tous les jours.

La montagne sans les codes

« Les gens font l’amalgame avec les parcs des villes. Or il y a une différence avec des parcs protégés. Ils utilisent les montagnes sans en avoir les codes. Il y en a même qui font du feu ! »
L’éleveur passe du temps à expliquer que l’herbe est une ressource et que des déchets dans les champs c’est un risque pour les bêtes.
Le réseau des référents fonctionne plutôt bien notamment au niveau de l’échange de renseignements entre les agriculteurs et les gendarmes.
« On s’informe mutuellement. Quand on sort le tracteur, on voit ce qui se passe, et lorsqu’on croise des gens, on parle avec eux et les infos remontent », raconte encore Jean-Max Lebaillif.


Sortie de crise

Mais, lorsque la situation est établie, c’est la sortie de crise qu’il convient de gérer au mieux, au-delà du dépôt de plainte qui permettra réparation.
« Nous avons passé une convention avec les gens du voyage, les propriétaires, les agriculteurs et la gendarmerie », raconte Miche Basset, le maire de Sainte-Marie-d’Alloix.
Les caravanes sont arrivées un 6 août. La convention prévoyait leur départ le 24 août et le versement d’une caution en cas de dégradation.
La communauté a même proposé de verser une indemnité pour l’occupation illégale des terres.
« Certains ont accepté de signer la convention, d’autres pas. Les points de vue étaient partagés », explique le maire.

Des traces

Entre positions radicales et négociations « pour limiter la durée d’occupation ». Certains ont déposé plainte, d’autres pas. Il n’y a pas eu de dégradation des terres qui avaient été fauchées.
L’épisode a laissé des traces dans la commune, surtout chez les riverains incommodés par les nuisances sonores des haut-parleurs poussés à fond lors des différents offices de cette communauté évangéliste.
« J’ai écrit au préfet, mais il n’y a pas de solution car il n’y a pas d’aire de grand passage dans la communauté de communes… on s’attend à ce qu’ils reviennent… »
En Isère, seules deux communautés de communes sur onze respectent leurs obligations quant à l’aménagement d’une aire de grand passage de 4 ha pour les gens du voyage.

Isabelle Doucet

Que faire ?

Prévention :
- Panneaux propriété privée, clôtures, barrières d’accès sur les chemins privés contribuent à dissuader les visiteurs.
- Pour prévenir l’installation des gens du voyage sur des parcelles agricoles, des cailloux ne laissant passer que les tracteurs peuvent être positionnés devant les accès. La mise en culture des champs peut aussi être dissuasive.
- Prévenir dès qu’il se passe des choses anormales dans un secteur.
Si les choses sont en cours :
- Prévenir le référent agricole (liste à la chambre d’agriculture), la gendarmerie et le maire du village qui peut aussi être un médiateur.
- En cas d’urgence, appeler le 17 et expliquer la situation.
- Déposer plainte, que l’agriculteur soit propriétaire de la parcelle ou, s’il est fermier, en raison de l’impact économique de cette occupation. Les gendarmes peuvent se déplacer pour recevoir la plainte. La pré-plainte en ligne permet de préparer le dossier.
- Réunir des preuves (photos etc.)

 

En août 2021, à Sainte-Marie-d'Alloix, plus d'une centaine de caravanes se sont installées pendant trois semaines sur des parcelle agricoles.