Forêt
Le fragile équilibre du milieu forestier isérois

Les indices de changement écologique permettent de caractériser l’état de la forêt. En Isère, plusieurs secteurs sont menacés.

Carte de zonage de l'équilibre sylvo-cynégétique en région.

C'est un immense travail de caractérisation lancé dans le cadre du Plan régional forêt et bois afin d'estimer l'état du déséquilibre entre la forêt et le gibier de certains massifs. Cinq secteurs ont été repérés en Auvergne-Rhône-Alpes, dont trois en Isère : Vercors, Trièves et Belledonne. Les deux autres massifs sont la Margeride-Aubrac et le Pays du Cantal.

Marc-Antoine Audras, conseiller technique forestier à la chambre d’agriculture de l’Isère et référent équilibre cynégétique, est membre du Comité paritaire sylvo-cynégétique (1) où il intervient en tant qu'expert. Il est au cœur de la démarche de mise en place des Indicateurs de changement écologique ou ICE que pilote la DDT de l'Isère.

Trois critères

« Il y a trois critères pour dégager des tendances et avoir une vision de la population de cervidés (d'ongulés) qui mettent une pression ou pas sur le milieu forestier », prévient le spécialiste.

Le premier indice est celui d'abondance. Il s'agit de compter des animaux sur des parcours identiques, aux mêmes périodes et dans les mêmes conditions. Concrètement, une ronde de 2h à 2h30 de nuit en voiture permet de compter les animaux pris dans les phares.  La méthode n’est pas exhaustive. « Cela donne une photo de la population animale », reconnaît Marc-Antoine Audras. Ce sont les observations sur plusieurs années qui font se dégager une tendance.

Le deuxième indice est celui de la performance. Il est relevé par les chasseurs, qui selon certains critères, observent l’état de santé des animaux. « L'indice le plus fréquemment relevé est celui du poids des jeunes », explique le spécialiste. En découle une courbe de performance corrélée avec l'abondance.

Le troisième indice de pression sur la flore est double : il mesure la consommation et l'abroutissement (plants mangés, frottés etc.). Les mesures sont effectuées sur trois massifs en Isère : Belledonne, Chartreuse et Vercors. « L'évolution des dégâts sur les plants est observée au cours des années afin d'établir une courbe d'impact des animaux sur la régénération », indique le spécialiste. La tâche est immense : relever 300 placettes en Belledonne, 200 dans le Vercors et 200 en Chartreuse. La chambre d’agriculture totalise à elle seule une centaine de jours de relevés. Normalement les données sont relevées de mai à août, mais pour cette première année le travail a seulement été lancé au mois d'août. Le maillage des placettes est constitué d'un point GPS tous les 30 ha, en forêt résineuse ou mixte, à 1 500 m d'altitude. Il n'est pas matérialisé, mais sur place les forestiers tirent un rayon de 15 mètres où ils identifient cinq sapins, cinq épicéas, cinq hêtres et cinq érables les plus proches du centre de la placette. Il s'agit de vérifier si les arbres sont abroutés et à quel niveau. L'indice de consommation consiste à relever la présence ou non d'essences forestières : ronces, framboises, myrtilles etc.) « C'est le seul outil scientifique, accepté réellement par les chasseurs », concède Marc-Antoine Audras qui souligne le travail multi partenarial réalisé entre chasseurs et forestiers. Sur le terrain, le forestier a déjà pu faire quelques constats. « Il y a des secteurs plus propices à l’abroutissement », glisse-t-il.

Equilibre rompu

Ces données serviront à alimenter la cartographie de l'équilibre des forêts pilotée par la DDT et l’ONF, à la demande de la Draaf. Cette carte distingue cinq catégories : zone à caractériser, non sensible, à maintenir, équilibre menacé ou rompu. « L’Isère est le seul département d’Aura où toute les Unités cynégétiques ont été caractérisées, ce qui veut dire que la DDT est parvenue à un accord entre chasseurs et forestier sur les UGC », indique Marc-Antoine Audras.

Il apparaît déjà que l’équilibre est rompu dans le Trièves, le Vercors-Quatre montagnes, la Chartreuse et Belledonne nord. Il est menacé dans le Vercors ouest, Belledonne sud (secteur Vaulnaveys) et sud grenoblois (Vizille). Le reste est en zone à maintenir ou non sensible. « Cette carte, qui existe depuis 2019 est discutable chaque année », précise le forestier. Il en va de l’équilibre des forêts et de leur régénération.

Isabelle Doucet

(1) Attaché à la Commission régionale forêt bois (CRFB), le comité paritaire sylvo-cynégétique établit, en concertation avec les commissions départementales de la chasse et de la faune sauvage (CDCFS), le bilan des dégâts de gibier recensés au cours de l’année écoulée et d’adapter un programme d’actions en faveur d'un équilibre sylvo-cynégétique dans les zones les plus affectées. 

La visite d’enclos/exclos forestiers dans le Trièves montre combien le maintien de l’équilibre sylvo-cynégétique est délicat.

Le réseau des sites d’avenir en Isère étudie la forêt et son évolution. Les enclos/exclos – il y en a une quarantaine en Isère dont seize dans le Trièves – sont dédiés à l’observation des conséquences de la présence ou non d’ongulés en forêt « et au rôle indispensable des chasseurs pour l’équilibre sylvo-cynégétique », souligne Fabien Mulik, vice-président du Département à la forêt et à la montagne, et vice-président délégué à l’agriculture pour la communauté de commune de Matheysine. Il participait début octobre à la visite de deux enclos/exclos créés il y a une dizaine d’années en forêt de Prébois. 
Sur le premier site, le constat est sans appel : sur l’exclos, les érables et les sapins sont mangés, il ne reste que quelques fayards en sursis, mais plus de noisetiers ni de ronces « signes d’une présence importante d’ongulés », indique Rémy Lecomte, responsable ONF de l’Unité territoriale du Trièves. A l’intérieur de l’enclos, les érables et les hêtres sont déjà développés et des semis de sapins grimpent lentement vers la lumière.

Jean-Yves Bouvet, le directeur de l’ONF, décrypte l’état de la forêt de demain qui risque « ressembler à des steppes ». Le non renouvellement, le changement climatique risquent d’opposer grands arbres qui n’auront pas été coupés, des pousses abrouties et quelques broussailles. Le crash test est simple : trouver dix semis dans un carré de 10mx10m, condition de l’équilibre. 

Le deuxième enclos visité à Prébois était luxuriant, témoin d’un autre extrême où la densité végétale ne permet pas non plus à la forêt de se régénérer. « C’est un réglage fin à trouver avec les chasseurs », poursuit le directeur. Les indices de changement écologiques mixés aux observations de terrain sont autant d’indications qui permettent d’élaborer les plans de chasse. En Isère, les relations entre chasseurs et forestiers pour parvenir à un consensus sur l’état de la forêt font figure d’exemple au niveau régional, « même si tout n’est pas rose », comme le souligne Norbert Moulin de la DDT de l’Isère.

ID

Visite d’un enclos/exclos en forêt de Prébois avec les chasseurs et les forestiers.