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« 2023 sera une année charnière »

Isabelle Doucet
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La Nuit de l’Agriculture, qui s'est déroulée le 4 novembre à La Côte-Saint-André, a été riche en réflexions et annonces dans un monde agricole directement interrogé par le contexte géopolitique mondial.

« 2023 sera une année charnière »
L'économiste Thierry Pouch est intervenu devant un auditoire de près de 200 personnes.

« Il va falloir tenir bon, dans un contexte dangereux », a lancé Thierry Pouch, économiste à Chambre d’agriculture France, aux agriculteurs et organismes professionnels agricoles lors de la Nuit de l’agriculture qui s’est déroulée vendredi 4 novembre à La Côte-Saint-André.
L’événement était organisé par le Conseil de l’agriculture départementale (CAD). Environ 200 personnes sont venues prendre la mesure d’une situation géopolitique mondiale qui remet en cause bon nombre d’équilibres, au premier rang desquels celui des ressources.



L’intervenant a brossé un état des lieux sans concession, décrivant un contexte où le facteur risque s’est accru en raison de la pandémie et de la guerre en Ukraine.
Mais il soutient que la France a des atouts - à condition de savoir en jouer politiquement - et que les agriculteurs français ont de la ressource, s’ils retrouvent le sens de l’intérêt collectif.
Thierry Pouch parle d’un monde d’avant « où les attentes sociétales redéfinissaient les modèles agricoles » et où le Green Deal était le fossoyeur de la production agricole européenne.

Souveraineté alimentaire

« C’est bien de vouloir faire transiter d’un modèle à un autre, mais avec quels moyens de financements et surtout combien d’agriculteurs ? », déclare-t-il. Car il y a désormais moins de 400 000 fermes en France selon le dernier recensement général agricole. 
Attitude paradoxale des consommateurs, désengagement de l’État, inertie de l’Europe sur fond d’inflation, d’aléas climatiques, de dépendance énergétique, de baisse de la production mondiale des céréales et des rendements ont fait ressurgir la question de la souveraineté alimentaire.
« Le bilan de la mondialisation ? », interroge l’économiste, « c’est le retour à l’État nation ».
Problème, depuis les années 80, la France a traversé une lame de fond de désindustrialisation. La production industrielle représente 14 % du PIB français quand elle est de 25 % en Allemagne, précise-t-il. Le plan de relance sera-t-il à la hauteur des ambitions de reconquête ?

Le soutien des politiques publiques

« Pour relocaliser, il faut du matériel, des ressources et le déficit de la balance commerciale se dégrade », explique Thierry Pouch.
Pour autant, il assure que l’agriculture française « a des atouts parce qu’elle a des territoires et des Hommes. Elle est capable de faire les transitions demandées, comme par le passé ».
Mais relever ces défis repose sur quelques conditions : le soutien des politiques publiques et de l’Union européenne et surtout sur l’unité collective.
Moyennant quoi, l'agriculture peut faire valoir la réputation de ses productions, s’appuyer sur un tissu d’OPA dense et sur un foncier agricole qui reste accessible en comparaison aux autres pays européens.

Le rôle de la France

« Les agricultures européenne et française sont craintes par les États-Unis », avance Thierry Pouch. Il rappelle que la France est le quatrième exportateur mondial de blé. Elle exporte 50 % de sa production, principalement vers l’Algérie.
À l’heure où l’Ukraine voit sa production de maïs en recul de 50 % et celle de blé de 23 %, « la France a un rôle à jouer ».
C’est aussi une question de rapports de force. Or, quand les grandes nations montrent leurs muscles, l’Europe reste en ordre dispersé.
« 2023 sera une année charnière […], reprend l’économiste. La pandémie et la guerre donnent des opportunités. »

Révolution agricole

Les forces, ce sont le capital humain, les conditions géographiques, le tissu des entreprises, l’organisation des filières, la diversité des productions, la recherche et l’innovation.
Les opportunités relèvent d’une demande mondiale élevée, d’une image d’excellence, de capacités logistiques adaptées et du levier de l’Union européenne.
Mais les coûts de production sont durablement élevés, la vision politique et collective peut faire défaut, la relation sociétale est entachée d’incompréhension et les moyens d’action sont diffus.
Enfin, la France est pénalisée par des biais concurrentiels et leurs incidences sur les marchés. Elle est exposée à de nouvelles dépendances énergétiques et économiques.
« La réponse politique est assez mal ajustée à ces enjeux », répète Thierry Pouch. Pourtant, le précédent ministre de l’Agriculture n’avait-il pas déclaré « la troisième révolution agricole » ?
Isabelle Doucet

Ils ont dit
Pour le député Yannick Neuder, "l'agriculture est le terrain d'excellence de l’État". Un bien précieux à protéger.

Ils ont dit

« La Russie est la grande bénéficiaire du réchauffement climatique »
Un peu agacé que Thierry Pouch cite en exemple la reconquête russe de son autonomie alimentaire, Pascal Denolly, le président du PAA, a fait observer que la taille de ce pays n’avait rien à voir avec celle de la France. Il est convaincu que l’Union européenne présente une véritable capacité de reconstruction.



Thierry Pouch a indiqué que la Russie pourrait bientôt mettre en culture tout le sud de la Sibérie. Face à cela, la France, en tant que première puissance agricole européenne, se doit de faire valoir son impératif de souveraineté alimentaire. Problème : la conditionnalité des aides couplées européennes « a vidé l’Union européenne de sa substance agricole ». Une fois de plus, l’économiste s’est montré peu tendre envers une PAC qui fête ses 60 ans à bas bruit.

Une réorganisation complète de l’assurance multirisque agricole
Emmanuel Berthier, délégué Groupama Rhône-Alpes Auvergne, a indiqué que tous les agriculteurs seront prochainement contactés par leurs conseillers « pour bénéficier de l’aide complémentaire du fonds national de solidarité » en matière d’assurance récolte. À la clé, une enveloppe de 680 millions d’euros.

Egalim a du plomb dans l’aile
Éric Chavrot, président de la coopérative Dauphidrom, filiale de Sicarev, souligne les efforts faits par les structures et les éleveurs pour mettre en place la contractualisation. Certes, les lois Egalim ont « permis de faire prendre conscience au consommateur que l’alimentation a un coût ». Mais les producteurs se sentent bien abandonnés face à la flambée des prix. « Seul on ne peut pas faire grand-chose sans l’appui des consommateurs et du législateur. »

Oxyane et les vers de farine
Jean-Yves Colomb, président de la coopérative Oxyane, a annoncé un prochain partenariat avec la société Invers (63) pour la production de protéines d’insectes pour l’alimentation animale, en l’occurrence, des vers de farine. Une initiative dans la droite ligne de la politique d’autonomie protéique développée par la coopérative.

Plus de 100 installations en Isère
Cédric Fraux, coprésident de JA Isère, considère 2022 comme une année charnière en raison des records d’installations qui ont dépassé la centaine en Isère. Il dit aussi sa fierté que la Région accorde la meilleure DJA de France.

« On va continuer à financer l’agriculture »
Oui, les taux bancaires ont tendance à bouger, accorde Bernard Clavel, délégué Crédit agricole Sud Rhône Alpes. Ils suivent l’augmentation des coûts de la ressource financière, qui concerne tous les citoyens. « Nous allons continuer à financer et soutenir les agriculteurs dans leur développement et leur installation », a-t-il tenu à rassurer.

« On nous a enlevé 10 % de notre capacité de production »
Jean-Claude Darlet, le président de la Chambre d’agriculture de l’Isère, est furax. « On parle de sécurité alimentaire et, au nom de préoccupations environnementales, on nous a imposé les Zones de non-traitement qui nous ont enlevé 10 % de notre capacité de production. »
Il dénonce « des textes qui se contredisent », le zèle de contrôle de l’OFB et la méconnaissance des métiers de l’agriculture de ceux qui éditent les lois « pour faire plaisir à des minorités ».

L’image, mais pas le son
« L’agriculture est le huitième art du cinéma » a déclaré Jérôme Crozat, président du CAD et de la FDSEA. Il fait référence à la qualité des paysages offerts par l’agriculture au cinéma. « Mais nous ne sommes pas assez coordonnés et l’on entend trop souvent parler nos détracteurs. L’image, c’est nous, mais le son, ce n’est pas toujours nous. »

« Vous avez ouvert la boîte à défis »
Fabrice Pannecoucke, le vice-président régional en charge de l’agriculture, a participé aux débats, assurant que la Région saurait accompagner les nombreux défis relevés par l’économiste Thierry Pouch. Il a rapidement présenté les priorités du prochain Feader (1).



C’est d’abord une DJA moyenne de 40 000 euros, mais qui peut être plus élevée en territoire de montagne. La deuxième priorité est l’accompagnement de la modernisation et de l’évolution des systèmes productions (eau, énergie, biosécurité). Le troisième point porte sur la valorisation des productions. Les autres priorités sont la ruralité, les programmes Leader et la forêt et enfin, la recherche et développement. Le budget Feader s’élève à 95 millions d’euros, porté à 195 millions avec la participation de la Région. Par ailleurs, les 18 plans filières seront entièrement revisités. Ils devront se partager une enveloppe annuelle de 18 millions d’euros.

ID

(1) Fonds européen agricole pour le développement rural 

Environ 200 personnes ont participé à la Nuit de l'agriculture parmi lesquelles des parlementaires et des élus locaux.