Aînés
Les seniors face au monde numérique : la fracture est consommée

Isabelle Brenguier
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En prenant une place de plus en plus importante dans notre quotidien, le numérique exclut les non-initiés. La lutte contre l’illectronisme est devenue au fil des années un enjeu de société dont se saisissent les collectivités et les associations.

Les seniors face au monde numérique : la fracture est consommée
Des adhérents du club Générations mouvement de Murinais, dans le sud-Grésivaudan, suivent une formation d'initiation à l'usage de la tablette.

Etre en lien avec ses proches. Faire des achats. Ecouter de la musique. Mais aussi faire sa déclaration d’impôts. Gérer ses comptes. Prendre un rendez-vous médical… Le numérique fait désormais partie du quotidien des plus jeunes comme des plus âgés.

Mais pour les personnes qui ne sont pas nées avec ces outils, leur utilisation peut s’avérer compliquée. Tellement compliquée qu’elle peut nourrir un sentiment d’exclusion chez celles et ceux qui ne sont pas connectés comme l’est la majorité de la société.

D’autant que cet illectronisme - néologisme né de la contraction des notions d’illettrisme et d’électronique – a de nombreuses conséquences dans la vie quotidienne, qu’il s’agisse notamment de l’administratif et du lien social.

10 à 13 millions de français confrontés à l’illectronisme 

Dans le cadre d'Action Publique 2022, le Gouvernement a mis en avant son ambition de dématérialiser 100% des démarches administratives d’ici 2022. Si cette dématérialisation des services publics facilite la vie de nombreux usagers, il en est encore beaucoup pour qui cette évolution les fait s’éloigner de ces services.

Car cette dématérialisation n’est pas mise en œuvre en complément des services physiques, mais souvent à leur place. Par exemple, il n’est quasiment plus possible aujourd’hui d’obtenir un permis de conduire, une carte d’identité, un passeport ou une carte grise autrement qu’en faisant une demande via le site ANTS (Agence nationale des titres sécurisés).

Sur le plan personnel aussi, les effets sont importants. Les actifs vivent beaucoup moins à proximité de leurs parents qu’auparavant. Le numérique a l’avantage de permettre aux familles de garder le lien. A condition que toutes les parties soient équipées et sachent utiliser ces outils.

Selon différentes études convergentes*, le nombre de personnes confrontées à la fracture numérique se situe probablement entre 10 et 13 millions de français dont une majorité de personnes âgées. Malgré une amélioration marquée de l’appropriation des seniors aux outils numériques ces dernières années (la crise du covid a bien aidé), le constat est sans appel. Il en est encore de nombreux qui restent en marge de la vie digitale.

Garder un lien physique

Christine Nemoz, responsable des services en milieu rural à la Communauté de communes des Balcons du Dauphiné, connaît bien la situation. Son quotidien consiste à accompagner les habitants du territoire des Balcons du Dauphiné dans leurs démarches administratives.

Jusqu’en 2020, elle agissait au sein d’une MSAP (Maisons de services au public). Depuis, la structure, implantée à Morestel, a été labellisée « France services ».

C’est-à-dire qu’elle respecte le cahier des charges édicté par l’Etat composé de différentes obligations comme la nécessité d’être située dans une zone éloignée d'une offre existante de services publics, d’avoir des agents formés, de proposer des conditions d’accueil agréables dans un espace-temps suffisant... En contrepartie, la structure labellisée bénéficie d’une subvention de 30 000 euros par an (financée pour moitié par l’Etat et pour moitié par les autres opérateurs intégrés dans la structure).

Si Christine Nemoz et ses collègues reçoivent un public de tous âges, la part des seniors est importante. Et la part qui se déplace pour une demande d’aide numérique l’est tout autant. « Il y a ceux qui n’ont pas les outils, dont les outils ne fonctionnent plus ou le débit n’est pas suffisant. Ceux qui ne savent pas faire. Ou ceux qui ont peur de faire… Les sentiments des personnes que nous accompagnons oscillent entre l’angoisse (prédominante), l’agacement, l’apathie, et parfois aussi le désir d’apprendre. Mais globalement, les gens se sentent démunis car ils ne comprennent pas cette logique informatique. Surtout les personnes âgées de plus de 70 ans. Et ces nouvelles méthodes accentuent la fragilité de personnes déjà fragiles », explique Christine Nemoz.

Cette structure d’accueil est un moyen concret de garder un lien physique avec la population. D’ailleurs, selon la responsable du service, les personnes reçues se montrent extrêmement reconnaissantes de l’accompagnement proposé.

Nora Chebbi, vice-présidente de la communauté de communes, en charge des services publics en milieu rural, le reconnait : « Notre volonté est de remettre de l’humain dans l’accompagnement des personnes. Ainsi, notre démarche politique est d’innover pour rendre accessible cette dématérialisation à la population. A toute la population. Nous voulons créer un maillage suffisant pour que personne ne se sente démuni ». D’où la création l’an prochain d’un nouveau site d’accueil à Villemoirieu.

Ateliers et formations

Générations mouvement, le réseau qui rassemble ce qu’on appelait auparavant les clubs des aînés ruraux, a également parfaitement conscience de l’impact de cette fracture numérique qui pèse sur les seniors. « Est-ce que les pouvoirs publics ont pris conscience qu’il y avait une génération qui n’avait jamais touché à un ordinateur ? »

Pierre Spirhanzl, président du club « Rencontres et loisirs » de Saint-Siméon-de-Bressieux, dans la Bièvre, se pose la question. C’est la raison pour laquelle, il a instauré des ateliers informatiques qui rassemble chaque semaine des adhérents de différents niveaux. « Nous avons constaté que même si les gens peuvent se rendre en mairies, en bibliothèques, pour avoir accès à un ordinateur, beaucoup souhaitent devenir autonomes et appréhender par eux-mêmes l’outil informatique. Mais ce n’est pas évident. Et nous sommes confrontés au problème du matériel. Bien que nous ayons investi dans l’achat d’ordinateurs fixes et portables, tout le monde ne peut pas se procurer son propre matériel. Les coûts sont importants et les retraites perçues en milieu rural sont faibles. C’est un vrai frein », indique le responsable.

Avec sa vision globale de président de Générations mouvement Isère, Adrien Chollat partage le point de vue de Pierre Spirhanzl et incite régulièrement ses adhérents à se mettre à l’informatique. Que ce soit par des ateliers dispensés au sein des clubs locaux grâce à des bénévoles compétents ou par des formations ponctuelles animées par des professionnels que le réseau propose régulièrement.

A l’image de celle qui a eu lieu à Murinais, dans le sud-Grésivaudan le 15 septembre dernier et qui visait à apprendre à se servir d’une tablette numérique. Réunis entre adhérents, entre amis, « entre nous », disent-ils, les participants se sont emparés de l’outil pour se créer une adresse-mail, jouer à des jeux, aller sur Internet. Une première approche…

* Les Petits frères des Pauvres: « L’exclusion numérique des personnes âgées », 2018

Le « Baromètre du numérique », 2020

Cahiers de la retraite-complémentaire : « Numérique : la connexion des personnes âgées en net progrès », 2019

Isabelle Brenguier

Vie associative / « Aider les gens à devenir autonomes »
Crédit photo : Association « L'âge d'or » Les salariés et les bénévoles de l'association « L'âge d'or » organisent des cours collectifs pour aider les seniors à utiliser les outils numériques.

Vie associative / « Aider les gens à devenir autonomes »

Pour aider les personnes âgées à se former aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’association « L’âge d’or », propose des cours et l’accès à différents services.

« C’est pour être aidées dans leurs démarches administratives que les personnes que nous accompagnons poussent notre porte », indique Hugo Eymard, médiateur numérique à l’association « L’âge d’or », implantée à Grenoble et qui a pour objectif de « favoriser l’accès aux nouvelles technologies pour les personnes de 50 ans et plus, sur ordinateur, tablette ou smartphone ». « Nous leur expliquons que la démarche va nécessiter plusieurs étapes avant d’atteindre cet objectif. Il faudra d’abord apprendre à allumer l’ordinateur, taper sur un clavier, manipuler une souris… », ajoute-t-il. Ainsi, grâce à l’organisation de cours collectifs et à un accueil au siège de l’association, les salariés aidés par des bénévoles contribuent à ce que les personnes désireuses de se familiariser avec l’informatique y parviennent. « Nous sommes habilités à effectuer des démarches sensibles mais ce n’est pas notre but. Nous préférons aider les gens à devenir autonomes. Nous les guiderons de façon très prononcée, mais nous ne ferons jamais à leur place », insiste Hugo Eymard. Selon les cours et les services, l’accès à l’association, à laquelle il convient d’adhérer, est gratuit, ou sous tarification solidaire. 

IB

Le label « France services »

« France services » est un guichet unique, qui permet d’accompagner dans les démarches administratives de neuf partenaires de l’État (La Poste, Pôle emploi, la Caisse des allocations familiales, la Caisse nationale d’assurance maladie, la Caisse nationale d’assurance vieillesse, agirs-arrco, la Mutualité sociale agricole, les ministères de l’Intérieur et de la Justice, la Direction générale des finances publiques), ainsi que différents partenaires locaux. Il vise à permettre à chaque citoyen quel que soit l’endroit où il vit, en ville ou à la campagne, d’accéder aux services publics et d’être accueilli dans un lieu unique, par des personnes formées et disponibles, pour effectuer ses démarches du quotidien. Le réseau est en cours de déploiement, mais en Isère 14 structures sont déjà labellisées « France services ». Elles sont implantées à Allemond, La Côte-Saint-André, La Mure, La tour-du-Pin, Mens, Monestier-de-Clermont, Morestel, Le Bourg-d’Oisans, Le Pont-de-Beauvoisin. Les autres sont itinérantes. Il s’agit des Pimms (Points d’information médiation multiservices) itinérants de Grenoble, Pont-de-Claix et Villefontaine.

Source : Préfecture de l’Isère