Grandes cultures
Du soja dans le Grésivaudan
Pour lutter contre la chrysomèle du maïs dans le Grésivaudan, le soja peut représenter une culture de remplacement intéressante.
Un paysage bien différent se dessiner depuis le printemps dans le Grésivaudan.
Car la vallée, habituellement propice à la culture du maïs, voit près de la moitié de ses assolements recevoir du soja.
En cause, une très grosse alerte sanitaire sur la chrysomèle du maïs.
Et le soja apparaît comme une culture de remplacement intéressante. Intégrée dans la rotation, elle empêche la larve du ravageur de se développer.
C’est la raison pour laquelle, la Chambre d’agriculture de l’Isère, avec l’Adabio et Terres Inovia, a organisé une journée technique à Crolles, début février, sur l’intérêt de la culture du soja dans le secteur.
Deux agriculteurs ont apporté leur témoignage en complément des repères techniques développés par les conseillers.
Arrivé d'Italie
« La chrysomèle est surtout présente dans le secteur de Saint-Nazaire-les-Eymes », détaille Bruno Genoulaz, dont le Gaec familial est à Crolles. Il s’attend à ce que le ravageur progresse vers Crolles et Lumbin.
Le coléoptère noir s’attaque aux racines et aux organes aériens de la plante. Affaiblie, elle finit par se coucher. Yann Janin, conseiller agronomique à la Chambre d’agriculture de l’Isère, rappelle que cet insecte originaire d’Amérique du Sud est arrivé d’Italie et remonte en France dans les zones de production du maïs.
« Les larves sont dans le sol l’hiver, éclosent au printemps. Les adultes colonisent les parties aériennes du maïs et pondent dans la parcelle jusqu’à un nouveau cycle, explique-t-il. La larve se nourrit exclusivement de racines. Si on met autre chose, elle meurt, donc la rotation est très efficace. »
D’expérience, Bruno Genoulaz constate que deux rotations sont plus efficientes pour détruire les larves dans les zones infestées.
Il estime aussi que les céréales à pailles sont bien placées pour lutter contre l’infestation. Mais seulement dans certains secteurs. Car, la rosée du matin du fond de la plaine du Grésivaudan n’est pas propice aux céréales à paille.
Isabelle Doucet
Lors de la réunion d'information sur la soja dans le Grésivaudan organisée à Crolles début février.
Des variations du Nord au Sud
Pour parvenir à maturité (stade R8), c’est-à-dire lorsqu’il ne reste que des gousses sur une plante chétive, le soja a besoin d’avoir cumulé 1 700 degrés jours.
Entre le Nord et le Sud du pays, il y a aura une différence de 10 à 12 jours pour atteindre ce stade de maturité.
Entre les 45e et 48e parallèles, les variétés les plus adaptées sont en précocité 00 (semis du 20 avril au 20 mai recommandé en catalogue), voire 000 (semis du 1er au 31 mai). Les conseillers préconisent un semis fin mai, dans un sol frais et propre.
Le semoir monograines à disque est adapté aux semis de soja (écartement 60 et 80 cm). La densité du semoir sera réglée entre 500 000 et 650 000 grains/ha et la vitesse d’environ 6 km/h.
La récolte s’effectuera avant la première décade d’octobre. « Après, ce serait trop humide », noter Laura Cipolla.
De nouvelles variétés
Bruno Génoulaz témoigne que cette année, il a semé fin mai pour une récolte très précoce, entre le 4 août et le 20 septembre. « D’habitude, nous moissonnons de fin août au 15 octobre », ajoute-t-il.
Il a implanté des variétés semences (RGT stumpa, ES mentor et ES commandor).
De son côté, Hervé Barbe, agriculteur à Lumbin, indique « qu’en faisant du 00, le rendement dépend de la date du semis, mais cela convient mieux en culture de dérobée ».
Les deux producteurs s’interrogent sur la recherche variétale et estiment que les choses ont peu évolué. Ils espèrent voir arriver des variétés plus compétitives.
Terres Inovia a procédé à de nouveaux essais variétaux et renvoie au tableau myvar (www.myvar.fr) des variétés de soja commercialisées en France en 2022.
Certaines présentent des performances prometteuses. Es mentor reste la variété la plus implantée, suivie d’atacama et RGT stumpa.
Le rendement
C’est le nombre de gousses sur la tige principale qui fait le rendement du soja. Il doit s’établir entre 15 et 35 gousses par pied et entre 1,5 et trois graines par gousse.
Pour un rendement supérieur à 35 qtx/ha, la tige principale supportera en moyenne 24,5 gousses, qui s’élèveront à plus de 15 cm du sol. La densité recherchée est de 30 à 60 pieds/m2.
« Le nombre de ramifications ne compense pas une mauvaise implantation. Plus il y a de ramifications et moins bon est le peuplement », avertissent les conseillers.
En conditions normales, les rendements en conventionnel et en agriculture biologique s’équivalent (33,4 qtx/ha en AB en 21 vs 32,6 qtx/ha en conventionnel en Auvergne-Rhône-Alpes). En revanche, en année sèche, les rendements en AB dégringolent.
En 2022, le stress hydrique a joué sur la qualité des graines, avec des PMG de 166 en moyenne en Isère contre 188,7 en 2021 (la moyenne en France sur 5 ans est de 186,5).
Le taux de protéine s’est établi à 49,3 en 2021 et 44,2 en 2022 (43,26 de moyenne nationale).
Des marges en bio
Des études économiques ont été réalisées pour observer les marges nettes de la culture du soja.
Il apparaît que le maïs en conditions normales est plus avantageux que le soja. Ce dernier devient intéressant en tant que culture de remplacement lorsqu’il y a des problèmes sur le maïs.
Les marges en agriculture biologique sont très intéressantes. Ces projections ont été réalisées sans tenir compte du coût de l’irrigation, ni de l’aide aux légumineuses (2).
ID
(2) Environ 150 euros d’aide aux légumineuses fourragères dans le cadre de la nouvelle PAC (ndlr).
Le désherbage
Olwen Thibaud, conseillère à la Chambre d’agriculture de l’Isère, préconise de « combiner les leviers » : rotation, déchaumage, labour en présence de graminées et s’il n’y a pas d’emploi de désherbant chimique, faux semis (au mois d’avril) etc.
D’expérience, les agriculteurs pensent que le désherbage mécanique marche mieux sur un semis tardif. Un passage en prélevée est possible.
« Le stade crosse est le plus sensible », prévient la conseillère. En revanche, il est possible d’intervenir dès la première feuille.
Herse étrille ou houe rotative (si le sol n’est ni sableux, ni caillouteux) peuvent être employées. Le binage ne peut pas être réalisé avant les premières feuilles.
L’utilisation de la chimie « est en dernier recours, insiste Yann Janin. Lorsque tous les leviers agronomiques ont été mis en place. »
Il préconise la plus grande vigilance pour éviter les aires de captage.
L’outil Qualicible (1) permet de localiser les parcelles concernées. Prowl, proma et atic-aqua sont des alternatives à mercantor en prélevée.
En post-levée, pulsar, passat plus, corum ou basagran peuvent être utilisés.
« Il existe des produits pour répondre à la plupart des problématiques », signale le conseiller. Mais une gestion 100 % mécanique est à la fois possible et recommandée.
(1) Quali’Cible est un Outil d’Aide à la Décision (OAD) cartographique permettant de s’informer sur les conditions d’emploi des herbicides sélectifs
Inoculer le soja
Le rhizobium de cette plante asiatique n’est pas présent dans le sol français. I
l convient donc de l’inoculer au départ pour assurer le bon développement des nodosités.
« La source de bactérie G49 est recommandée, signale Laura Cipolla. Elle a été testée et conseillée par l’Inrae. » Elle se présente sous forme de tourbe, de graines pré-inoculées ou liquide. NPPL Force 48 et Rizoliq Top sont les plus utilisées.
L’inoculation se fait dans des parcelles n’ayant jamais porté de soja, avec un retour au bout de quatre ans.
Une légumineuse qui fixe l’azote
Le soja est une légumineuse réputée pour sa capacité à fixer l’azote.
Son cycle est court, environ 160 jours. En France, elle est destinée à 80 % pour l’alimentation animale et 20 % pour l’alimentation humaine.
Sa teneur en protéines est élevée (40 % de la matière sèche minimum). Dans le Grésivaudan, le soja semence est aussi très présent.
Cette culture n’a pas besoin de fertilisation azotée. En tant que précédent, elle permet d’économiser 30 à 50 unités d’azote par hectare sur la culture suivante.
Elle est peu sensible à la maladie et aux ravageurs et valorise très bien l’eau disponible les besoins en eau son inférieur à ceux du maïs (480 mm vs 520 mm).
Pour les agriculteurs, c’est une culture qui est « plus facile à mettre en place » et permet d’économiser un passage en travail du sol par rapport au maïs.
Les rendements moyens dans la région se situent entre 29 et 33 qtx/ha.
L’Isère est le deuxième département producteur région après l’Ain.
Un réseau de piégeage
Arvalis a mis au point un réseau de piégeage dans le Grésivaudan depuis 2019. Les pièges chromatiques de couleur jaune attirent les insectes.
En 2022, il semble que la pression ait été moins importante qu’en 2021, mais il y a eu plus de dégâts. La différence tient à ce que l’eau en 2021 a permis au maïs de tenir le coup, alors que la sécheresse de 2022 a eu raison des cultures.
Entre 0 et 5 individus piégés par jour, il est conseillé de faire une rotation une année sur trois ou sur quatre sans maïs et de combiner avec un insecticide pour lutter contre le ravageur.
À partir de 5 adultes piégés par jours, les dégâts sont considérés comme importants. « Si on ne fait rien, au bout de quelques années, 100 % de la parcelle est ravagée », indique Laura Cipolla, ingénieure développement à Terres Inovia.
Avec un insecticide ou une rotation une année sur six, l’infestation est totale au bout de 6 ou 7 ans. Elle recommande « de casser le cycle plus fréquemment. Entre une année sur trois et une année sur cinq, on constate que la nuisibilité est moins importante ».
La combinaison des leviers (rotation + insecticide) rend la lutte encore plus efficace. La portée des insecticides au sol est nulle sur faibles populations, mais également lorsque la culture précédente et suivante est autre que du maïs.
Du côté de Saint-Nazaire-les-Eymes, le réseau de piégeage a comptabilisé jusqu’à 30 individus par jour, témoin d’une très forte pression.
Il est également observé que l’eau dérange les larves de chrysomèle. En revanche, elles ne craignent pas le gel.
Les conseillers indiquent par ailleurs que le soja en tant que culture de diversification permet de répondre aux critères de la nouvelle PAC (obligation de rotation sur 35 % des parcelles et deux cultures différentes sur quatre ans glissants).