Projets alimentaires territoriaux
L'Isère, actrice de sa souveraineté alimentaire

Marianne Boilève
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Avec quatre projets alimentaires territoriaux à son actif et deux en préparation, le département montre que collectivités et habitants peuvent travailler à relocaliser une partie de leurs approvisionnements, tout en s'engageant dans la transition agricole et alimentaire.

L'Isère, actrice de sa souveraineté alimentaire
Mettre plus de produits locaux dans l'assiette des habitants, tels est l'un des objectifs partagés par tous les projets alimentaires territoriaux isérois.

Le 18 mai, le président de la République prendra part au colloque sur la souveraineté alimentaire organisé par le Conseil de l’agriculture française. Il y sera largement question de la « nécessaire reconquête de notre autonomie alimentaire », soutenue à hauteur de 500 millions d'euros par le Plan de relance.

Relocaliser l'alimentation

En Isère, on n'a pas attendu ces injonctions martiales pour se mettre au travail. Les réflexions et les premières coopérations dans le champ de l'approvisionnement local remontent aux années 80. Elle se sont accentuées avec l'augmentation de la pression foncière et l'accroissement de la demande en produits alimentaires locaux. Et il n'est pas rare de voir des élus isérois se mobiliser et travailler avec la profession agricole et les citoyens pour penser la « relocalisation de l'alimentation ».

Transition alimentaire

Ici, c'est un soutien appuyé du conseil municipal à la création d'un magasin de producteurs. Là, un collectif fait pousser un drôle de bistrot sur les toits de Grenoble - un Bar Radis produisant ses légumes et invitant ses clients d'être « acteurs de leur assiette ». Ailleurs, des danseurs se proposent de chorégraphier « la culture nourricière » et maraîchère de leur village (Revel-Tourdan). Ailleurs encore, on compose les menus des cantines avec des produits locaux, on organise des ateliers pour (ré)apprendre à cuisiner ou on monte des opérations « paniers solidaires » à destination des publics dits fragiles. Le point commun entre toutes ces initiatives ? Une même envie d'engager la transition alimentaire, de « territorialiser » les approvisionnements et de coordonner tous les acteurs pour que ça fonctionne. Dans le jargon des politiques publiques, on appelle ça un PAT : un projet alimentaire territorial.

L'Isère a quatre PAT

L'Isère est plutôt bien pourvue. On en dénombre quatre, émergents ou bien engagés selon leur ancienneté. Après le projet alimentaire inter-territorial (PAIT) du bassin grenoblois labellisé l'an dernier, les dossiers des communautés de communes de Matheysine et d'Entre-Bièvre-et-Rhône viennent d'être retenus dans le cadre d'un appel à projets du Plan de relance. Mi-avril, le Département a déposé sa candidature à son tour. Il devrait être suivi par les Vals-du-Dauphiné et les Balcons-du-Dauphiné.

Exemple du bassin grenoblois

Cette dynamique départementale a démarré en 2015, lorsque la ville de Grenoble et les six territoires qui l'entourent (1) ont commencé à réfléchir à la mise en place une stratégie alimentaire interterritoriale, qui engendrera le PAIT du bassin grenoblois. A l'origine de la volonté des élus, une ambition partagée : utiliser le levier de la commande publique pour « mettre davantage d’aliments locaux dans l’assiette » des habitants et offrir de nouveaux débouchés aux producteurs locaux, tout en préservant les ressources et en répondant aux exigences de santé publique et de justice sociale. Des dizaines de collectivités territoriales (urbaines, rurales et montagnardes) et d'acteurs économiques, des associations et des collectifs de citoyens, tous convaincus de l'urgence d'agir en faveur de la transition agricole et alimentaire, ont été associés à la démarche.

Définir des priorités

Après s'être mis d'accord sur six priorités, déclinées en autant de « champs d'action », les territoires se sont réparti le travail. La métropole grenobloise s'est attelée à la « structuration des grands équipements de filières territoriales alimentaires », en partenariat avec le Département et les organismes consulaires (ce qui a donné naissance au Pôle agroalimentaire de l'Isère).

Méthodologie commune

Le Pays voironnais a travaillé à l'élaboration d'une méthodologie commune de préservation et de compensation du foncier agricole. Le Grésivaudan s'est chargé de sensibiliser les consommateurs et de leur faciliter l'accès aux produits locaux (création d'une carte interterritoriale des producteurs locaux), tandis que le parc du Vercors s'est emparé du dossier de la restauration collective.

Le levier de la commande publique

Ce dernier est l'un des domaines sur lesquels le levier de la commande publique peut s'avérer efficace et puissant. Encore faut-il savoir comment s'y prendre. Le PAIT est en train de mettre en place un accompagnement juridique et technique pour aider les communes à composer des menus réalisables, financièrement viables et adaptés à la production agricole locale. Dans le même temps, il travaille avec le Pôle agroalimentaire à la structuration et la professionnalisation des filières. Dans ce vaste chantier, une attention particulière est portée à la logistique et à la rationalisation des tournées pour réduire les coûts sans affecter la rémunération des producteurs. 

Département moteur

Loin de faire doublon avec le PAIT du bassin grenoblois et les PAT locaux, le projet alimentaire territorial du Département doit au contraire en démultiplier les effets levier. Articulé autour de cinq grands axes (2) inspirés de sa politique agricole et alimentaire, le PAT de l'Isère, s'il est retenu, sera assorti de subsides au titre du Plan de relance, ce qui permettra l'émergence de plusieurs projets. « C'est un peu le système du petit train : on fait monter avec nous différents partenaires pour qu'ils puissent bénéficier d'aides dans le cadre de l'appel à candidature "mise en œuvre opérationnelle et actions structurantes des PAT" », explique un proche du dossier.

Coup de pouce aux projets structurants

Devraient ainsi en bénéficier l'association de producteurs Plein Lait Yeux (pour son projet de brique de lait Plein Lait Yeux-IsHere), la chambre d'agriculture (diagnostic de la filière légumes et légumineuses pour structurer une offre locale), Manger bio Isère (renforcement des filières bio locales, planificaion des productions, animation des réseaux…), la légumerie AB-Epluche (projet de conserverie) ou encore Gélifruit (expérimentation d'une nouvelle filière légumes surgelés).

Echanges d'expériences

En complément de ces actions structurantes, le PAT du Département se propose de favoriser les échanges d'expérience entre les PAT locaux et d'accompagner les collectivités iséroises dans le développement de stratégies alimentaires. « Comme nous avons parmi nos compétences la cohérence territoriale, nous pouvons mettre en réseau les acteurs, précise-t-on au Département. Nous allons aussi proposer aux EPCI qui ne l'ont pas encore fait d'adhérer au Pôle agroalimentaire, afin que la structuration des filières alimentaires soit gérée de façon coordonnée et efficace, mais aussi pour éviter les trous dans la raquette. » En sortant de son colloque sur la souveraineté alimentaire, le président Macron serait bien inspiré de faire un tour en Isère…

Marianne Boilève

(1) Grenoble Alpes Métropole, la ville de Grenoble, les communautés de communes du Grésivaudan, du Pays voironnais et du Trièves, ainsi que les parcs naturels régionaux de Chartreuse et du Vercors.
(2) Le PAT de l'Isère se décline en cinq axes : conforter une offre territoriale de qualité ; mettre en lien l'offre et la demande locales ; utiliser le levier de la commande publique en restauration collective ; favoriser l'accès des publics fragiles à une alimentation de qualité ; accompagner les initiatives de territoire.

 

Emergence d’un PAT Entre Bièvre-et-Rhône
La compagnie de danse Ephémère, partenaire du PAT, s'est invitée chez les producteurs de Revel-Tourdan pour mener un travail chorégraphique dans leurs serres.

Emergence d’un PAT Entre Bièvre-et-Rhône

Retenu dans le cadre du Plan de relance, le projet de la communauté de communes privilégie une approche transversale qui fédère des acteurs très divers, tous engagés dans la construction d'un système agricole et alimentaire territorial.

Avec la Matheysine, la toute jeune communauté de communes Entre-Bièvre-et-Rhône (Eber) est lauréate iséroise d’un appel à candidature qui tombe à pic. Fin 2020, alors que les élus esquissaient les contours de leur stratégie agricole et alimentaire, voilà que le Plan de relance leur a offert l'opportunité de présenter un dossier de Projet alimentaire territorial (PAT), avec financements à la clé. Ni une, ni deux, la collectivité s'est mise au travail. « Nous sommes partis du sol pour aller jusqu'à la fourchette », résume avec humour Vincent Daön, responsable du pôle Economie d'Eber.

Objectifs communs

Privilégiant une « approche transversale », les élus se sont d'abord entendus sur les finalités du PAT : atteindre les objectifs Egalim pour les produits locaux dans la restauration hors domicile, développer le nombre d'exploitation HVE ou bio, lutter contre le gaspillage et la précarité alimentaire, augmenter le nombre d'animations pédagogiques dans les écoles…

Publics cibles

Il a fallu ensuite recenser toutes les activités en lien avec l'agriculture et définir des « publics cibles » (agriculteurs, transformateurs, distributeurs, scolaires, acteurs de la restauration hors domicile et populations précaires). « Pour atteindre nos objectifs, nous devons concilier des enjeux à la fois économiques, environnementaux, sociaux, mais aussi humains, précise Robert Duranton, maire de Roussillon et premier vice-président d'Eber en charge des finances et de l'agriculture. Pour que chacun puisse trouver sa place dans le projet alimentaire et s'exprimer. Avec la HVE et le bio par exemple, nous insistons sur le côté environnemental, mais il faut d'abord produire des produits de qualité, dans un environnement moins conflictuel. D'où l'importance de la communication. »

Culture nourricière

C'est là que la dimension multi-partenariale du PAT d'Eber prend tout son sens. Car à côté des acteurs institutionnels et économiques "classiques" (communes, Département, Pôle agroalimentaire, chambre d'agriculture, acteurs économiques du territoire comme ReColTer, les Fruitiers dauphinois ou les Fruits du Val-qui-rit…), le projet mobilise une grande diversité de « partenaires », comme la MSA et les organismes sociaux pour les paniers solidaires, les associations et les acteurs culturels.

Danse et maraîchage

Très investie dans le territoire, la compagnie Ephémère a par exemple accepté de greffer son projet Serre On Nous sur l’arborescence du PAT. « Les serres des producteurs font partie de notre paysage rural, ici, entre Bièvre et Rhône, explique la chorégraphe Geneviève Baudot. La danse et la création vidéo s’immiscent dans ces espaces pour poétiser l'engagement des agriculteurs, valoriser ce paysage matériel et immatériel, porter à l'imaginaire le savoir-faire de la culture nourricière. » Samedi 8 mai, plus de 200 personnes sont ainsi venues chez Jacques Roux, producteur à Revel-Tourdan, découvrir les liens étroits que l'on peut tisser entre fraises, danse et vidéos. Une expérience éPATante.

MB