Gel d'avril
Les arboriculteurs sont inquiets

Un mois après l'épisode de gel catastrophique qui les a touchés, les arboriculteurs de la vallée du Rhône ont rencontré les élus locaux et nationaux pour faire un point de la situation.

Les arboriculteurs sont inquiets

L'émotion n'est pas retombée. Elle se double sans doute d'une colère froide. Le gel de début avril qui a touché la France entière et la région Auvergne-Rhône-Alpes en particulier réunit toujours autant de monde : le 12 mai, c'est chez Jérôme Jury, producteur de fruits à Saint-Prim, au sud de Vienne que les élus locaux départementaux, régionaux, députée, sous-préfet et représentants de la profession se sont retrouvés. Un mois après la catastrophe pour faire un état des lieux sur la réponse apportée. Car on connaît approximativement son ampleur. 

Terminator

« Environ 250 producteurs touchés en Isère, 150 millions de pertes de production, chiffre Jérôme Crozat, président de la FDSEA de l'Isère face aux élus et au représentant de l'Etat. Verser entre 1 000 et 3 000 euros à chaque producteur est ridicule. L'Etat doit agir et le faire avec les collectivités locales. Les pouvoirs publics doivent faire des efforts et trouver les solutions pour surmonter cette catastrophe économique. Nous espérons avoir un Président de la République, un Premier ministre et un ministre de l'agriculture à la hauteur. Si Emmanuel Macron n'agissait pas dans ce sens, il resterait comme le Terminator de l'arboriculture française. » 

Les mots sont forts, mais soulignent l'attente d'un secteur économique en extrême difficulté. Le président de la chambre d'agriculture, Jean-Claude darlet, relève lui aussi le faible niveau de l'intervention de l'Etat. « 2,5 millions d'euros pour les 12 départements Aura, soit 150 000 pour l'Isère donc 30 exploitations à 5 000 euros. Face à cela, les stations de ski ont reçu des milliards, les restaurants 10 000 euros par mois pour la crise du Covid 19. En arboriculture, l'Etat se contente de saupoudrer », s'exclame-t-il très agacé.

Il s'interroge sur l'année sociale blanche : « blanche veut dire souvent report et donc obligation de payer plus tard. Il faut au contraire une prise en charge totale. » Il rejoint en cela une demande formulée récemment par la caisse régionale de la MSA. 

« Blanc c'est blanc »

Directement interpelée, la députée Caroline Abadie se montre ferme : « cette crise est sans précédent, exceptionnelle. La décision est d'aider au maximum, d'opérer un sauvetage en mode covid. Il ya 20 millions d'euros débloqués en urgence pour les départements. Ces sommes sont à la main des préfets pour aider les exploitations qui connaissent de réels problèmes de trésorerie. Ces sommes sont différentes du milliard d'euros mis sur la table à la disposition des DDT. Ces aides arriveront en juin au moments où les fruits auraient dû commencer à être sur les étals. En ce qui concerne le volet social de ce dossier, une année blanche est une année blanche. Ce n'est pas un report. Le Premier ministre me l'a affirmé lui-même ce matin. » L'engagement est fort et porte dans l'assemblée. Cependant les représentants de la profession émettent immédiatement des doutes : « Où en sont les aides pour les calamités 2019, demande Jérôme Crozat. Les ordres ont été lancés mais l'Agence de paiement n'a pas assez d'argent pour les régler. Alors, une aide versée en juin, je suis sceptique sur son versement. » Jérôme Jury fustige lui la lenteur administrative. « Il y a trois semaines que j'ai demandé une activité partielle pour certains de mes salariés. Je n'ai toujours pas de réponse de l'inspection du travail. Et en tant que président d'un magasin de producteurs, j'ai attendu 5 ans avant de percevoir des aides dues. »

La Région souhaite une action concertée

Tous les interlocuteurs ont senti la colère profonde qui anime les producteurs locaux lassés de ces calamités à répétition, des menaces sur l'irrigation dont les volumes octroyés cette année ont diminué, de la concurrence déloyales de certains pays producteurs ou de l'attitude des grandes surfaces qui favorisent les productions étrangères « et se gavent sur nos productions ». Thierry Kovacs, conseiller régional « sent ce désespoir ». « D'ailleurs tous les élus sont venus vous rendre visite face à l'ampleur de la catastrophe. Cela met des dizaines de familles en difficulté car il n'y a pas de revenus mais des dépenses. Cette situation suit des années de productions anormales, de gel, de sécheresse, de grêle. Cela pose la question de l'autonomie alimentaire de notre pays. Nous ne devons pas nous retrouver comme dans la situation des masques ou des médicaments lors du premier confinement pendant lequel on a pris conscience qu'il fallait faire revenir des fabrications sur notre sol. Aura-t-on toujours le ventre plein ? »

Dans l'immédiat, l'élu régional rappelle que « Laurent Wauquiez a fait voter un budget de 15 millions d'euros pour aider les acteurs économiques. Il veut organiser un plan Orsec collectif de 50 millions d'euros. Le conseil départemental, Delphine Desarnaud présidente d'Entre Bièvre et Rhône sont prêts à agir dans ce sens également. » Mais « il faut faire sauter le système des minimis, souligne Robert Duranton, vice-président du conseil départemental en charge de l'agriculture, il bloque l'intervention des collectivités. » Ce système imposé par l'Union européenne plafonne les aides aux exploitations ou aux structures économiques de commercialisation à un plafond très bas calculé sur trois ans. Il empêche un cumul d'aides. La profession demande son relèvement substantiel. « Il y a une urgence agricole car il y a une crise exceptionnelle », souligne Thierry Kovacs. 

Les mesures existantes et les points de blocage à retrouver sur terredauphinoise.fr

 


Encadré

Environnement

Les propriétaires doivent entretenir les rives

Comme si une catastrophe ne suffisait pas, l'exploitation de Jérôme Jury a connu une inondation le 10 mai. Le bas de ses parcelles est traversé par un ruisseau, le Saluant, un cours d'eau épisodique puisqu'il « y avait trois ans qu'il était à sec », remarque l'arboriculteur. De part et d'autre de ce ruisseau, il a implanté des serres de fraises pour six hectares en tout. Un atout pour l'exploitation qui diversifie ainsi ses productions. Mais les 140 millimètres d'eau tombés en 24 heures ont fait gonfler le Saluant, dont le tracé est à peine plus gros qu'un fossé. Les abords sont bien tenus au niveau de l’exploitation de Jérôme Jury. « Mais un couloir écologique a été implanté dans une partie où je ne suis que fermier et, à partir de là et en amont, aucun entretien n'est réalisé », déplore-t-il. Du coup, des arbres et des branches ont été transportés par l'eau, ont formé un barrage et dévié le cours d'eau... dans les fraises. 2,5 hectares sont perdus car recouverts de boue. « Les pieds ne devraient pas s'en sortir », d'après l'exploitant. Et toutes les fraises qui sans être recouvertes de boue ont été traversées par l'eau sale, sont non-commercialisables. Elles sont tout à fait consommables moyennant un passage sous l'eau du robinet, mais ne sont pas acceptées par les metteurs en marché. 

« Un couloir écologique nous a été imposé alors que des haies, et les vergers sont présents tout autour, dénonce Jérôme Jury. Et personne ne se charge d'un minimum d'entretien destiné à prévenir les embâcles.(1) » Il a donc emmené les élus locaux, maires et conseillers départementaux, notamment Thierry Curtaud, sur place pour leur faire prendre conscience de la situation. Ce dernier a promis de s'occuper de ce dossier. 

 


(1) Dans les années qui ont suivi la catastrophe de Vaison-la-Romaine (1992), des budgets colossaux avaient été dégagés par l'Etat dans certains départements dans le cadre de contrat de rivière pour entretenir les bords des cours d'eau. Mais c'était il y a 29 ans.

JME

 

Une exploitation innovante

L'entreprise de Jérôme Jury comprend une exploitation pour la production et une société de commercialisation, Val qui rit. 

Le chef d'entreprise cherche à coller aux demandes de ses metteurs en marché avec le respect de la démarche Global gap qui apporte des réponses par rapport à la qualité sanitaire des produits et au respect du droit du travail. 

Il est dans une démarche Label Rouge pour ses abricots. Seuls six exploitations répondent à ce cahier des charges en France. « C'est une satisfaction personnelle mais aussi parce qu'il y a de fortes attentes du côté des consommateurs, indique-t-il. Dans les grandes surfaces, le but est de passer l'agréage, mais cela ne donne pas un produit satisfaisant pour le client final. » L'agréage contrôle l'aspect du fruit et surtout sa bonne tenue sur les étals. Cela privilégie des fruits qui doivent être beaux et durs pour être acceptés par les grandes surfaces.

Jérôme Jury a relevé aussi le défi de la haute valeur environnementale de niveau 3 (HVE 3). « On gère finement les interventions phytosanitaires, les économies d'eau, la biodiversité dans nos parcelles. Je n'ai aucun problème à traiter quand il faut car mes fruits ont zéro résidu au moment de la commercialisation. »

Palette d'outils antigel

L'exploitation détient aussi un éventail impressionnant de moyens de lutte contre le gel. 

28 000 bougies antigel ont été utilisées pendant l'évènement imparable de début avril. Un tour antigel est également installée au milieu de ses parcelles. Ses pales renvoient l'air chaud vers le bas pour éviter le refroidissement au ras du sol. Elle couvre 5 hectares. Un feu de palettes est allumé à son pied pour augmenter son efficacité. 

Des remorques avec des générateurs d'air chaud (chauffé au gaz) sont également présentes dans l'exploitation. Il y a aussi un convecteur à bois « assez efficace » selon son propriétaire. Tous ces moyens ont été utilisés début avril, mais le froid était trop intense et surtout trop long (une dizaine d'heures consécutives). Ils n'ont rien sauvé. 

 

Encadré 2
Pas de production mais du travail et des coûts

Même si les arbres ne portent pas de fruits, des interventions sanitaires sont nécessaires. La lutte contre l'anthracnose, contre le carpocapse, nécessite des passages de pulvérisateurs car un arbre en souffrance cette année n'assurera pas une bonne récolte 2022. Un entretien minimal de l'herbe sur le rang devra être également réalisé mais le plus tard possible selon les producteurs pour éviter des coûts inutiles. Car au-delà des produits utilisés, il y a aussi du carburant, l'usure du matériel et la main-d'œuvre. 

La taille en vert sera nécessaire (en juin) pour éviter les branches inutiles (gourmands) et garder des arbres aérés et dans lesquels la lumière pénètre. La récolte 2022 en dépend.