PSE
Payés pour travailler avec la biodiversité

Marianne Boilève
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En Isère, deux territoires ont été retenus par l'Agence de l'eau pour expérimenter les paiements pour services environnementaux (PSE) dans des espaces à enjeux. La Capi et le syndicat de bassin Sirra ont recruté des agriculteurs intéressés par la démarche.

Payés pour travailler avec la biodiversité

Rémunérer les agriculteurs pour les services qu'ils rendent à l'environnement, c'est dans l'air du temps. Depuis quelques semaines, l'Agence de l'eau expérimente les paiements pour services environnementaux (PSE). En Isère, la Capi et le syndicat de bassin Sirra vont intégrer la démarche, qui s'inscrit dans le cadre de la Stratégie nationale pour la biodiversité, dont l'un des objectifs est de « faire de l'agriculture une alliée de la biodiversité et d'accélérer la transition agroécologique ».

La Stratégie national pour la biodiversité compte faire de l'agriculture une alliée.HVE

« Pour mobiliser les gens, il faut avoir quelque chose en retour », reconnaît Johan Revol, de l'Earl de Vacheresse, à Maubec. Installé en polyculture-élevage sur une exploitation de 385 hectares, le jeune homme commercialise déjà ses blés en filière Agri-Ethique, qui combine rémunération équitable et pratiques agricoles durables. Il est également engagé dans une démarche de certification HVE (haute valeur environnementale) pour sa production de céréales.

Ce n'est pas un hasard : Johan Revol réfléchit depuis longtemps à ses pratiques au regard de leur impact environnemental et s'est même posé la question de la conversion en bio. Et pas seulement parce qu'il a sept captages prioritaires sur ses terres. « Quand je sors avec le pulvé, ça me pose problème, parce que je vois mon sol vivant et que c'est lui qui nous nourrit », confie le jeune exploitant.

Travailler avec la biodiversité

Voilà pourquoi lorsqu'il a entendu parler de l'expérimentation de paiements pour services environnementaux (PSE), il a tout de suite dressé l'oreille. Et quand la Capi, l'un des deux territoires isérois lauréats de l'appel à initiatives régional, l'a sollicité pour participer à l'élaboration d'indicateurs simples pour mettre en œuvre les PSE, Johan Revol n'a pas hésité. « Travailler avec la biodiversité, ça a du sens et ça m'intéresse, assure-t-il. J'ai envie d'avancer, de changer. »

Test du slip

Depuis des années, l'exploitant, membre du groupe Isère Sols vivants, travaille à réduire sa consommation de produits phyto, en s'appuyant sur les techniques culturales simplifiées, les couverts végétaux, les allongement des rotations ou encore les associations de cultures. Johan constate régulièrement le bénéfice de ces efforts en termes d'agronomie. En juin 2019, le « test du slip » réalisé avec ses collègues d'Isère sols vivants en a d'ailleurs fait la preuve par le ver de terre. Ce qui l'intéresse dans les paiements pour services environnementaux, c'est la logique de rémunération au résultat. « Je vise la certification HVE pour obtenir une meilleure valorisation de ma production, explique-t-il. Or dans les PSE, comme dans la démarche HVE, ce qui compte, c'est surtout la marge de progression à l'échelle de l'exploitation entière. Je trouve ça très motivant. »

En 2019, le groupe Isère Sols Vivants a expérimenté avec succès le fameux "test du slip".Intéressant pour les agriculteurs

C'est aussi l'avis de Sandra Riquet, responsable de l'équipe Agronomie-Environnement à la chambre d'agriculture de l'Isère : « C'est un dispositif expérimental qui s'apparente beaucoup aux mesures agro-environnementales. Mais avec les Maec, seules les parcelles sur lesquelles existe un enjeu environnemental sont prises en compte. Là, les montants des PSE s'adressent à l'ensemble de l'exploitation. Ça peut donc être intéressant pour les agriculteurs, surtout si leurs pratiques évoluent. »

Les progrès récompensés

Pour bénéficier pleinement du dispositif, il ne suffit donc pas d'avoir des bonnes pratiques et de s'y tenir : il faut aussi progresser. « Nous visons un résultat en matière de qualité de l'eau, rappelle Laure Vallade, référente PSE à l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse. Nous attendons des projets qu'ils aient un véritable impact à l'échelle d'un territoire. » Ceux de la Capi et du Syndicat isérois des rivières Rhône aval (Sirra) vont dans ce sens. Il s'agit de faire des PSE, dispositif financé par l'argent de la redevance, un « levier prometteur pour accompagner les agriculteurs dans le changement de leurs pratiques culturales ou de leur système d'exploitation » afin d'améliorer la qualité de l'eau et reconquérir la biodiversité.Pour réduire leur consommation de produits phyto, les agriculteurs peuvent s'appuyer sur les techniques culturales simplifiées, les couverts végétaux, les allongement des rotations ou encore les association de cultures.

Complément des MAEC

Sur le territoire de la Capi, sept secteurs dotés de captages prioritaires ou stratégiques sont concernés. Dans la vaste zone du Sirra, partagée entre l'Isère et la Drôme, le syndicat de bassin a demandé aux collectivités (147 communes en tout) de lui indiquer des noms d'agriculteurs qu'il serait pertinent de mobiliser. Dans un souci d'efficacité, les deux structures lauréates se sont associées à des partenaires locaux pour peaufiner les indicateurs et mettre en œuvre les PSE sur le terrain. Elles s'appuient depuis plusieurs mois sur les compétences et les réseaux de la chambre d'agriculture de l'Isère, de l'Adabio, des associations environnementalistes, de la Fédération des chasseurs de l'Isère et des opérateurs économiques (Oxyane, Maison François Cholat, établissements Bernard, Danone...). « C'est un bon dispositif qui vient suppléer les Maec, sans leurs contraintes, estime John Guillaume, chargé de mission agro-environnement aux établissements Bernard. Les indicateurs sont imposés par l'Agence de l'eau, mais nous avons la possibilité de les assouplir en argumentant. L'objectif, c'est qu'ils soient cohérents avec le territoire et en phase les pratiques des agriculteurs. »

Baisser les IFT

Ces derniers se disent prêts à jouer le jeu... si ça en vaut la peine. « Nous avions déjà réduit la fertilisation azotée dans le cadre des Maec, mais ça s'est mal terminé : on a mis trois ans pour les toucher, se souvient Laurent Thomas, exploitant céréalier à Diémoz. Nous sommes sur un captage et on nous demande de ne pas trop mettre d'azote. Le problème, c'est qu'on n'a plus assez de protéine sur les blés. Avec les PSE, on pourrait baisser les IFT (Indicateur de fréquence de traitements phytosanitaires- NDLR) et ça pourrait compenser... »
Installé en grandes cultures à Estrablin, Jean-Paul Massardier, lui, cherche un dispositif susceptible de prendre le relais de ses Maec qui s'achèvent fin 2020. Son exploitation est en zone sensible, près d'un captage et au bord d'une rivière. Il est intéressé par les PSE, « mais il faut voir ce qu'ils proposent en échange. Un tel système permettrait aussi de revaloriser notre image ».

Marianne Boilève