Réflexion
Des initiatives éparpillées autour de la transition alimentaire plutôt qu'une politique globale

Isabelle Brenguier
-

La transition alimentaire était au cœur de la conférence organisée par la Métro et « Grenoble Capitale verte » le 30 septembre. Le propos de Damien Conaré et Roberta Sonnino, experts internationaux, a fait état des changements à mettre en œuvre pour y parvenir.

Des initiatives éparpillées autour de la transition alimentaire plutôt qu'une politique globale
La Métro et « Grenoble Capitale verte » ont organisé une conférence sur la transition alimentaire.

La conférence intitulée « Opérationnaliser la transition alimentaire » organisée par Grenoble-Alpes Métropole pour le Projet alimentaire inter-territorial (PAIT) et le Conseil scientifique de « Grenoble Capitale Verte Européenne », dans le cadre du « Mois de la transition alimentaire », le 30 septembre à Saint-Martin-d’Hères, avait été présentée comme une matinée de réflexion sur les systèmes alimentaires durables.

C'est bien ce qu'elle a été. Exemples internationaux à l'appui, le propos de Damien Conaré, secrétaire général de la Chaire Unesco sur les systèmes alimentaires mondiaux, et Roberta Sonnino, professeure à l’Université de Surrey en Grande-Bretagne, a donné un éclairage des enjeux actuels de la transition alimentaire invoquée par tous.

Il a montré des opportunités...  Mais aussi des difficultés dans sa mise en œuvre dans les territoires.                         

Fonctionnement à bas coût

Damien Conaré est d’abord revenu sur la construction du système alimentaire mondial à la sortie de la seconde guerre mondiale, basé sur une production agricole intensive et utilisatrice d’engrais et de pesticides. Selon le chercheur, ce système a atteint ses objectifs.

« D’un côté, il a été une grande réussite ; Il a même tellement bien fonctionné qu’il a conduit à la surproduction. Mais de l’autre, il a montré ses limites, en matière de santé, d’environnement, de social », estime-t-il. « Car cette chaîne de production et de transformation ne paye ni un juste coût environnemental, ni un juste coût des énergies utilisées, ni un juste coût social. Tout le long, elle fonctionne à bas coût ».

Au fil du temps, différentes distanciations se sont mises en place entre le producteur et le consommateur et il y a eu une perte de contrôle des citoyens sur leur système. Ils ne comprennent plus à quoi correspond le travail des agriculteurs, ni comment les produits sont transformés.

Santé et environnement

La volonté de relocaliser, reterritorialiser la production agricole et de renouer le lien entre producteurs et consommateurs à travers les circuits courts vient de là.

Elle a permis à ce que de nombreuses initiatives vantant les mérites du « manger local » de se développer en France et dans le monde. Elle a permis à des collectivités locales de se réapproprier le sujet.

Considérant que les villes sont « des concentrés de ressources, de richesses, de populations, de savoirs, d’infrastructures » et qu’elles peuvent initier des politiques publiques autour de l’alimentation et toucher de nombreux domaines, Damien Conaré estime qu’elles peuvent être efficaces.

D’autant qu’elles disposent de plusieurs leviers qu’elles peuvent mobiliser à cette fin : en matière de gestion du foncier, d’approvisionnement, de distribution, de RHD, de gouvernance… Il indique qu’il existe de nombreux exemples à Londres, Montréal, New-York, qui montrent que l’espace urbain peut être un espace producteur.

Pour Roberta Sonnino, l’intérêt de l’agriculture urbaine est qu’elle crée de l’emploi et qu’elle intègre des personnes en difficulté d’insertion. « L’agriculture urbaine reconnecte les gens à la nature, aux saisons et rapproche les consommateurs des fruits et des légumes », avance-t-elle. La chercheuse considère aussi qu’il est urgent de passer du focus de production de l’après-guerre à celui de prise de conscience des préoccupations en matière de santé et d’environnement, avec plus d’équité et d’avantages pour la société.

Elle estime que si les scientifiques sont unanimes sur ces questions-là, la mise en pratique est plus difficile à opérer… D’autant, que, dans les villes, dans les collectivités ou dans leurs laboratoires d’expériences, les « plus puissants » (les grands groupes) et les « moins puissants » sont absents. « Il faut trouver les moyens de les attirer », souhaite-t-elle.

Implication des gouvernements

Pour passer des vœux à l’« opérationnalité », Roberta Sonnino préconise de travailler avec les gouvernements. « On ne peut pas faire de transition sans leur implication. La transformation des systèmes alimentaires a besoin d'actions nationales mises en place par les gouvernements qui traversent les disciplines », insiste-t-elle. Elle estime encore qu'«  il faut faciliter les échanges entre ce qui est mondial et ce qui est local. Sans cela, nous allons perdre la quintessence de cette transformation ».

Damien Conaré, quant à lui, estime que l’actualité compliquée en lien avec la guerre en Ukraine, qui entraîne une hausse des prix des céréales et de l’énergie, peut servir d'opportunité. « Les phénomènes de relocalisation de la production alimentaire vont peut-être s’avérer obligatoires pour maintenir la rationalité de leur modèle », souligne-t-il.  

Isabelle Brenguier

Transition alimentaire : de la politique à la mise en œuvre… locale
Agriculteur et président du Pôle agroalimentaire de l'Isère, Pascal Dénolly a participé à la conférence sur la transition alimentaire.

Transition alimentaire : de la politique à la mise en œuvre… locale

La conférence sur l’opérationnalisation de la transition alimentaire, a suscité débats et échanges. A la croisée des chemins entre la volonté des collectivités et les possibilités techniques et financières des agriculteurs.

Est-ce que la question de l’alimentation est une question politique ? Pour Salima Djidel, vice-présidente à la santé, la stratégie et la sécurité alimentaire de Grenoble-Alpes-Métropole, la réponse est « oui », sans hésitation.

Et certainement qu’elle n’est pas la seule élue à le penser tant les initiatives portées par les collectivités territoriales sur le sujet de l’alimentation se multiplient. Preuve en est encore ce « Mois de la transition alimentaire », cet évènement porté par la Métropole grenobloise qui s’inscrit dans le cadre du PAIT (Projet alimentaire inter-territorial) et au sein duquel sont organisées de nombreuses animations qui visent à « réfléchir à ce que l’on met dans nos assiettes ».

Pour les organisateurs, la transition alimentaire a vocation à être « meilleure pour la santé, pour le goût, pour l’environnement, pour l'économie locale ». 

Traductions concrètes

Cet intérêt des collectivités représente une réelle opportunité pour l’agriculture. Franck Rousset, agriculteur à Chevrières et président de « Mangez Bio Isère » et Pascal Denolly, agriculteur à Revel-Tourdan et président du PAA, qui ont participé à la conférence, en sont tous les deux convaincus. Mais ils estiment qu’aujourd’hui, la question n’est plus seulement de prôner la transition alimentaire, mais de se demander comment la mettre en œuvre.

Pour eux, cela passe par des choix politiques et l’affectation de budgets. Franck Rousset estime que « les collectivités, en ayant ces pouvoirs, peuvent impulser des dynamiques ». « L’exemple de la politique du Département qui souhaite encourager le développement du bio et du local, et qui génère de l’activité via ses cantines, est une traduction concrète de sa volonté initiale », souligne-t-il.

Également soutenue par le Département, l’initiative du PAA (Pôle agro-alimentaire), qui joue le rôle d’interface commerciale auprès des GMS, sert à proposer des aliments de qualité aux consommateurs, au sein d’une cible plus large que celle de la RHD (Restauration hors domicile) *, aussi. Mais comme le souligne Pascal Denolly, cheville ouvrière du projet, ni sa mise en place, ni son développement, ne sont faciles. 

« Quant aux reprises de foncier effectuées par certaines communes pour installer des agriculteurs qui s’engagent à produire pour la collectivité, cela ne me choque pas non plus. Mais leurs compétences s’arrêtent là. Certaines limites ne doivent pas être dépassées. Les agriculteurs ne doivent pas devenir des employés communaux. Ce sont des entrepreneurs à même de conduire leur exploitation. Les collectivités locales ne doivent pas se substituer à une profession qui a le savoir-faire », ajoute-t-il. 

Jouer le même jeu

Les deux responsables agricoles estiment aussi que la transition alimentaire doit passer par un accompagnement des agriculteurs à changer leurs pratiques. « La production d’une alimentation sans pesticides génère de nombreuses heures de travail en plus. Il faut qu’elles soient payées. Il ne faut plus que les agriculteurs soient la variable d’ajustement. Si on veut qu’ils s’engagent, il faut qu’ils aient la garantie que leur production soit achetée et qu’ils équilibrent leurs comptes », revendique Pascal Denolly.

Chacun doit faire les efforts nécessaires à son niveau. Les collectivités, cela a été dit. Mais aussi les transformateurs et les distributeurs, qui doivent jouer le même jeu. Sans que chacun profite de l’augmentation de la qualité des prix des produits pour aussi augmenter leurs marges.

Et enfin, les consommateurs. « Ils doivent remettre de l’argent sur le poste de l’alimentation. C’est sûr. Mais peut-être faut-il aussi qu’ils revoient leur organisation familiale et reprennent du temps, pour faire leurs courses et cuisiner davantage. Ceux qui l’ont fait le disent, ils bénéficient d’une meilleure alimentation. A prix constants », souligne Franck Rousset. 

* Damien Conaré, secrétaire général de la Chaire Unesco sur les systèmes alimentaires mondiaux, a rappelé que « 80 % des achats alimentaires sont effectués en grandes surfaces ». 

Isabelle Brenguier