Pastoralisme
Comment partager la montagne ?

Marianne Boilève
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Comment faire cohabiter les usages et les pratiques en montagne ? La Fédération des alpages de l'Isère a conduit une réflexion avec des bergers, des techniciens, des élus et acteurs associatifs et touristiques le 9 octobre dernier, à l'occasion du festival Pastoralismes et Grands espaces. Plusieurs pistes ont été avancées pour informer les usagers et prévenir les conflits.

Comment partager la montagne ?
En montagne, le partage de l'espace est aussi une question de culture commune, que s'attache à diffuser la Fédération des alpages de l'Isère à travers des ateliers comme Dialogue avec un troupeau.

Faire cohabiter les usages et prévenir les conflits. Mission impossible ? Pas sûr. Sur le terrain, bergers, techniciens, élus et professionnels du tourisme y travaillent sans relâche depuis des années. C'est pour répertorier les bonnes pratiques et les idées innovantes que la Fédération des alpages de l'Isère (FAI) a proposé aux acteurs de terrain de s'interroger sur les méthodes à mettre en œuvre pour «partager la montagne, un espace si vital et si convoité».

Manque d'information

Réunis le 9 octobre à Grenoble dans le cadre des Rencontres professionnelles du festival Pastoralismes et Grands espaces, specialistes, bergers, élus et acteurs associatifs ont d'abord partagé un même constat : les conflits ont souvent pour origine un manque d'information, de connaissance, voire de compétence. Et ça peut avoir des conséquences graves, surtout en ce qui concerne les chiens de protection, pointent les professionnels. «Quand un randonneur se fait agresser par un chien, c'est le berger qui est pénalement responsable, souligne Jacko, berger itinérant. Mais c'est une responsabilité sur un outil de travail qu'on nous impose : le chein n'est pas à nous, on ne le dresse pas !» 

Former les bergers... et les chiens
En Suisse, les chiens de protections sont sélectionnés, formés et évalués avant d'être autorisés à garder les troupeaux. Crédit photo : Agridea

Former les bergers... et les chiens

Sur cette question, les élus sont eux aussi en première ligne. « Dans certaines stations, les maires ont été très clairs : ils ne loueront plus les alpages s'il y a des patous qui posent problème », avertit le berger. Le maire de Lavaldens, Arnaud Chattard, n'en est pas encore arrivé à de telles extrémités. Il témoigne néanmoins des difficultés qu'il a rencontréesà pour intégrer la question des chiens de protection dans les conventions annuelles de pâturage. Pour lui, il serait sans doute judicieux de mobiliser les actions de formation du Plan loup, notamment pour les nouveaux bergers. L'axe 6 prévoit en effet de «renforcer les actions d’information et de formation dans les lycées agricoles ». Celles-ci doivent, entre autres choses, « porter sur les conduites d’exploitation dans les zones où le loup est présent», stipule le texte. 

Améliorer les compétences

Les participants s'accordent sur l'importance de la formation. « Améliorer les capacités et les compétences des chiens de protection et des bergers, c'est un vrai enjeu, résume Bruno Caraguel. Chez nous, les chiens de protection sont souvent les rebuts d'ailleurs. Ils sont remis aux bergers, qui ne les connaissent pas et qui ne savent pas forcément les utiliser.» Le plan Loup prévoit d'ailleurs d'ouvrir aux éleveurs «l’accès à l’aide financière relative à l’acquisition, à l’entretien et à aux formations pour l’éducation des chiens de protection». Un peu à l'image de ce qui se pratique en Suisse.

Sensibiliser les usagers
Panneaux ou notification sur smartphone : les messages diffusés aux usagers diffèrent selon les publics visés.

Sensibiliser les usagers

«Les usagers aussi ont besoin de formation et d'information», poursuit Arnaud Chattard. «Il faut notamment qu'ils acquièrent des connaissances sur les activités et les pratiques des autres usagers», ajoute le représentant d'une association de Moutain Bikers. Encore faut-il diffuser les bons messages et les envoyer sur les bons canaux, car les approches diffèrent notablement selon les publics visés : un randonneur du dimanche n'a pas le même comportement qu'un sportif en VTT... On propose de faire appel à «des outils numériques pertinents», par exemple pour prévenir les usagers de la présence de protection. «Les chasseurs le font pour signaler les battues; pourquoi pas nous?», s'interroge Mélanie Lefébure, de l'association Massifs en partage.

Médiateurs et influenceurs

Quatre champs d'actions sont donc répertoriés : l'accès à l'information, la montée en compétence, le «faire ensemble» (animations, fête, montée ou journée en alpage...) et l'approche métier. En complément des classiques plaquettes et panneaux d'information, une bergère suggère la mise à disposition de «supports différents en fonction des différentes pratiques» (randonnée, VTT, trail…). Elle aimerait aussi que son employeur lui fournisse un topo de l'alpage pour permettre d'orienter correctement les visiteurs et propose que «des médiateurs partent à la rencontre des futurs usagers» pour leur apprendre les comportements à adopter en fonction des situations. Cela se fait déjà en Ubaye. Le maire de Lavaldens imagine de faire appel à des «influenceurs» pour relayer les messages. Il est également question de s'appuyer sur l'affichage urbain et les dispositifs d'information des transports en commun pour diffuser messages et mini-clips. Ou d'installer des buvettes sur les parkings pour relayer la bonne parole... 

Signalétique pastorale
La FAI est en train d'installer une signalétique propre aux zones pastorales, qui doit être déployée sur l'ensemble des massifs alpins.

Signalétique pastorale

De son côté, la FAI travaille à la mise en place d'une signalétique pastorale, inspirée des Hautes-Pyrénées : les panneaux devraient bientôt être installés à travers tout l’arc alpin pour construire une même «identité pastorale». Mais elle organise également des temps de formation, comme les ateliers «dialogues avec un troupeau», qui propose au public d’approcher et d’entrer en contact avec les animaux d’alpage à travers une série d’exercices simples. Et lui permet de «faire la différence entre ″agression“ et mise en garde de la part d'un chien de troupeau», rappelle Joseph Paillard, en charge du «multi-usage» et de la médiation à la FAI.

«Faire ensemble»

Le chargé de mission en profite pour souligner l'importance du «faire ensemble» qui place professionnels et visiteurs dans une relation de confiance, propice aux échanges. Il propose de relancer en alpage «des activités de transformation laitière à vocation pédagogique». Cela se fait en Savoie, pas en Isère. L'idée séduit le directeur général de la Régie des remontées mécanique de Chamrousse. «Nous sommes complètement ouverts à ça », annonce Frédéric Géromin. Une nouvelle coopération en perspective dans les alpages ?

Marianne Boilève