Nuciculture
Élan collectif des producteurs de noix

Isabelle Doucet
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20 % des producteurs de noix de la région étaient présents à l’assemblée générale constitutive de l'association de défense de leur production, donnant un signal fort à l’ensemble de la filière.

Élan collectif des producteurs de noix

Rarement les nuciculteurs ont été aussi nombreux.
Ils étaient près de 250 à participer à la réunion de création de l’Association des producteurs de noix du Sud-Est, mardi 5 septembre, à Chatte. Avec calme et détermination, les agriculteurs présents ont voté massivement pour le lancement de cette instance représentative.
L’année écoulée a été très difficile pour la filière noix qui a vu ses marchés s’effondrer. « En 18 ans, la production mondiale a été multipliée par trois et nous sommes passés de leader à poucet », résume Christian Nagearaffe, producteur drômois siégeant à la Chambre d’agriculture de la Drôme.
L’effondrement des prix a été le coup de grâce pour beaucoup.
Les lots résiduels des fermes ont été bradés entre 30 et 70 centimes du kilo, bien loin de couvrir les coûts de production. Quand bien même, le marché n’a semble-t-il pas dépassé les 1,70 euro du kilo. Soit deux fois moins qu’il y a une poignée d’années.

Transformer l’essai

Au mois d’avril dernier, une première réunion de producteurs, avait attiré beaucoup de monde à Vinay, traduisant un malaise général dans la filière.
Pour concrétiser cette volonté d’infléchir les choses, Jean-Claude Darlet, le président de la  Chambre d’agriculture de l’Isère, avec le soutien de la FDSEA de l'Isère et de JA, a souhaité « transformer l’essai » en créant cette association dont l’objet est la représentation et la défense des intérêts des producteurs de noix du Sud-Est à tous les échelons (régional, national, européen), la défense des moyens de production, la communication et l’accompagnement des nuciculteurs.
C’est un constat amer qu’ont dressé les organisateurs sur la situation de la filière et des producteurs. « Nous sommes le deuxième verger de France et nous n’avons pas de structure nationale pour nous représenter », explique Christian Nagearaffe.
Il décline tous les freins auxquels la production est confrontée : exclusion de l’arrêté « abeille » mais aussi toutes les demandes de dérogations faites à titre gracieux par la FNPF (1) et par Interfel (2) dans la lutte contre la mouche du brou par exemple, pour laquelle il n’existe aucun produit homologué.
« Nous devons être présents dans ces instances pour que soient pris en compte nos besoins », lance-t-il.
Les besoins sont grandissants, au regard de l’arrivée de nouvelles maladies comme celle aux 1 000 chancres.
Ils découlent aussi de la non-organisation des producteurs ; du problème du périmètre de la filière - entre noix AOP et non AOP - ; du fait que l’ODG (3) soit intégré au CING (4) et limite l’indépendance des producteurs et surtout d’un prix de vente inférieur au coût de production.
Christian Nagearaffe souligne « un vrai dysfonctionnement de la filière ». Il dénonce « un partage de la valeur déséquilibré » et martèle aux producteurs de « faire entendre notre voix et donc se structurer ».

Des noix dans les fermes

Ces problèmes structurels ont été intensifiés par la crise de 2022, où le bassin a connu une récolte historique à laquelle les acheteurs et les coopératives n’étaient pas préparés.
Conséquence « beaucoup de noix sont restées dans les structures, ont fait le tampon en attendant le ramassage des dernières noix en ferme », raconte Alexandre Escoffier, vice-président de la Chambre d’agriculture de l’Isère.
Il s’interroge sur les écarts de prix payés aux producteurs, quand « des lots ramassés tardivement ont été payés à des prix extrêmement bas, avec parfois de jolies noix ».
Mais il observe également que « des productions ne sont pas à la hauteur au niveau qualitatif ».
De plus, la filière française est bousculée par le contexte international « avec une forte croissance de la production du Chili qui arrive en début de saison », rapporte Jean-Michel Cotte, de la Chambre d’agriculture de la Drôme.
Il ajoute à cela « des droits de douane très défavorables à la noix française, laquelle pâtit sur les marchés de ses calibres inégaux ».
Quant au marché du cerneau, il n’est absolument pas compétitif. Côté consommateur « le pouvoir d’achat est en baisse depuis le covid et la noix n’a qu’une faible visibilité », détaille-t-il.

Il manque 30 millions

Les OPA (5) ne sont pas restées inactives depuis que la filière est en difficulté.
Deux enquêtes sur les stocks ont été réalisées par les chambres d’agriculture en région, en février et mars, et deux réunions ont été organisées avec les metteurs en marchés.
« Nous sommes arrivés à faire rentrer les noix restant dans les exploitants, mais nous n’avons pas eu de résultat sur les prix », expose Gilles Charbonnel de la FDSEA de l’Isère.
Il rappelle également que deux réunions ont eu lieu avec les producteurs de noix du Périgord, qu’une délégation des deux bassins a rencontré le ministre de l’Agriculture en mars, ainsi que les sénateurs en juillet.
Les producteurs de noix formulent un certain nombre de demandes, en premier lieu à l’adresse des pouvoirs publics. Il s’agit d’abord d’une aide au stockage, boudée par les metteurs en marché. Mais sans succès.
Quant à l’aide au retrait, seules les coopératives s’y sont engagées.
Pas de retour non plus sur la prise en charge des cotisations sociales au regard des difficultés économiques de l’année 2022, et pas davantage sur l’aide à la trésorerie.
En revanche, les producteurs ont obtenu que soit menée une enquête sur la filière. « Les résultats serviront de base à la structuration », signale Jean-Claude Darlet.
À plus long terme, un travail sera engagé sur les droits de douane. « Nous en parlerons au moment des élections européennes », promet le président de la chambre d’agriculture.
Il rappelle qu’à l’heure actuelle, « il manque 30 millions d’euros dans les fermes de la vallée, ce qui a une conséquence économique pour l’ensemble du territoire ».

Hors de contrôle

Enfin, Jean-Claude Darlet cite en exemple certaines pratiques commerciales qui échappent à tout contrôle.
« Nous avons rencontré Sovécopé (6), qui est adossée à un grand groupe industriel et a acheté à bas prix des noix de Grenoble. Cette entreprise se moque de nos difficultés et n’achètera qu’un faible tonnage de noix françaises en 2023. »
Pour répondre à cet état des lieux, le vote des producteurs de noix en faveur de la création d’une association de défense a été quasi unanime.
La première tâche sera de structurer les trois départements, Drôme, Isère, Savoie, puis de soutenir les homologations, adhérer à la FNPF, être représenté à Interfel, s’intéresser à la qualité des noix, rechercher de nouveaux marchés, notamment pour les cerneaux, travailler avec les grandes surfaces et à la promotion des produits, « mais aussi se poser la question du verger de demain », a déclaré Jean-Claude Darlet.
Enfin, le président de la Chambre d’agriculture de l’Isère a précisé certains points : « Nous ne voulons pas prendre la place de l’interprofession, ni celle de la R et D dédiée à la Senura, ni celle de la coopérative, ni d’une structure associative comme Sicanoix. Nous voulons simplement avoir un rôle de représentation des producteurs de noix du Sud-Est et arriver à mettre en placer une CVO (7) nationale, avoir une commission nationale pour exister demain, comme c’est le cas dans les autres productions. »

Isabelle Doucet

(1) Fédération nationale des producteurs de fruits
(2) Interprofession fruits et légumes
(3) Organisme de défense et de gestion
(4) Comité interprofessionnel de la noix de Grenoble
(5
) Organisation professionnelle agricole
(6) Société des vergers du Périgord
(7) CVO : contribution volontaire obligatoire

L’Association des Producteurs de noix du Sud-Est
Les organisateurs de l'assemblée générale constitutive de l'Association des producteurs de noix du Sud-Est.

L’Association des Producteurs de noix du Sud-Est

- Regroupe tous les producteurs, qu’ils soient organisés ou non et quelle que soit leur surface :

- Un homme/une voix

- Représentation par zone de production (9 zones/un titulaire et un suppléant par zone)

- Cotisation à l’ha : 5 €/ha dont une part sera réservée à la structuration nationale

- Inclus la part adhésion FNPF (3 500 euros)

- Conseil d’administration (13 membres) élu pour trois ans (renouvelable) et composé d’agriculteurs actifs

Bulletin d'adhésion à l'Association des producteurs de noix du Sud-Est

Ils ont dit
Christian Nagearaffe et Jean-Claude Darlet.

Ils ont dit

Jean-Claude Darlet, président de la Chambre d’agriculture de l’Isère

« Cette réunion apporte une très grande satisfaction qui tient à plusieurs raisons : la participation de plus de 200 producteurs, c’est-à-dire 20 % des nuciculteurs dans une assemblée générale ; la présence de personnes volontaires qui s’engagent spontanément dans la démarche ; la diversité des hommes, jeunes et moins jeunes, polyculteurs ou non, et enfin, l’absence de réaction négative ou intempestive. Reste à transformer l’essai sans faire de déception. C’est l’enjeu du conseil d’administration. À nos collègues du Sud-Ouest de faire la même chose pour assurer notre présence à tous les échelons : local, régional, national, européen. Notre priorité est la bonne entente pour la saison 2023, de façon à obtenir une rémunération juste pour tous les producteurs. »

Christian Nagearaffe, Chambre d’agriculture de la Drôme

« Plus de 200 producteurs : c’est un signal fort pour les metteurs en marché. Nous espérons qu’ils l’entendront et vont revoir leurs positions commerciales. Cette structuration va nous donner du poids à l’avenir et je souhaite que tout le monde travaille en bonne intelligence. C’est un moment charnière pour la filière. Les gens s’engagent alors que la période s’y prête peu. Nous devrons aussi rectifier certaines choses et remettre de l’ordre, comme rattraper le mouvement de vente directe provoqué par le désespoir lié au comportement des metteurs en marché. Quant à la récolte 2023, qui s’annonce avec des volumes faibles et de gros calibres, je ne sais pas quel sera le comportement des acheteurs, mais nous devons travailler sur un argumentaire pour leur faire admettre une hausse des prix. Il y a des perspectives et c’est aux producteurs de s’adapter aux demandes de la société. Le fait qu’il y ait des profils très différents dans l’association, avec beaucoup de jeunes, est une vraie satisfaction et une richesse pour développer de nouveaux projets. »