Fruits rouges
La filière fraises iséroise est en devenir

Isabelle Brenguier
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Le secteur de Bougé-Chambalud compte encore sur une petite production historique de fraises. Mais soumises à de nombreuses contraintes, elle devra évoluer pour perdurer. 

La filière fraises iséroise est en devenir
Dans le secteur de Bougé-Chambalud où reste une petite production historique de fraises, cohabitent trois systèmes de production : le plein champ, les serres et le hors-sol.

« Nous n'avons jamais produit beaucoup de fraises. Mais nous en avons toujours fait », assure fièrement Luc Armanet, ancien producteur devenu salarié de la commune de Bougé-Chambalud. Si cette filière se présente comme une diversification pour les arboriculteurs du secteur, un moyen de pallier certains coups durs survenant dans d'autres productions, elle est courageusement ancrée dans le territoire.

Mais aujourd'hui, elle est plutôt en baisse de volumes par rapport à d'autres régions qui les augmentent. Une de ses plus grandes difficultés : le manque de main-d’œuvre. « La récolte se déroulant sur une courte période, il est compliqué de trouver du personnel qualifié, attentif et respectueux du produit, pour seulement quelques semaines. C'est l'une des contraintes qui fait que certains producteurs arrêtent la fraise ». Mais ce n'est pas la seule raison. Le petit fruit rouge en subit d'autres.

Hors-sol

D'abord, sur le plan phytosanitaire. Il n'y a plus aucun produit désherbant disponible. Et ensuite, la production se situe au cœur d'attentes fortes - et contradictoires - du consommateur. « Notre production française se démarque sur les marchés parce qu'elle a du goût. Le client est prêt à payer des surcoûts à condition que le produit ne le déçoive pas sur le plan gustatif, ni en termes de traitements phytosanitaires. Il n'en veut plus. Mais en même temps, il préfère la fraise cultivée en plein champ à celle produite en hors sol. Alors qu'il se trouve dans cette dernière beaucoup moins de résidus. En hors-sol nous pouvons utiliser des produits alternatifs, des auxiliaires pour contrôler les ravageurs, ce qui n'est pas le cas en plein champ », explique le producteur.

C'est donc pour ces raisons qu'il estime que l'avenir de la filière, passe certainement par ce mode de production. « Il permet de s'affranchir des contraintes sanitaires, de maîtriser les intrants et il offre des facilités de cueillette intéressantes pour répondre au problème de manque de main-d’œuvre », précise le professionnel.

Hausse de charges

Luc Armanet s'interroge aussi sur la résistance de la fraise face au changement climatique. Cette production n'aime pas les températures supérieures à 30 degrés. Son décalage en amont dans la saison permet de contrer la difficulté.

Mais la consommation de fraises la plus importante a lieu au mois de mai. Il n'est donc pas évident que le consommateur soit au rendez-vous si les fraises arrivent en masse plus tôt.

Pour l'agriculteur, il faudrait que les producteurs s’équipent de serres climatisées. « Sans ça, cela risque d'être compliqué », estime-t-il. Conscient aussi que la fraise n'est pas un produit de première nécessité, Luc Armanet craint que, si les cours sont trop élevés, les clients n'en achètent moins.

Déjà cette année, la conjoncture est difficile. « Je pense que nous serons dans l'incapacité de répercuter la hausse des charges que nous subissons, en matière d'irrigation, d'intrants, de main-d’œuvre... », souligne-t-il.

Adaptations aux marchés

Pour autant, Luc Armanet ne voit pas la fin de la production dans la zone. Malgré ses craintes, il estime que la fraise reste un produit plaisir, qui continuera quand même d'être consommé. Mais il sera indispensable que les producteurs s'adaptent aux contraintes climatiques et environnementales et améliorent leurs conduites techniques.

« Il faudra être performant », insiste-t-il. « Jusqu'à présent, nous n'étions pas dans la spécialisation. Cela allait bien pour compenser les manques d'une année sur l'autre, mais cela nous a empêché d'être suffisamment compétitifs pour maîtriser la filière. Pour continuer, nous devrons travailler autrement, adapter le matériel végétal et mener les investissements nécessaires pour répondre aux marchés », précise-t-il encore.

Isabelle Brenguier

La ferme des cerises de Bougé-Chambalud : changements dans la continuité
Transmission

La ferme des cerises de Bougé-Chambalud : changements dans la continuité

Luc Armanet a transmis son exploitation « La ferme des cerises » à son gendre, Paul Arnaud. Ensemble, ils continuent de la faire évoluer. 

A Bougé-Chambalud, l'EARL « La ferme des cerises », qui s'étend sur 65 hectares de surfaces, se compose de 50 ha de céréales, sept de pommiers, trois de pêchers et encore trois de fraises. Elle emploie huit à dix personnes pour la récolte des fraises en saison, quatre pour les pommes et quatre à cinq pour les pêches, en plus de deux personnes, qui restent dans la ferme pendant huit mois, soit quatre à cinq ETP. Elle a un chiffre d'affaires d'environ 300 000 euros.

Propriété de Luc Armanet, l'EARL a été reprise par son gendre, Paul Arnaud, en janvier 2021. S'il avait des origines agricoles, le jeune agriculteur n'avait pas vraiment imaginé s'installer un jour. « Ce qui lui a plu et donné envie, c'est la structure de cette ferme-là. Elle était à taille humaine. Il se voyait l'assumer », explique Luc Armanet.

Après avoir été mécanicien agricole, il a suivi une formation agricole pour acquérir les compétences nécessaires. Mais il reste encore bien secondé par Luc Armanet, devenu salarié. Même si ce dernier avait prévu de prendre sa retraite « pour faire autre chose », la transmission de son exploitation, qui reste ainsi dans le giron familial est une belle satisfaction. Une fierté même.

Circuits courts et HVE

Aujourd'hui, un tiers du chiffre d'affaires de l'exploitation provient des céréales. Un autre des pêches et des pommes. Et encore un autre des fraises. La moitié est cultivée en hors-sol, 40 % à l'abri, sous serres et 10 % en plein champ. Pour éviter que les fruits soient trop petits, qu'ils subissent les maladies, les arboriculteurs changent les plants chaque année. Pour continuer et faire en sorte que l'avenir de la ferme passe par cette production, Luc Armanet estime qu'il sera indispensable d'adapter les variétés au système.

L'exploitation adhère à l'organisation de producteurs (OP) des « Fruitiers dauphinois », mais une partie de la production est vendue en restauration collective via la SAS « ReColTer ». Cela permet aux agriculteurs de toucher des marchés plus rémunérateurs. Pour continuer dans cette voie, l'EARL s’apprête à se faire certifier HVE (Haute valeur environnementale). « Nous pensions que nous n'en étions pas loin. C'est pour cela que nous nous sommes lancés. Mais quand même, nous avons dû revoir certains process au niveau des doses sur les produits de traitements et acheter du matériel de binage et de travail du sol pour les céréales. C'est à peine rentable. Mais si nous voulons que l'exploitation continue, cela semble être une condition », indique l'agriculteur, qui ajoute : « Notre exploitation a toujours été tournée vers l'avenir. Nous avons pour principe d'être attentifs aux attentes des consommateurs et d'anticiper », souligne-t-il.

Isabelle Brenguier

 

Conjoncture

Cela fait quelques semaines déjà que la récolte de fraises a commencé et Luc Armanet, ancien producteur devenu salarié, de la commune de Bougé-Chambalud, qualifie la campagne de « morose à très morose ». Elle n'a pas bien commencé en raison des cours plus bas que l'an passé d'un euro. Et sa poursuite est compliquée à cause des conditions climatiques qui concentrent la récolte sur une très courte période, ce qui menace les producteurs de surproduction pouvant entraîner une absence de ventes.

« Je crains de n'avoir pas d'autre solution que de placer nos fruits à l'industrie, en espérant qu'ils aient des besoins », déplore Luc Armanet. Et le manque à gagner pour les producteurs sera conséquent. Si au moment le plus important de la récolte, la production est vendue à bas prix, l'impact sera fort sur le chiffre d'affaires des agriculteurs.

IB