20 ans de recherches avec la Senura

La Station d'expérimentation nucicole Rhône-Alpes (Senura) de Chatte a été créée fin 1993. Auparavant gérée par le Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (Ctifl), elle existait en tant que telle depuis 1979. Elle disposait, il y a 20 ans, d'un verger de 16 hectares. Il s'étend aujourd'hui sur 28 hectares. « En 20 ans d'existence, c'est avant tout des références techniques acquises qui ont accompagné le développement de la production de noix dans nos exploitations, même si elles sont incomplètes, voir insuffisantes car l'on souhaiterait en savoir plus », lance Jean-Luc Revol, coprésident, avec Jean-Claude Darlet, de la Senura.
La présidence a insisté sur « les fonds conséquents » nécessaires à la pérennité de la station, en matière de conditions de travail et d'investissements pour pourvoir « adapter l'outil de production aux exigences des programmes expérimentaux mis en place ». Car les perspectives sont nombreuses. A commencer par la poursuite de l'accompagnement technique des nuciculteurs et de la vulgarisation des résultats afin qu'ils profitent au plus grand nombre. L'accompagnement s'inscrit également dans une logique d'adaptation aux tendances du marché avec l'explosion de la consommation dans les pays asiatiques. Côté production, les Etats-Unis, la Chine et le Chili poursuivent une progression rapide, tandis que le verger européen évolue lentement. La Senura reste particulièrement vigilante quant aux exigences sociétales, notamment en ce qui concerne l'environnement. Enfin, au niveau du bassin de production, la Senura se montre attentive aux risques liés à la substitution d'un système de polyculture par la monoculture du noyer. Elle poursuit également des orientations stratégiques avec l'intégration de nouvelles variétés en réponse à l'émergence d'une demande de noix fraîches, de table, de cerneaux...
Bactériose : 10 années d'essais
La vie de la station a été marquée par de longues années d'essais sur la bactériose du noyer (Xanthomonas arboricola pv. Juglandis). Les travaux engagés en 2003 avaient pour but d'évaluer l'impact des changements de pratiques agronomiques sur l'expression de la maladie. Deux parcelles, une adulte, une jeunes, ont été mises à l'essai, avec une modalité « témoin » et une autre « changement », impliquant une taille minimale, un apport de matière organique, une irrigation par aspersion, la réduction du nombre de tontes et le fractionnement des apports d'azote. A l'arrivée, la chargée d'expérimentation, Amélie de Gervillier, reconnaît que les changements de conduite culturale ne permettent pas de modifier significativement l'impact de la bactériose sur les rendements. Pour autant, les vergers jeunes semblent plus favorablement sensibles aux changements de conduites. Mais il a été aussi observé un potentiel blocage de l'assimilation de calcium - dont le rôle dans la lutte contre la bactériose a été mis en évidence - en cas de fort apport de potasse par épandage de fumier de chèvre. Fractionner, voire supprimer les apports de matière organique, mais aussi, veiller à maîtriser l'irrigation qui joue dans l'expression de la maladie, sont des pistes de travail prometteuses. Jean-Luc Revol confirme que l'arrivée de l'irrigation à pu donner cours à des phénomènes de sur-irrigation générant « de gros problèmes » dans les exploitations. De son côté, Jean-Claude Darlet propose une ligne de conduite pour arriver enfin à des conclusions sur l'utilisation des différents composts. « Il nous faut beaucoup de monde pour arriver à produire des travaux », a insisté le président de la chambre d'agriculture de l'Isère.
Le tour de l'anthracnose
Ce champignon de la famille des ascomycètes a quant à lui intéressé la Senura pendant plus de 15 ans. La maladie se caractérise par des tâches sur les feuilles, pétioles et fruits dès fin mai. Les conséquences portent sur le calibre des fruits, leur alimentation et les rameaux de l'année suivante, avec une chute de feuilles potentielle. En 1993, les travaux ont débuté avec l'étude de produits, suivie d'une homologation du Systhane, menée avec La Dauphinoise en 1996. La station a également participé à l'homologation du Delan et du Mancozèbe. « Deux nouvelles molécules sont à venir, nous attendons les autorisations de mise en marché », note Agnès Verhaeghe, responsable du programme technique de la Senura. Les travaux suivants, de 1999 à 2005, ont porté sur la connaissance du champignon, la station mettant au point une grille de lecture des cycles de la maladie de façon à pouvoir porter l'alerte agricole. En 2000 a également été lancée une analyse des projections des ascospores, dans différents vergers. Un premier modèle a été créé en 2005, conforté jusqu'en 2009 par un nouveau modèle sur la maturité des périthèces. Le suivi de ces données alimente toujours le Bulletin de santé végétale. Pour réduire l'inoculum, la prophylaxie s'est imposée notamment en procédant au broyage des feuilles, support propice à la conservation du champignon. Cette pratique permet de réduire par 7 la quantité d'inoculum présent. Elle peut être encore renforcée par l'apport d'urée.
Si aujourd'hui la station a cessé ses travaux sur l'anthracnose, en revanche, elle s'intéresse au colletotrichum, un autre problème fongique qui s'est développé depuis 2011.
Isabelle Doucet
ExpérimentationsLes autres thèmes de recherche
Outils de prévision des récolteDepuis 1997, un outil de prévision des récoltes a été mis en place. Il concerne les 6 260 hectares de noix de Grenoble de variété franquette (90% des surfaces de l'AOC). La méthode porte sur les prévisions de tonnages et de calibres. Ce travail mobilise 60 producteurs de la zone et nécessite 1 400 heures de travail, mais cet outil économique permet de sécuriser la mise en marché dès le mois d'août. La démarche consiste en un comptage estival des noix dans 67 parcelles échantillonnées. Les résultats sont comparés à ceux de l'année précédente. Au-delà du comptage, le calibrage et le poids sont également observés et comparés de façon à évaluer la répartition des calibres de la prochaine récolte. En 17 ans, la prévision est devenue un outil fiable.Cahier des charges production raisonnée
La station Senura a également procédé à l'élaboration du cahier des charges de la production raisonnée en collaboration avec les OP depuis 1999. Ce référentiel a été utilisé pour le passage en Globalgap.Homologations
Enfin, la Senura est agréée depuis 1999 pour les BPE ou bonne pratique d'expérimentation. Cet agrément permet de réaliser les essais officiellement reconnus (EOR) pour la constitution de dossier d'homologation (écotoxicologie, toxicologie, biologie). L'agrément est ensuite obtenu pour une durée de 5 ans. Ce sont les firmes phytosanitaires qui entrent en contact avec les organismes agrémentés BPE pour réaliser des essais plein champ, pendant au moins deux ans, tant en agriculture biologique que conventionnelle. Des produits tels que omite, plenum, ginko, carpovisurine, madex ou sokalci arbo ont été testés à Chatte en vue de leur homologation. Le coragen, pour lutter contre le carpocapse, est testé depuis 2009 pour une homologation probable en 2014. En 15 ans, la station a réalisé 84 essais firme assurant une part intéressante du poste des prestations de service dans le budget de la station. Le carpocapse (28 essais) et la mouche (20 essais) figurent parmi les thèmes récurrents, devant la bactériose (17 essais), l'acaride, la cochenille, les fongicides ou herbicides, la mouche et le puceron.
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Pour en savoir plus sur la filière nucicole :
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