Tourisme vert
Pour se reconnecter à la terre

Isabelle Doucet
-

Les fermes alpines sont très prisées par les wwoofers. En vogue, la pratique de ce mode de séjour participatif est cependant très encadrée.

 

 Pour se reconnecter à la terre
Amandine Mulin accueille des wwoofers depuis trois ans.

« Chouette, je vais pouvoir ouvrir les portes de mon exploitation, s’est dit Amandine Mulin lorsqu’elle a acheté sa maison et son terrain à Chimilin en 2018. Après trois ans sans pouvoir le faire, j’allais enfin pouvoir accueillir des wwoofers. »
La jeune femme s’est installée en maraîchage en 2015. Elle connaissait le wwoofing depuis une dizaine d’années en tant qu’utilisatrice et, très attachée aux valeurs et à l’état d’esprit du mouvement, souhaitait à son tour devenir hôte. 
La confiance, la tolérance et la générosité sont les trois piliers de ce mouvement anglo-saxon né dans les années 70 autour de la promotion de l’agriculture biologique.
Le wwoofing fait partie des nouvelles formes de tourisme basées sur le séjour participatif, qui ont le vent en poupe.  
Amandine Mulin accueille les wwoofers chez elle, dans la chambre d’amis, d’avril à octobre, et pas plus de deux semaines consécutives, se laissant aussi du temps pour sa famille, ses amis.
Tout se passe par l’intermédiaire du site Wwoof France : les candidats s’inscrivent et envoient leur demande dans la ferme de leur choix.
« Je laisse le hasard se faire, si cela correspond à mon emploi du temps. C’est une expérience facile à mettre en place, témoigne la maraîchère. Beaucoup l’utilisent pour découvrir un métier, avoir un aperçu concret de nos filières. »

Se familiariser avec le métier

Pour elle, le système présente de nombreuses vertus, notamment celle de permettre à des porteurs de projet d’installation hors cadre familial, « un peu démunis face aux institutions classiques » de se familiariser avec le métier.
Amandine Mulin rencontre deux types de profils. « Beaucoup de personnes sont là en vue d’une future installation. Nous avons des échanges techniques. Elles posent des questions précises. D’autres prennent sur leur temps de vacances pour passer une semaine à la ferme. Ils arrivent dans un autre état d’esprit et font le choix de donner un coup de main. Ils ne connaissent pas grand-chose en agriculture, tout est une découverte. C’est un autre type d’échanges autour du fonctionnement de la ferme dans sa globalité. » 

Une plus-value au tourisme

Le domaine viticole des 13 Lunes, à Chapareillan, accueille des wwoofers depuis quelques mois seulement.
« Pour rencontrer des gens et pour sortir de l’économie classique du salariat car pas mal de personnes cherchent à faire une reconversion professionnelle – ce qui a été notre cas », lance Anne Liotard qui a repris cette exploitation de 5,5 hectares avec son époux Sylvain en 2017.
Les vignes et la cave sont conduits en agriculture biologique et en biodynamie.
La viticultrice affiche son militantisme : « La nature, c’est aussi l’agriculture ! » Et le wwoofing « permet d’essayer autre chose, de se reconnecter à la nature ».
Contre l’hébergement et le couvert, les wwoofers des 13 Lunes peuvent donner un coup de main dans les vignes. « Nous transmettons notre savoir-faire. Comme nous ne sommes pas issus du milieu agricole à la base, cela crée une complicité. »
Pour Anne Liotard, ce type de démarche doit s’accompagner « d’une plus-value au tourisme, d’une motivation, d’une découverte ».
Les wwoofers qui viennent au domaine présentent un réel intérêt pour la viticulture.
« Nous faisons ça pour l’ouverture, l’échange », insiste Anne Liotard qui reconnaît que le système est très surveillé. Douanes, MSA, Démeter pour la biodynamie, agriculture biologique : les contrôles sont réguliers. « Tout est cadré. Nous faisons avec, ce n’est pas grave. »
Elle ajoute : « c’est une boîte qui tourne, nous n’avons pas besoin de main-d’œuvre gratuite. » 
Le domaine des 13 Lunes affiche complet depuis le mois de mars jusqu’à la mi-juillet. « Nous refusons du monde tous les jours. Des gens qui voient leur projet tomber à l’eau à cause de la pandémie, d’autres qui craquent au travail. C’est une manière de sortir de l’isolement. Il y a un changement de paradigme par rapport au monde du travail et à la reconversion. Les gens sont à la recherche de contacts humains. » 

Isabelle Doucet

 

Une pratique encadrée 

En 2020, la demande pour pratiquer le wwoofing a augmenté de 23% en France.
Environ 20 000 wwoofers sont inscrits à l’association Wwoof France, accueillis dans les 2 100 fermes du réseau.
Le mouvement existe depuis une cinquantaine d’années dans le monde et s’est développé en France depuis 15 ans environ.
« C’est un mouvement d’éducation populaire », insiste Pedro Zurbach, coordinateur général de l’association en France. L’objectif est que chacun puisse s’essayer à l’agriculture biologique.
Il distingue plusieurs profils. Les plus nombreuses sont les personnes en activité professionnelle qui ont un projet de reconversion et désirent se tester en agriculture. « C’est une toute première étape avant de se lancer dans une formation sérieuse », décrit le responsable.
D’autres sont à la recherche de vacances à moindre coût contre un peu de bénévolat. Toutes bénéficient d’une formation et d’une sensibilisation aux « vacances engagées ».
Enfin, certains ont seulement besoin d’un bol d’air frais et se montrent très motivés, même s’il n’y a pas de projet à la clé. 

La demande explose

« Avec le Covid, il y a beaucoup de remises en question, notamment dans la génération des milléniales, mais aussi chez ceux qui ont des boulots très bien payés et sont en quête de sens. »
Les demandes de fermes pour rejoindre le réseau ont aussi explosé. « Sur un millier de demandes, nous en avons accepté la moitié ».
Le responsable insiste sur une stricte sélection des exploitations « car beaucoup essaient de profiter du système pour bénéficier de main-d’œuvre gratuite. Or, il ne s’agit pas de faire les sanitaires dans un camping ou d’être palefreniers dans un centre équestre ». 
Pour prévenir toute dérive l’association Wwoof France et la MSA sont parvenues à un accord en 2014, le wwoofing présentant un problème du point de vue du droit du travail.
La dimension de formation a été mise en avant et la MSA a posé comme condition qu’il n’y ait pas plus de deux wwoofers par ferme et pas plus de 30 jours de présence par wwoofer.
Hôtes et wwoofers sont membres de l’association. Une charte du wwoofing rappelle les engagements réciproques.
Le cadre de l'association rassure les parties car il existe de nombreux groupes Facebook – qui n’ont plus le droit d’utiliser le mot wwoofing – « où c’est un peu la foire, si bien qu’au bout d’un moment, ils nous rejoignent », constate Pedro Zurbach.  

ID

Anne Liotard, du Domaine des 13 Lunes, s'est lancée dans le wwoofing depuis l'automne dernier "par militantisme". (Photo Johan Chemin.