Nuciculture
Les moutons pâturent les vergers de noyers isérois

Isabelle Brenguier
-

Frédéric Martin-Jarrand, nuciculteur à Vinay, dans le sud-Grésivaudan, a organisé l'arrivée et le pâturage d'un troupeau de 1 000 moutons dans 150 hectares de noyeraie. Une première expérience réussie.

Les moutons pâturent les vergers de noyers isérois

Des moutons qui pâturent sous les noyers. L'idée est originale mais va bien au-delà de l'image d'Epinal qu'on pourrait s'en faire. Frédéric Martin-Jarrand, éleveur de vaches allaitantes et nuciculteur, est installé à Vinay, en plein cœur de la zone d'appellation de la noix de Grenoble. Dans ce secteur où la pression relative à l'utilisation des produits phytosanitaires est forte, il exploite 15 hectares de noyers. Pourtant, Frédéric Martin-Jarrand a déjà beaucoup fait évoluer ses pratiques et a même commencé une conversion bio l'année dernière. Dans ses parcelles, il met du fumier, mais pas d'engrais et les traitements sont quasi-inexistants. Mais il sent bien que ce sujet des pesticides est sensible et évolue mal. D'où l'idée qu'il a eu de faire pâturer des moutons sous ses noyers. De l'idée à la réalisation, il n'y avait qu'un pas qu'il a franchi ce printemps en demandant à son réseau de l'aider à trouver un troupeau. Sébastien Achard, éleveur à Pontcharra dans la vallée du Grésivaudan, cherchait justement des terres à pâturer pour ses 1 000 moutons. L'affaire s'est faite ainsi.

Echange gagnant-gagnant

Mais Frédéric Martin-Jarrand ne s'est pas contenté de mettre en musique son idée tout seul dans ses terres. Pour que la démarche revête encore plus de sens, il a entraîné dans son sillon ses onze voisins de parcelles, ce qui représente une surface totale de 150 hectares. « Même si quelques craintes ont été émises, ils ont tous accepté », relate Frédéric Martin-Jarrand. Le troupeau – et son berger – arrivés début avril, ont sillonné la noyeraie vinoise jusqu'au début du mois de juin. La démarche s'est organisée simplement sans contrat, sans échange d'argent, sur le principe d'un échange gagnant-gagnant. L'éleveur ne paye pas la nourriture qui alimente ses bêtes. Les nuciculteurs, qui n'ont pas à s'occuper des moutons qui sont gérés par le berger employé par l'éleveur, réalisent des économies de glyphosate, de carburant et de temps.

Organiser le pâturage

« Tout le monde est content, car, indirectement, tout le monde gagne de l'argent. C'est un accord en bonne intelligence », affirme Frédéric Martin-Jarrand, qui lui a passé un certain temps à organiser et à coordonner l'opération mais qui relativise en estimant que ces heures-là, il les aurait passé à broyer.
L'agriculteur n'a pas constaté d'inconvénient à ce système de tonte, qui permet de pallier le problème épineux des interlignes en agriculture biologique. De son point de vue, la seule contrainte est de bien organiser le pâturage, c'est-à-dire, veiller à prévenir le berger pour qu'il change le troupeau de parcelle quand un nuciculteur veut faire une intervention.

Aucun retour

Frédéric Martin-Jarrand a pris cette initiative très à cœur. « J'avais envie de montrer que la profession fait des efforts, qu'elle cherche des alternatives. Le mouton fait partie du domaine du vivant. Je pense qu'il véhicule une meilleure image que celle du tracteur ». Impliquée depuis plusieurs mois par ces questions de traitement, la mairie de Vinay, qui soutient l'opération, a pris un arrêté pour que les promeneurs tiennent leurs chiens en laisse. Car, dans le secteur, l'initiative fait office d'animation. « Les gens viennent voir les moutons. Personne ne se plaint. Mais en même temps, personne n'est venu nous en parler... ou nous aider à faire traverser les moutons d'un champ à un autre. Les gens ne veulent pas de pesticides, ont la critique facile, mais quand on essaie de faire quelque chose, personne ne dit rien. En décembre dernier, il y a eu la signature de la charte de bon voisinage avec l'association de riverains « Noix nature santé », très impliquée localement, c'est bien, mais notre pâturage, c'est aussi une opération concrète et nous n'avons eu aucun retour », regrette l'agriculteur.
Les moutons qui ont quitté les terres vinoises devraient revenir l'an prochain. Frédéric Martin-Jarrand espère que ce sera avec le même berger car maintenant, il connait bien les parcelles et leur propriétaire. Convaincu, par l'expérience, il espère aussi qu'elle essaimera dans d'autres noyeraies.

Isabelle Brenguier

Amélioration de la technique

D'avril à juin, un troupeau de presque 1 000 moutons a pâturé la noyeraie vinoise. Une première initiative innovante, qui s'est améliorée au fil des semaines.
Bien accompagné par Frédéric Martin-Jarrand, à l'origine de l'opération, le berger Thomas Haille, aidé de trois chiens de berger et d'un patou, a fait divagué les moutons au sein des 150 hectares de noyers. Si au départ, le berger déplaçait ses parcs chaque jour, il a changé de technique en installant des grands parcs dans lesquels le troupeau reste plusieurs nuits de suite et le laisse aller dans de grandes surfaces le jour. Le pâturage des moutons s'avère efficace et adapté parce qu'ils n'abîment pas les arbres.

Arriver au plus tôt

Fort de cette première expérience, le nuciculteur estime cependant qu'il serait intéressant, pour l'année prochaine, que le troupeau arrive plus tôt au printemps. Il a constaté qu'il était important que les moutons ne soient pas mis dans une herbe trop haute au départ, pour suivre la pousse et ne pas être dépassés. Quelque peu inquiets à l'arrivée des bêtes, les agriculteurs n'ont pas déploré de pertes liées à la présence du loup dans les environs. Le coût du gardiennage (de l'ordre de 1 500 euros par mois) est assuré par le propriétaire du troupeau, Sébastien Achard, éleveur à Pontcharra, qui n'ayant pas les surfaces suffisantes autour de son exploitation, est contraint de les faire pâturer ici et là, sous la surveillance d'un berger.
IB