Sensibilisation
Ferme Cabale : la grande culture... de collégiens

La ferme Cabale est la dernière en activité de La Verpillère. Chaque année, Serge Bouvier, céréalier et chasseur passionné, accueille des élèves de sixième pour leur faire comprendre que sa réalité n'est pas forcément celle diffusée par certains médias.
Ferme Cabale : la grande culture... de collégiens

Les enfants ont eu chaud : à quelques heures près, la journée aurait pu être annulée. Le 13 mars, alors que le président Macron vient tout juste d'ordonner leur confinement, les sixièmes de madame Pereira, professeur de sciences et vie de la terre (SVT) au collège Anne-Frank de La Verpillère, ont eu droit à une ultime sortie. Au menu de la journée : visite de l'Earl Bouvier, une exploitation céréalière de 290 hectares, découverte de la faune sauvage et « bol d'air dans les marais »

Serge Bouvier est un agriculteur et garde-chasse passionné, qui participe depuis cinq ans à la journée de sensibilisation pilotée par la commune, en partenariat avec le Syndicat intercommunal des marais de Bourgoin-Jallieu.

C'est la cinquième année que Serge Bouvier, 37 ans, agriculteur et garde-chasse passionné, participe à cette journée de sensibilisation. L'opération est pilotée par la commune, en partenariat avec le Syndicat intercommunal des marais de Bourgoin-Jallieu. « Nous voulons montrer que tout est lié, que l'homme a besoin de son environnement, l'agriculteur comme le chasseur », explique Ludovic Legrain, conseiller délégué en charge de la Commission Environnement et cadre de vie de La Verpillère. 

Semer des graines... chez les enfants

Ce matin-là, dans la cour de la ferme Cabale, les collégiens vont de découverte en découverte. Si Serge Bouvier prend le temps de les accueillir, c'est parce qu'il adore son métier tout autant que la chasse. Mais il regrette la façon dont les deux sont généralement perçus. Cette journée, c'est un peu sa façon à lui de faire passer des messages aux enfants... pour toucher les parents. « Nous, les agriculteurs, nous ne sommes pas très bons en communication : ce n'est pas notre métier, convient-il. En accueillant les enfants, je sème des graines et j'espère qu'elles pousseront dans le bon sens. »

Serge Bouvier a installé des panneaux explicatifs qui l'aident à raconter l'histoire de la ferme... et les enfants à suivre !

Le céréalier commence par l'histoire de la ferme. Il a préparé des panneaux explicatifs pour aider les enfants à suivre. A l'origine, l'exploitation familiale était située à Saint-Quentin-Fallavier, dans ce qui deviendra la zone industrielle des Chesnes. Expropriés en 1976, les parents s'installent à la Cabale, une ferme de La Verpillère quasi à l'abandon, et renoncent à l'élevage pour se consacrer aux grandes cultures.

Zone de marais

« Pourquoi les céréales plutôt qu'autre chose ? », demande un élève. « Au départ, il y avait des vaches ici, répond Serge. Le local que vous voyez derrière moi, c'est l'ancienne salle de traite. Tout autour de la ferme, il y avait des prés pour les vaches laitières. Mais c'est aussi une zone de marais. Un jour il y a eu une grosse inondation. Les vaches n'étant pas faites pour nager et l'humidité étant trop importante pour elles, ça devenait compliqué de les garder. Du coup, nos parents n'ont plus fait que des céréales. »

Séance dégustation après la visite de la ferme Cabale : le maïs et le sorgho sont les deux graines qui rencontrent le plus de succès auprès des élèves de sixième de La Verpillère.

L'agriculteur raconte qu'après s'être associé avec ses parents en 2003, il a pris les rênes de l'exploitation avec son frère en 2010, quand leur père a fait valoir ses droits à la retraite. Le trentenaire explique tout cela avec des mots simples. Les enfants, qui ont bien préparé la journée avec leur prof de SVT, suivent sans trop de difficulté, visiblement intrigués. « Oui, mais vous, vous êtes plutôt agriculteur ou plutôt fermier ? », ose une fillette. L'exploitant sourit et retourne la question aux enfants : « A votre avis, c'est quoi la différence entre les deux ? » Evidemment, les sixièmes sèchent. Serge improvise un cours express sur le foncier et le fermage.

Serge Bouvier propose aux enfants de jouer au jeu des différences en comparant deux photos aériennes, l'une prise dans les années 50 et l'autre extraite de GoogleEarth.

Il propose ensuite de jouer au jeu des différences à partir de deux photos aériennes, l'une prise dans les années 50 et l'autre extraite de GoogleEarth. L'évolution est flagrante, mais les jeunes collégiens n'ont pas l'habitude de ce genre d'exercice. « Là, c'est plus grand... », se risque Justin qui voit bien que l'emprise de la ville et la taille des parcelles ont considérablement augmenté, sans trop savoir comment formuler les choses. Serge acquiesce : « Avant, dans les années 50, il fallait entre 40 et 50 hectares pour vivre. Les agriculteurs travaillaient de petites parcelles. A la Verpillère, nous étions une trentaine. Depuis, tout a changé. Aujourd'hui, vous visitez la dernière ferme de la commune. Il y a bien des gens qui ont des poules, des poneys, mais ils ne vivent pas de l'agriculture. Regardez la photo : maintenant, une parcelle fait 50 hectares. Il faut au moins 150 hectares pour vivre. »

L'école à 25 ans

Le flot de questions reprend, pertinent, tumultueux. Vous avez des animaux ? A quelle heure vous levez-vous ? Quelles céréales cultivez-vous ? Combien avez-vous de machines ? La curiosité des élèves révèle leur éloignement des réalités agricoles. Serge fait face, pédagogue sans le savoir, espérant sans doute que ses réponses parviendront aux oreilles des parents. Soudain, un élève lui demande s'il se verrait un jour changer de métier. La réponse est catégorique : « Non. J'ai mis 25 ans à y venir et je ne suis pas prêt d'arrêter. J'ai toujours voulu être agriculteur, mais mes parents n'étaient pas vraiment d'accord. J'ai commencé à travailler comme mécanicien. A 25 ans, je suis retourné à l'école pour faire un BPREA et réaliser mon rêve : devenir agriculteur. » La confidence en étonne plus d'un : retourner à l'école à 25 ans ? Quelle drôle d'idée.

Les élèves ont beau font travailler leur imagination, ils ont du mal à deviner la finalité de la plupart des outils de l'Earl Bouvier.

La visite de la ferme va leur permettre de mieux comprendre. Il y a d'abord le silo et les « machines », qui fascinent les enfants depuis leur arrivée. Devant la déchaumeuse, Serge explique la fenaison, le déchaumage. Des mots inconnus. « Déchaumer, c'est mélanger les dix premiers centimètres du sol avec les chaumes, c'est-à-dire ce qui reste une fois la moisson terminée, précise l'agriculteur. Ça permet aux chaumes de mieux se dégrader. En fait, ça commence le boulot des vers de terre. » Ça, les élèves connaissent : les vers de terre, ils les ont étudiés en SVT.

Vers de terre

« Le matériel rouge, derrière vous, à votre avis, ça sert à quoi ? » Les enfants font travailler leur imagination, mais ne devinent pas la finalité de la plupart des outils. Herse-étrille, roto-étrille, bineuse, semoir, matériel d'irrigation... Un à un, le céréalier décrit le fonctionnement des matériels, tout en évoquant ses pratiques. « Cette machine-là retourne la terre, coupe les racines et permet de faire un petit désherbage mécanique, sans utiliser de produits chimiques. » Serge pense peut-être marquer un point, mais les enfants se préoccupent moins de l'usage des phytos que du sort des vers de terre. « Il y en a qui seront retournés, d'autres qui seront mangés par les corbeaux, mais beaucoup redescendent dans la terre », les rassure le céréalier.

Devant l'épandeur, Serge Bouvier explique que le compost est fabriqué à partir de boues d'épuration, mélangées à des déchets verts et que c'est Après avoir fait une mine dégoûtée en apprenant sa composition, les collégiens sont surpris par la bonne odeur du compost qu'utiliser l'Earl Bouvier.

Devant l'épandeur, nouvelle leçon de SVT. « Les engrais nourrissent la plante, alors que compost nourrit la terre qui va nourrir la plante, indique Serge. J'utilise aussi bien de l'engrais minéral livré dans des sacs que du compost, fabriqué à partir de boues d'épuration mélangées à des déchets verts. C'est l'un des meilleurs engrais pour la terre. » Devant la mine un peu dégoûtée des enfants, il prend une poignée de compost et leur met sous le nez. « Ça sent bon ! », s'étonne Farès.

Goût de cacahuète

Au pied du séchoir, on aborde la diversité de la production. « Nous faisons du maïs, du blé Label rouge pour le boulanger de La Verpillère et celui de Frontonas, de l'orge, du colza, du tournesol, du sorgho... ». Autant de graines que les enfants sont invités à goûter quelques instants plus tard. Un régal. Le sorgho a « goût de cacahuète » et le colza fait penser au chou. « Normal, c'est de la même famille, celle des crucifères », s'amuse Serge, avant d'ajouter : « Tout ce que nous produisons est vendu, sauf ce qu'on garde pour nos canards, nos pigeons, les veaux... » Perplexe, un élève demande : « Mais vous, vous mangez quoi alors ? » Dans l'esprit des collégiens, le paysan est un animal bien étrange. 

Marianne Boilève
Biodiversité / Après la visite de l'exploitation agricole, les collégiens de La Verpillère ont découvert les marais entre la Bourbre et le Catelan, une zone humide riche de nombreuses espèces végétales et animales.

Leçon de SVT grandeur nature

Chasseur piégeur comme Serge Bouvier, Maxime Vaudaine explique comment capturer des ragondins.
Après la visite de la ferme Cabale, place à la découverte des marais de La Verpillère. Quel rapport entre les deux ? La zone humide, un écosystème, extraordinairement riche et fragile, que Serge Bouvier connaît comme sa poche. C'est pour cela que l'agriculteur, chasseur passionné, participe volontiers à la journée de sensibilisation. Objectif : faire comprendre aux collégiens que, sur un même territoire, les hommes et le monde sauvage ne vivent pas des bulles séparées : ils sont en interaction permanente. Souvent sans le savoir.
Piégeurs agréés
Après un rapide exposé sur la biodiversité de la zone des marais, Serge Bouvier et ses collègues chasseurs se livrent à une petite leçon cynégétique, évoquant les comptages, le respect des milieux et de l'environnement. Sanglés dans leur tenue de garde-chasse particulier (1), ils parlent de leur mission de piégeurs agréés, autorisés à réguler les « espèces susceptibles de provoquer des dégâts »« Les nuisibles, quoi », traduit Maxime Vaudaine. A La Verpillère, deux espèces sont particulièrement redoutables : le ragondin et le corbeau. « J'ai eu tellement de problèmes avec eux sur mes cultures que ça m'a poussé à m'intéresser à la chasse », raconte Serge Bouvier. Rapidement, son intérêt se transforme en passion. « Avec le tracteur, on est régulier au niveau de l'allure et du son, explique-t-il aux enfants. On croise des quantités d'animaux, des chevreuils, des lièvres, des vanneaux, des bécasses. On peut s'approcher de très près : ils ne bougent pas. »
Crocodile
Difficile de savoir si les enfants réalisent qu'on leur parle de leur environnement proche. Il faudra attendre l'après-midi et la balade dans les marais pour qu'ils s'en rendent compte : une vraie leçon de SVT grandeur nature. Auparavant, les chasseurs leur auront montré les richesses insoupçonnées des marais, grâce à de petites vidéos tournées avec une caméra-piège. Sur la première, on reconnaît le fameux ragondin. Sur d'autres, le blaireau, le chevreuil, l'écureuil, le renard, une famille de sanglier. Au jeu des devinettes, les scores sont inégaux. « Et ça, c'est quoi à votre avis ? »  On devine le museau d'un castor nageant au ras de l'eau. « Un crocodile ! », s'écrit un collégien. Pas sûr qu'il blague...
MB
(1) Un garde chasse particulier est un citoyen bénévole, titulaire du permis de chasse, qui a le pouvoir de constater par procès-verbal tous délits et contraventions de chasse portant atteinte aux propriétés dont il a la garde.