INTERVIEW
Assurance récolte : le cri d’alarme des céréaliers

Alors que la loi sur l’assurance récolte a été votée par le Parlement en mars dernier, les céréaliers craignent que le gouvernement fasse marche arrière dans les décrets d’application, malgré l’engagement d’Élisabeth Borne dans sa déclaration de politique générale. Interview d’Éric Thirouin, président de l’AGPB.

Comment s’annonce la récolte céréalière après les épisodes de sécheresse du printemps et de grêle en juin ?

Éric Thirouin : « La moisson est déjà terminée dans le Sud de la France et elle bat son plein dans le Nord. Selon les chiffres publiés par Arvalis, le rendement moyen 2022 sera inférieur à la moyenne quinquennale mais avec des situations extrêmes très fréquentes, avec seulement 25 quintaux/ha à certains endroits et 100 quintaux dans d’autres. Je retiens surtout une très grande hétérogénéité des situations. La France est de plus en plus soumise à des aléas climatiques plus fréquents et de forte intensité avec deux évènements exceptionnels qui se sont succédé cette année, une grave sécheresse printanière et de violents orages de grêle. »

Précisément sur les aléas climatiques, vous attendez les décrets de la loi sur l’assurance récolte ?

ET : « Le ministre de l’Agriculture a diligenté le 22 juin dernier une mission sur le terrain pour évaluer les conséquences de la grêle. Nous attendons avec impatience les résultats. Quarante à cinquante départements ont été frappés par de violents orages de grêle. Nous sommes face à un évènement globalement faible, mais individuellement traumatisant. Les dégâts atteignent 80 % voire davantage chez certains agriculteurs. De nombreux céréaliers vivent une situation dramatique : une récolte anéantie, des charges qui explosent, sans pouvoir bénéficier de la hausse des prix. À très court terme, nous attendons du ministre qu’il annonce des mesures concrètes pour soulager les trésoreries exsangues : une exonération de la taxe sur le foncier non bâti, un allégement des cotisations sociales de la part de la MSA, une intervention du fond d’allègement des charges notamment. Pour le plus long terme, je salue les engagements de la Première ministre Élisabeth Borne en faveur de l’assurance récolte lors de sa déclaration de politique générale le 6 juillet dernier devant la représentation nationale. Une loi a été votée en mars dernier. Le gouvernement doit maintenant la concrétiser en publiant le plus rapidement possible les décrets d’application. Or, nous avons des retours inquiétants des services de l’État. Nous comptons sur le gouvernement pour tenir les engagements prévus, c’est-à-dire un seuil de 20 % pour la franchise et une aide de l’État de 70 % sur les primes d’assurance. Pour nous, il s’agit d’une véritable ligne rouge. Les céréaliers ne comprendraient pas que les actes ne suivent pas les intentions affichées à la fois par le gouvernement et les parlementaires dans la loi qu’ils ont votée en mars dernier, sur un sujet qui n’était pas particulièrement clivant. »

Avez-vous des inquiétudes sur les nouvelles modalités du plan stratégique national que la France a déposé à Bruxelles ?

ET : « Il y a urgence à adopter le plan stratégique national (PSN) qui décline la nouvelle Pac. Les agriculteurs doivent connaître sans délai les règles à respecter pour leur assolement. Notre priorité à l’AGPB est que ce PSN contribue à produire plus et mieux, alors que le conflit entre l’Ukraine et la Russie se poursuit, impacte les marchés céréaliers et interpelle sur la capacité du monde à se nourrir. C’est pourquoi nous attendons que le prochain Conseil des ministres européens de l’Agriculture adopte une position forte sur la dérogation à l’obligation de 4 % des surfaces non productives pour l’an prochain. »

Les éleveurs subissent en ce moment un renchérissement important de l’alimentation du bétail, en raison de l’envolée des prix des matières premières, les céréales en particulier. Où en sont les rapprochements entre éleveurs et céréaliers ?

ET : « Depuis quelques semaines nous travaillons avec la Fédération nationale porcine (FNP) à un dispositif permettant de lisser les prix de l’aliment du bétail grâce à des contrats pluriannuels. Mais nous souhaitons obtenir un coup de pouce des pouvoirs publics pour enclencher et développer ce nouveau mécanisme. Ainsi, nous demandons que l’épargne de précaution soit doublée pour les céréaliers et les éleveurs qui s’engageraient à contractualiser une partie de leur production dans une logique gagnant-gagnant. Nous attendons que la prochaine loi de finances pour 2023 concrétise cette demande. »

Propos recueillis par Actuagri