Réflexions
En agriculture aussi, le bien-être se sème et se cultive

Isabelle Brenguier
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Grâce à un accueil chaleureux et un propos atypique, les participants à la Nuit de l’agriculture ont profité d’une agréable soirée les invitant à mettre en œuvre un autre quotidien dans lequel l’efficacité et la sérénité ont toute leur place

En agriculture aussi, le bien-être se sème et se cultive
Consultante et formatrice spécialisée dans l’accompagnement des agriculteurs vers plus de bien-être et d'efficacité au travail, Sophie Marçot a donné des clés pour aider les agriculteurs à gagner en efficacité et sérénité lors de la Nuit de l'agriculture.

Vendredi soir oblige, l’ambiance se voulait accueillante et détendue à la Nuit de l’agriculture iséroise, organisée dans le « château Louis XI » de La Côte-Saint-André, le 8 novembre. Organisée par le Conseil de l’agriculture départementale (1), accueillie par Jérôme Gullon, le maire de La Côte-Saint-André et nouveau président de la Communauté de communes Bièvre-Isère, cette troisième édition a tenu toutes ses promesses.

Libérer des ressources

« En agriculture, le bien-être au travail est encore considéré comme un sujet original, voire tabou. Cela ne devrait pas, tant il est important pour la santé des professionnels, tant il peut jouer sur l’attractivité du métier et la dynamique d’un territoire », lance Sophie Marçot, consultante et formatrice spécialisée dans l’accompagnement des agriculteurs vers plus de bien-être et d'efficacité au travail.

Revendiquant « mettre les pieds dans le plat », elle s’adresse directement aux exploitants et les somme de faire attention à eux, à leur charge mentale, et au stress qu’elle génère. « Vous cumulez beaucoup de travail et énormément de responsabilités. Tâches à faire, projets, dates, rendez-vous, doutes, peurs, échéances, questions, injonctions… la liste n’est pas exhaustive. Et quand tout est dans la tête, au bout d’un moment, on sature et le cerveau fait comme un ordinateur, sa mémoire disponible devient insuffisante. Il faut alors fermer certaines applications pour libérer des ressources », affirme-t-elle.
Concrètement, c’est le moment de mettre par écrit ce qui encombre, planifier, se fixer des objectifs, refaire le point sur la stratégie de son entreprise, se former… et surtout se libérer des normes de groupe qui persistent dans la société, et notamment dans le monde agricole.

Prendre soin de soi

Montrant des photographies de bureau ou d’ateliers en désordre, Sophie Marçot explique à quel point cela vaut la peine de prendre le temps de ranger ses espaces de travail. « On ne peut pas gagner du temps sans en investir », martèle-t-elle.
« Mais quel bénéfice après avoir passé quelques heures à ordonner, de ne plus chercher systématiquement outils ou documents ! », ajoute-t-elle. Pour la consultante, il est important aussi de prendre soin de ses relations. « Oser dire aux personnes qu’elles nous nuisent, en trouver qui nous font du bien, apprendre à parler, faire preuve de reconnaissance, gérer les crises et les conflits, sont autant de pistes pour le faire », assure la formatrice.
Elle précise que c’est absolument essentiel dans le cadre d’un travail en société, et au moment de changements (transmission, départ à la retraite des parents). « Les non-dits sont source de malentendus et pénalisent les relations », confirme-t-elle, ajoutant que dans le même temps, il faut créer des moments de joie et de convivialité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le témoignage d’Axel Masset, jeune nuciculteur installé en Gaec avec son père et son frère à La Buissière, dans le Grésivaudan, confirme ces indications. Grâce au choix fait par Stéphane Masset au moment de l’installation de ses fils qui a simplement consisté à les guider dans la conduite de l’exploitation, mais sans plus prendre de décisions. Grâce aussi à une organisation des tâches définies, à un café pris ensemble chaque matin, à la distinction qu’ils opèrent entre leur relation familiale et leur relation de travail, leurs rapports, basés sur le dialogue et le respect, fonctionnent bien.
Sophie Marçot a conclu son intervention sur les nécessités de prendre soin de soi et de prendre du temps pour se connaître et se ressourcer. « Il faut s’autoriser à aller voir un thérapeute ou un coach quand cela est nécessaire. Il ne faut pas fuir ce sujet. Ce ne sont pas les fous qui vont voir « quelqu’un », ce sont les personnes qui ont des souffrances », assure-t-elle.

Fort rendement

Le propos sortait un peu du cadre habituel de la rencontre professionnelle agricole. Mais il donnait incontestablement à réfléchir. L’attention dont a bénéficié Sophie Marçot, les hochements de tête, les sourires amorcés, font penser qu’il n’a pas laissé l’assemblée indifférente.

Agriculteurs, salariés, élus… quels que soient le travail ou les responsabilités d’une personne, chacune peut améliorer son quotidien et mettre en place « une culture du bien-être ».
« Personnelle, différente de celles implantées dans les parcelles, elle ne demande pas d’itinéraire technique. Néanmoins, elle peut être semée toute l’année, ne nécessite pas d’intrants mis à part les ressources personnelles et s’instaure rapidement. C’est une culture qui a un fort rendement pour soi et pour les autres. C’est souvent un déclic, une remarque, la parole d’un enfant, qui permet de franchir le pas. C’est choisir, décider, oser, faire fi des normes sociétales, du poids des habitudes, de la peur du changement. N’hésitez pas à semer ces graines de bien-être. Mais avant cela, faites le vide et après, accueillez-les », prescrit la consultante.

Isabelle Brenguier

(1)   Le CAD de l’Isère est une association loi 1901 qui a pour objectifs de défendre et de promouvoir les intérêts de la profession agricole de l’Isère. Ses membres fondateurs sont la FDSEA de l’Isère, la Chambre d’agriculture de l’Isère, le Crédit agricole Sud Rhône-Alpes, le Crédit agricole du Centre-Est, Groupama Rhône-Alpes-Auvergne, Oxyane, Dauphidrom – Groupe Sicarev, le GDS de l’Isère, AGC Isère – CerFrance Isère, la Safer Auvergne Rhône-Alpes.

Faire entendre leur voix
Syndicalisme

Faire entendre leur voix

Durant la Nuit de l’agriculture iséroise, Marie-Cécile Seigle-Buyat, rédactrice en chef de l'Apasec (1) et Jérôme Crozat, président du Conseil de l’agriculture départementale, se sont livrés à un jeu de questions-réponses sur les suites des mobilisations de la profession en début d’année.

Les mois passent mais les manifestations agricoles initiées en janvier dernier restent dans toutes les têtes tant le mouvement a été important. Comme l’a rappelé Jérôme Crozat, le président du Conseil de l’agriculture départementale, « 1 000 agriculteurs réunis devant la Direction départementale des territoires, cela ne s’était jamais vu depuis 30 ans ». 
En réponse aux revendications exprimées, les responsables agricoles évoquent la loi de finances, intéressante pour l’ensemble des entreprises agricoles et notamment pour le monde de l’élevage, l’instauration du contrôle administratif unique et la mise en œuvre de mesures pour améliorer les relations entre la profession et l’Office français de la biodiversité.
Mais le syndicaliste insiste : « ces acquis, nous les devons à tous ceux qui s’engagent. Pour autant, même si nous œuvrons pour nos adhérents, c’est bien souvent l’ensemble des agriculteurs qui en profitent ». Aussi, invite-t-il les agriculteurs à « rejoindre les structures, à participer à leurs assemblées générales pour faire entendre leur voix de façon à dire ce qui ne va pas pour faire changer les curseurs ». 
Evoquant la question des prix, il considère qu’il va falloir trouver des solutions. « Même si certains ont augmenté, les charges et les prestations ont tellement explosé que l’équilibre économique des exploitations reste très fragile », souligne-t-il.

IB

(1)   Agence de presse agricole sud est centre

Ils ont dit
Yannick Neuder, vice-président à la Région Auvergne-Rhône-Alpes et député de l'Isère, à côté de Jérôme Crozat, président du Conseil de l'agriculture départementale.

Ils ont dit

Présent à la Nuit de l’agriculture le 8 novembre à La Côte-Saint-André, Yannick Neuder a rappelé, en tant que vice-président à la Région Auvergne-Rhône-Alpes, l’investissement de la collectivité pour la cause agricole, le travail réalisé sur les filières, ainsi que l’accompagnement prodigué en matière d’installation.
Prenant sa casquette de député de l’Isère, il a évoqué les sujets actuellement traités au sein de l’hémicycle, tels la retraite agricole, les exonérations sur les charges des travailleurs occasionnels, la vigilance à avoir également sur les suppressions d’allègement de charges telles que la CSG-RDS (1), la FCO (2) et le loup. Réaffirmant à quel point « l’agriculture était un sujet complexe », il indique que « pour sortir de la démagogie, il faut être technique sur les dossiers, et s’appuyer sur les échanges de terrain pour prendre les bonnes décisions à Paris. C’est comme cela que je conçois l’action des parlementaires », a martelé le député, le seul à avoir répondu présent à l’invitation du CAD (3).

« Nous avons besoin d’être bien pour prendre les bonnes trajectoires pour nos exploitations. Nous avons aussi besoin d’être bien accompagnés. C’est le travail accompli par la Chambre d’agriculture de l’Isère, le syndicalisme, le CAD, sur de nombreux sujets, comme le renouvellement des générations, les calamités agricoles, l’irrigation, la FCO, l’emploi… Dans ce monde complexe et incertain, il convient de penser global et agir local et collectivement », souligne Aurélien Clavel, secrétaire général de la FDSEA.

Evoquant les nécessités de ne pas rester seul dans son exploitation, de s’impliquer, de s’engager, le directeur de la DDT (4) de l’Isère, François Gorieu a mis en exergue l’importance d’embarquer le plus de monde dans ces démarches-là. « Il faut rompre l’isolement et ne pas attendre d’en avoir besoin pour aller se former », a-t-il indiqué.

IB

(1)   Contribution sociale généralisée et contribution au remboursement de la dette sociale

(2)   Fièvre catarrhale ovine

(3)   Conseil de l’agriculture départementale

(4)   Direction départementale de l’Isère