Stratégie
Trois ateliers et des opportunités

Isabelle Doucet
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Polyculteur-éleveur aux Eparres, Florent Guillaud pilote sa ferme avec réalisme et opportunisme. L’efficience de son système a été reconnue par Cerfrance Isère.

Trois ateliers et des opportunités
Florent Guillaud et sa fille Augustine avec le troupeau de montbéliardes.

Simple et efficace. C’est ainsi que Florent Guillaud a conçu son système d’exploitation, l’EARL de Verrière aux Eparres.
Si bien qu’il a été lauréat de Cerfrance Isère au titre de la performance économique de sa ferme, lors du Prix de l’Excellence agricole et rurale organisé par Terre Dauphinoise et remis en septembre 2023 à Beaucroissant.
Seul dans sa ferme, il dirige trois ateliers : troupeaux laitier et allaitant et grandes cultures.

Diversification

« Je me suis installé en 2009. C’est la reprise d’une structure familiale confortée par d’autres reprises. La SAU est aujourd’hui de 190 hectares. Il y a un atelier laitier de 25 montbéliardes avec une production de 180 000 litres, un atelier allaitant de 25 mères charolaises, 140 ha de cultures et 50 ha de prairies. Il n’y a pas de transformation ni de vente directe à la ferme. »
Il attribue les performances économiques de l’exploitation à deux facteurs : la diversification et une chance un peu orientée.
« Il y avait déjà trois ateliers à mon installation : ne pas mettre les œufs dans le même panier, c’est un système qui a fait ses preuves », assure l’exploitant.

Des contrats

En grandes cultures, Florent Guillaud est coopérateur Oxyane.
« Depuis quelques années je valorise mes céréales avec des contrats de filière. J’ai commencé en CRC (1) dans le cadre de contrats blé meunier avec Agromousquetaires (Intermarché). La deuxième étape a été de labelliser l’ensemble de l’exploitation en HVE3 (2), toujours dans le cadre de ces contrats de filière. J’ai fait partie des pionniers du lancement de ce projet avec ce client et je me suis beaucoup investi dans la filière », explique le producteur.
Tellement investi qu’en juillet 2022, il a participé à des stories Instagram produites par Intermarché pour promouvoir cette démarche. « C’était une expérience amusante avec toute une équipe de tournage. C’est une façon de rendre la pareille. »
À la plus-value sur les cultures s’ajoute la signature d’un contrat de Paiement pour services environnementaux (PSE), le premier contracté avec la Communauté d’agglomération Porte de l’Isère (Capi).
« L’objectif est la réduction des intrants et la diversité. À chaque fois que je m’engage dans ce type de démarche, je me remets en cause ainsi que mon système d’exploitation. Mais cela paye car les résultats économiques sont au rendez-vous. »

Rotation

Florent Guillaud est ainsi passé d’un schéma court de rotation des cultures type blé/colza/maïs à un modèle plus complexe blé/orge/colza/seigle/triticale/maïs/tournesol/lin/sarrazin/luzerne et prairie temporaires.
Ce changement a pour conséquence positive un étalement de la période des travaux, mais l’allongement des rotations implique davantage d’interventions. Il projette de semer du soja en 2024.
Seul dans son exploitation, mais pas dans ses pratiques, l’agriculteur appartient au groupe Sol’innov, piloté par la coopérative Oxyane, qui réunit des agriculteurs à la recherche d’alternatives au désherbant chimique.
Il a ainsi testé l’implantation de couverts et d’intercultures, recherché les bonnes associations d’espèces végétales, étudié la vie du sol, notamment en participant au test du slip, « qui permet de voir où on se situe ». Florent Guillaud pratique aussi l’entraide avec David Martin, de la ferme du Châtelard à Eclose-Badinières, et tous deux exercent des responsabilités au sein de la Cuma des Trois villages.
L’agriculteur souligne plusieurs points de vigilance : trouver des contrats pour ses nouvelles cultures et accompagner les animaux dans le changement de leur système alimentaire en introduisant de la luzerne.
Le but est d’apporter des protéines en se passant de tourteau pour tendre vers l’autoconsommation des troupeaux.

Pas de charge

« Les vaches laitières représentent un apport de trésorerie mensuel », souligne l’éleveur qui livre à Sodiaal. « C’est un petit cheptel et les coûts de production sont faibles. J’arrive à tirer parti du système car je n’ai pas de charge et les bêtes valorisent les prairies. Elles pâturent de mars à novembre », explique-t-il.


Seul problème du système herbager : des mois de juin, juillet et août « où les températures excessives limitent la pousse de l’herbe ». Les laitières ont alors presque besoin de rations hivernales.
Par ailleurs, le renouvellement du troupeau est limité, les vaches allant jusqu’à six ou sept lactations. « Je fais un peu de croisement pour la vente de veaux », ajoute l’agriculteur.

Maîtriser le système

Sur le troupeau allaitant, Florent Guillaud a aussi fait évoluer ses pratiques. Il est naisseur et engraisseur.
Depuis trois ans, ses broutards, qui étaient auparavant vendus à l’export, sont désormais vendus sur l’exploitation. Une démarche opportuniste assumée.
« Les cours à l’export sont moroses et je ne veux pas être soumis à une baisse d’activité. Je m’adapte en permanence. »
Il travaille avec des négociants privés.
« J’ai l’impression de mieux maîtriser le système », insiste l’éleveur.
Si les cours sont porteurs les broutards nés en février sont vendus, sinon, ils restent dans l’exploitation à l’engraissement. « C’est possible car mes surfaces le permettent. »
Il y a deux périodes de vêlage : en novembre-décembre et au mois de février. L’objectif est que les animaux aient quitté l’exploitation avant 18-20 mois, limite au-delà de laquelle le kg de viande à produire commence à coûter cher.
« Je recherche la rentabilité économique. Je lis beaucoup et j’observe les tendances, je ne me ferme à rien. Il faut anticiper et saisir les opportunités. »

État des lieux

Pour les résultats de sa ferme, l’agriculteur se dit accompagné par « des professionnelles hors pair » de Cerfrance à La Tour-du-Pin, Cathy Bourrin et Patricia Laurencin.
« Des personnes humainement formidables et compétentes dans leur travail ». Il partage avec elles les analyses de performance de l’exploitation.
Le bilan annuel est ponctué par un état des lieux en milieu de saison « où l’on voit se dessiner les tendances, ce qui permet d’actionner certains leviers. Je profite des conseils de Cerfrance tout en continuant à avoir la maîtrise de gestion », détaille Florent Guillaud qui reconnaît un certain attrait pour les chiffres. Comme tous les agriculteurs, il a cependant « l’impression de ne maîtriser ni les prix de vente, ni celui des achats » et d’être « un peu soumis aux aides compensatrices, donc de devoir avancer la trésorerie ». Il insiste sur le fait que l’agriculture, de l’amont à l’aval « sert à faire tourner toute une économie ».


Bien dans ses bottes, Florent Guillaud semble avoir transmis le virus à ses filles Augustine et Garance ; la cadette est déjà passionnée par les montbéliardes.
Isabelle Doucet

(1) Culture raisonnée contrôlée
(2) Haute valeur environnementale