Environnement
L’Isère dans l’étang

Morgane Poulet
-

Pour la première fois en France, un Salon des étangs se tiendra en Isère pour mettre en lumière le profil aux multiples facettes de ces lieux.

L’Isère dans l’étang
Les étangs forestiers sont spécifiques au département, qui accueillera le premier Salon des étangs à La Côte-Saint-André.

« Au moment de sa fondation, en 1988, et jusqu’à il y a quelques années, Étangs Isère était un syndicat de défense, car les lois étaient très dures pour les étangs », explique Pierre Jouvenal, vice-président d’Étangs Isère.
Depuis, l’intérêt de l’association est aussi de montrer que les étangs sont indissociables des patrimoines français et isérois, et ce sur de nombreux aspects. C’est pourquoi elle organise le premier Salon des étangs de France au château de La Côte-Saint-André, du 26 au 28 mai, en lien avec les démarches de fonds du Département pour remettre en état les étangs isérois.
 
Une histoire séculaire
 
« Les étangs sont d’origine humaine, constate Patrice Clavel-Morot, président d’Étangs Isère. Ils font partie d’un milieu anthropisé qui doit être entretenu par l’homme. » Les étangs de l’Isère, comme ceux de nombreuses autres régions, étaient initialement piscicoles.
En Isère, les étangs ont été créés par les moines de l’abbaye cistercienne de Bonnevaux. « A un moment donné, le clergé a souhaité assainir des zones pour y faire de l’agriculture », explique Joël Robin, chercheur à l’Isara. Pour atteindre cet objectif, des eaux ont été rassemblées dans des trous prévus à cet effet. Ce n’est que plus tard que les moines ont pensé à intégrer des poissons aux étangs ainsi formés pour avoir une source alternative de protéines.
Des étangs ont également été créés dans les années 1960, parfois sur la base d’anciens étangs. Dans ces années-là, l’objectif était plutôt de créer des bases de pêche pour le loisir, mais également des étangs pour des activités de loisir en tout genre. « Finalement, l'Isère s'est orientée vers ce mouvement de création d’étangs de loisirs  plutôt que le Forez ou les Dombes, où les étangs sont restés essentiellement piscicoles », ajoute Joël Robin.
En septembre 2020, une charte est rédigée et signée par Étangs Isère et le Département. Elle reconnaît le maintien, la valorisation et la préservation des étangs. Concrètement, elle permet la remise en vidange périodique des étangs afin de les entretenir. Un plan d’aides d'un budget annuel de 280 000 euros a été créé afin de fournir un appui aux propriétaires d’étangs, pour qu’ils puissent réaliser des études ainsi que des travaux par le biais d’un conventionnement sur cinq ans.
 
Refuges de la faune
 
L’histoire de ces points d’eau remonte à plusieurs siècles, ce qui explique que différents types d’étangs se soient formés, attirant chacun une faune et une flore différentes. Trois groupes sont recensés en Isère. Le premier est constitué d’une eau de très bonne qualité, mais assez peu profonde. Il s’agit des étangs de vallée, qui sont connectés à une rivière. « Ils prennent de d’eau à la rivière et lui en rejettent », explique Joël Robin. Étant donné qu’ils sont en dérivation de la rivière, cela peut amener une eau de très bonne qualité en volumes très importants, ce qui permet donc d’obtenir une biodiversité (zooplancton, amphibiens, plantes flottantes, etc...) « très intéressante et parfois seulement liée à la qualité de l’eau », ajoute-t-il.
Certains étangs sont quant à eux situés dans un bassin versant assez isolé, ou encore dans un champ. Ils se remplissent au fur et à mesure qu’il pleut. « Ils peuvent avoir un réel intérêt, comme celui de servir d’abreuvage aux vaches, mais on peut tout de même y trouver une variété d’espèces parfois très riche. »
Un troisième faciès, spécifique au département, est l’étang forestier. Son eau est d’un marron assez opaque, en raison des feuilles et des aiguilles de résineux tombés au fond. « Cela gêne la pénétration de la lumière dans l’eau, en plus de l’ombre des arbres, or, le moteur de ces milieux est la photosynthèse. S’il y a moins de lumière, il y a moins de production à tous les maillons de la chaîne alimentaire, donc ces étangs ne sont pas très riches en biodiversité », explique Joël Robin. Et pourtant, ils fourmillent de libellules, qui arrivent à se développer dans ces eaux chargées.
A l’échelle d’un territoire, une sorte de plaque d’étangs différents peut se former et amener, selon leur profil, une contribution très particulière à la conservation de certaines espèces.
 
Entretenir pour faire vivre
 
« Les usages peuvent être diversifiés pour arriver à un compromis sur un même territoire, explique Joël Robin. Mais tout étang doit être un minimum entretenu : si on en laisse un en eau pendant 40 ans sans rien faire, des arbres pousseront au milieu et l’étang aura tendance à l’atterrissement car il se remplira de matière et se transformera progressivement en sol ».
L’entretien des étangs permet également à la biodiversité de s’y développer.
La chaîne alimentaire qui en découle fonctionne bien lorsque son lieu de vie est entretenu régulièrement. Étant donné que cela n’était pas forcément le cas en Isère, la charte signée avec le Département en 2020 a permis de lancer un programme d’analyse de l’état des étangs pour décider de leur future restauration.
 
Le cas des étangs piscicoles
 
Étangs Isère souhaite que soient conservés des étangs piscicoles, pour se nourrir, mais aussi parce qu’ils peuvent être une source économique et touristique pour un territoire.
La loi sur l’eau a tendance à opposer les « eaux closes », comme les mares, aux « eaux libres », comme les rivières. Or, la production piscicole suppose de vidanger les étangs, donc de rejeter une partie de matières solides accumulées au fond de l’étang. « Cela gêne parfois les syndicats de rivière, par exemple, car ils considèrent que l’eau de mauvaise qualité est rejetée. Mais il ne faut pas oublier que les étangs peuvent aussi être des réservoirs d’eau pour les rivières », précise Joël Robin.
Qui plus est, l'aspect négatif des étangs piscicoles est souvent mis en avant, même si pour le chercheur, ils permettent aussi de conserver un minimum de flux dans les cours d'eau. « Des écologistes veulent protéger les amphibiens à tout prix et pour cela, il ne faudrait pas introduire de poissons, qui deviennent des prédateurs », ajoute-t-il. « Il y a un effet de chaîne alimentaire, mais on peut se demander s’il faut seulement faire des étangs pour protéger les amphibiens, cela ne doit pas forcément être une finalité. »

Morgane Poulet
Le Grand Albert, reflet d’un sujet aux multiples facettes
Le Grand Albert, dans les Bonnevaux, a été restauré.

Le Grand Albert, reflet d’un sujet aux multiples facettes

Le Grand Albert, plus grand étang forestier de l’Isère, a été restauré pour permettre à la biodiversité de s’y réinstaller.

Créé par des moines au Moyen Âge, l’étang du Grand Albert, à Arzay, compte 17 hectares. En 2008, le plan d’eau s’assèche en raison de la rupture de sa digue. Une partie de la biodiversité qui y vivait s’est déplacée dans le Petit Coquet, un étang voisin d’1 hectare, le plus riche du massif des Bonnevaux en termes de biodiversité.
Les propriétaires du Grand Albert ont souhaité restaurer l’étang pour permettre à cette vie sauvage de s’y réinstaller. En 2016, ils se constituent en SCI « Réserve naturelle du Grand Albert » et signent un contrat d’obligation réelle environnementale (ORE) patrimoniale avec la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) d’Auvergne-Rhône-Alpes pour garantir la préservation du site pendant 99 ans.
 
Réintroduire la faune sauvage
 
L’ORE permet d’intégrer la gestion du Grand Albert dans la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Ce contrat permet la mise en place d’actions en faveur de la biodiversité et est rattaché au bien immobilier, donc l’ORE perdure dans le temps, quel que soit le propriétaire.
Dans le cas du Grand Albert, la digue a pu être reconstruite : « elle a été consolidée et légèrement remontée afin qu’il n’y ait plus ce genre de rupture », explique Clarisse Novel, de la LPO. « Étant donné que le milieu s’est asséché, des plantes ligneuses ont poussé, il a donc fallu ouvrir le milieu pour que la remise en eau soit plus facile », précise-t-elle. Certains ligneux demeurent, « mais ils filtrent naturellement l’eau ».
Des mares d’étiage ont aussi été créées, permettant à l’étang d’accueillir les amphibiens et les libellules dans des zones restant humides lorsqu’il est à sec. Une butte à castors a également été construite pour garantir la sécurité de la digue tout en fournissant un habitat calme à l’animal.
 
Enjeux touristiques
 
La reconstruction de la digue et l’ensemble des éléments ajoutés, comme des plages et une queue d’étang pour permettre l’écoulement des eaux, doit aussi limiter la fréquentation du site pour le préserver. Il s’agit en tout cas de « permettre aux personnes qui le visitent de déambuler dans un espace dédié à la vie sauvage », précise Clarisse Novel.
L’objectif n’est pas pour autant d’empêcher les visiteurs d’accéder au site, mais plutôt de se promener de manière différente, de leur offrir des espaces dédiés à l’observation pour offrir de la quiétude à la faune sauvage.

MP