Marchés et perspectives
« Nous devons absolument maintenir la production de colza »

Arnaud Rousseau, président de la Fédération des producteurs d’oléagineux et protéagineux (FOP), prévoit une hausse des surfaces de colza dans un contexte beaucoup plus favorable.

« Nous devons absolument maintenir la production de colza »
"Le sujet principal désormais, c’est la production de colza", estime Arnaud Rousseau, président de la Fédération des oléoprotéagineux. Crédit : FOP

La graine de colza vient d’atteindre 600 €/t. Jusqu’où vont grimper les prix et quelles en sont les causes ? 

Arnaud  Rousseau : C’est vrai, nous n’avons jamais connu des prix aussi élevés, c’est une bonne nouvelle pour le revenu des producteurs même s’il faut se méfier de ces pics de prix qui ont aussi des conséquences sur les industries de transformation et sur les consommateurs. A un certain stade, des arbitrages avec d’autres produits concurrents pourraient s’opérer. Par ailleurs, c’est le prix du moment, mais il est possible que les cours soient plus mesurés dans les mois à venir. Les causes sont multifactorielles : le colza suit la hausse de toutes les matières premières, en raison de la reprise mondiale post-Covid. A quoi s’ajoute la raréfaction du produit en raison de très faibles récoltes, avec une réduction drastique des exportations du Canada et une surface en production très réduite en Europe. En France, nous sommes passés de 1,5 million d’hectares en moyenne il y a 5 ans à 960 000 ha en 2021.

Comment redonner de l’attractivité à cette culture, notamment avec les contraintes environnementales ?

Pendant longtemps, la question était celle des débouchés et de la rentabilité pour la graine de colza, et c’était la difficulté majeure pour l’attractivité de cette culture. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, grâce aux débouchés des biocarburants, des huiles alimentaires et des protéines pour l’alimentation animale. Le sujet principal désormais, c’est la production. Nous devons faire face à de nouvelles conditions climatiques, excès de pluies, sécheresse, et au niveau sanitaire, aux attaques d’insectes, d’altises, de limaces, avec des moyens de protection des plantes plus réduits, ce qui augmente la difficulté de produire du colza. Mais au regard des prix actuels, les intentions d’emblavement des producteurs sont en augmentation de 15 à 20 %, soit  entre 1,1 et 1,2 millions d’ha pour la campagne qui démarre. Il manque encore 20 % par rapport aux niveaux atteints dans le passé, qui sont d’ailleurs en partie compensés par une augmentation de la sole de tournesol. Je ne fais pas de pari, mais si nous atteignons une production de 4 millions de tonnes l'an prochain, ce serait une belle victoire. Mais je reste prudent car entre les intentions et ce qui sera vraiment collecté dans la benne, il y a une marge. Nous aurons des retours plus précis sur les semis réalisés à la mi-octobre. J’ajoute que pour atteindre le plan protéines que nous avons obtenu du gouvernement, nous devons maintenir ou augmenter notre production de cultures riches en protéines, malgré les difficultés et des moyens de production diminués. C’est la question prioritaire.

On dit que les marges de la trituration sont très élevées. Qu’en pensez-vous ? Et quelle est la situation des transformateurs français dans la concurrence mondiale ? 

Les marges de trituration sont redevenues positives, alors que les outils industriels étaient en perte en 2017, 2018 et 2019, traversant une crise qui a entraîné des fermetures d’usines un peu partout dans le monde. Avec le groupe Avril (dont Arnaud Rousseau est le président, Ndlr), nous avons un modèle économique plus résilient, mais nous avons accumulé des pertes au cours des trois dernières années, pour un montant de l’ordre de 150 millions d’euros ! Les marges dégagées aujourd’hui vont nous permettre de remettre à niveau des outils qui avaient souffert de sous-investissements,  et d’envisager l’avenir avec plus de sérénité, d’autant que la réduction des capacités de production que nous avons connu dans le passé valorise aujourd’hui les outils existants. Quant à la concurrence internationale, comme toute l’industrie française, nous avons des coûts de production plus élevés et des problèmes de compétitivité, mais également un savoir-faire technique et industriel qui nous protège. Enfin, nous transformons des graines qui ne sont pas majoritairement importées, contrairement aux usines transformant des huiles de palme ou des graines de soja. C’est un modèle plus durable, émettant beaucoup moins de gaz à effet de serre et sans déforestation.

Avec les prix actuels, revient l’idée d’accords inter filières évitant la volatilité et les prix élevés pour les éleveurs bovins, porcins ou de volaille. Est-ce un vœu pieux ?

Ce n’est pas un vœu pieux, et c’est un vœu que je réitère. Les producteurs de grande culture n’ont aucun intérêt à voir les éleveurs en difficulté, ou à ce qu’ils disparaissent faute de revenus. Pour nous, un éleveur en moins, c’est un acheteur en moins. Mais on ne peut pas non plus défendre la contractualisation uniquement quand les prix à la production sont élevés. Nous devons mettre en place des droits et des devoirs, qui permettent aussi aux entreprises de transformation de pouvoir approvisionner les élevages. Il faudrait qu’au moins une partie de la production soit contractualisée avec les filières pour lisser la volatilité, à la hausse comme à la baisse. Ce sujet n’est pas optimisé. La volatilité n’est bonne pour personne, ni pour les acheteurs, ni pour les vendeurs et elle intéresse surtout les spéculateurs.

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