Transmission
« Une exploitation mérite d’être revisitée »

Isabelle Doucet
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La chambre d’agriculture de l’Isère a lancé le mois de la transmission, mardi 9 novembre à Charantonnay. L’enjeu de la reprise d’exploitation est de taille dans le paysage rural. 

« Une exploitation mérite d’être revisitée »
Marie-Sophie Martin-Joffre et Stéphane Olivier, les repreneurs de la bergerie du Moulin, avec Alexandre Escoffier, secrétaire de la chambre d'agriculture de l'Isère.

« Faciliter l’accueil des repreneurs », pour Pascal Denolly, vice-président de la chambre d’agriculture de l’Isère, la transmission des exploitations agricoles n’est pas seulement un enjeu, mais un choix de société.
« L’agriculture est structurante pour les espaces ruraux », déclare-t-il, lors du lancement du mois de la transmission, le 9 novembre à Charantonnay. Pour autant, le secteur peine à se renouveler. 
Plus d’un tiers des actifs ont plus de 55 ans. Un sur trois partira à la retraite dans moins de 10 ans. Il reste en France un peu plus de 400 000 fermes.
« Il faudrait que l’on arrive à un étiage »,
assure le producteur, lui-même à à la retraite. Lorsqu’il s’est installé, il y a 40 ans, il y avait encore 1,5 million d’exploitations dans l’Hexagone.

Un état d’esprit

La réussite d’une transmission dépend de plusieurs facteurs. L’anticipation est déterminante. Mais c’est aussi une question d’état d’esprit, « que le cédant accepte que le projet du repreneur lui soi propre », explique l’élu de la chambre d’agriculture.
Il cite son cas en exemple : son exploitation céréalière s’est diversifiée dans la production de légumes et de petits fruits. « C’est un projet que j’ai porté pendant 40 ans, qui mérite d’être revisité, voire changé. » Il souligne que les pratiques ont largement évolué, avec une attention redoublée à la vie des sols et une nécessaire adaptation aux exigences du marché et à la demande des consommateurs. 
Alexandre Escoffier, secrétaire de la chambre d'agriculture en charge du dossier transmission, assure combien l’organisme consulaire met tout en œuvre pour que cette étape de la vie des exploitations se déroule dans les meilleures conditions. « Nous avons des compétences et des outils adaptés, insiste-t-il. Nous faisons évoluer  le RDI (1) en y ajoutant de la vidéo afin que les offres soient plus attractives. »

Un projet cohérent

Les conseillers transmission et installation de la chambre d’agriculture prennent en charge chaque projet au cas par cas. Ils accompagnent les cédants et les repreneurs en développant tout un panel de services dédiés : étude du projet de transmission, audit de l’exploitation, inscription au RDI, stage test pour préparer la reprise avec les futurs installés etc.
Audrey Pangolin, conseillère transmission, livre quelques chiffres concernant l’Isère. Il y a eu 170 installations par an en moyenne entre 2011 et 2018 contre 340 cessations d’activités par an en moyenne durant la même période, soit une installation pour deux départs.
Les principaux freins sont la maîtrise des moyens de production (foncier, bâtiment) ; des problèmes d’indivision ; la présence ou non d’un environnement favorable (voisinage, accès, zonage limitant) ; le juste prix de transmission qui prend en compte la valeur économique de l’exploitation ;  l’existence d’un logement car l’immobilier est hors de prix ; la réalité de la charge de travail.

Maraîchage et élevage

La conseillère brosse le profil des candidats au RDI les plus courants : beaucoup de futurs maraîchers certes, mais les jeunes éleveurs bovins souhaitant s’installer dans la ferme familiale sont aussi très nombreux. L’élevage caprin est également en plein développement. 


Environ 330 personnes contactent le RDI chaque année et trois-quarts des porteurs de projets sont hors cadre familial. La réussite passe par la compétence, la cohérence du projet avec des ateliers rémunérateur, le conseil, la maîtrise des coûts de production, des investissements raisonnables, la capacité d’adaptation et les marchés (circuits long ou vente directe).
La chambre d’agriculture organise plusieurs événements jusqu’en décembre afin de mieux faire connaître les enjeux et les opportunités de transmission en Isère qui se caractérise par la diversité de l’offre.

Isabelle Doucet

(1) Répertoire départ installation

Installation / Une reprise atypique
Visite de la bergerie du Moulin à Charantonnay à l'occasion du lancement du mois de la transmission.

Installation / Une reprise atypique

Marie-Sophie Martin-Joffre et Stéphane Olivier ont repris la bergerie du Moulin créée à Charantonnay par les époux Farce, il y a à peine 20 ans. 

« Nous n’avons pas le droit à l’erreur », assure Stéphane Olivier qui vient de reprendre, avec Marie-Sophie Martin-Joffre, l’exploitation ovine des époux Farce à Charantonnay.
C’est une transmission atypique car les cédants ont décidé de transmettre leur bergerie à l’aube de la quarantaine, dix ans après l’avoir créée. Des soucis de santé, l’envie de lever le pied et de profiter de la vie de famille ont présidé à leur décision. « Nous avons mis toute notre énergie dans la création de cette activité et nous nous sommés un petit peu oubliés », raconte Virginie Farce, la cédante. Sans urgence, mais fermement décidés à vendre, ils inscrivent la ferme au RDI, après que la chambre d’agriculture ait posé son audit et « proposé un prix juste ». 
Ingénieure agronome de formation, Marie-Sophie Martin-Joffre voulait devenir agricultrice « toute seule, en chèvre, dans le Rhône ». Au fil de ses recherches, elle se rend compte qu’il vaut mieux être associée et prospecter au-delà du département.
Dans le cadre de ses emplois agricoles, elle rencontre Stéphane Olivier, éleveur bovins viande et porcs dans la Sarthe, qu’elle convainc de devenir son associé dans son futur projet. 

Une exploitation qui tourne

Ils découvrent la ferme au RDI à l’été 2020 et s’installent l’année suivant après que Marie-Sophie ait effectué un stage d’installation de 9 mois. Entre temps, Stéphane Olivier liquide sa propre activité. « Je voulais aller au bout de ma production. J’étais frustré de vendre mes animaux et mes céréales sans avoir mon mot à dire sur le prix », confie-t-il. « Depuis, on bosse », déclarent les associés, installés en EARL.
Ils sont à la tête d’un troupeau de 150 brebis laitières de race lacaune, d’une bergerie et d’une fromagerie récente et aux normes, d’un magasin à la ferme et de 40 ha de pâturages en location.  Ils ont aussi repris les parts d’associés dans trois magasins de producteurs, assurent deux marchés par semaine et livrent dans plusieurs points de vente. 

« Le stage d’installation, c’est une bonne chose », estime Stéphane. Même après 9 mois, Marie-Sophie reconnaît qu’elle n’a pas encore acquis tous les automatismes. « Le métier fait rêver, mais en réalité, on ne se tire pas de salaire, on ne fait que rembourser les frais. »
L’exploitation dégage un chiffre d’affaires de 180 000 euros. Le montant de la transaction s’ est élevé à plus de 500 000 euros. Les associés ont été suivis par le Crédit agricole et la Banque populaire.
« C’est une exploitation qui tournait », insiste Stéphane Olivier. Dans la phase de prise en main, les journées et les semaines sont chargées. Les associés savent qu’ils peuvent encore chercher de la valeur ajoutée dans la viande d’agneau, sur de plus gros marchés ou en accueillant de nouveau des chevaux en pension. Manque juste un petit peu de temps. 
ID