Médecine d'élevage
L’Isère rurale perd ses vétérinaires

L’activité vétérinaire en Isère est précaire, tout particulièrement en milieu rural, et la désertification guette. C’est le constat qui ressort de l’étude effectuée par quatre étudiants vétérinaires de VetAgro Sup, qui pointe les nombreuses difficultés rencontrées par la profession.

L’Isère rurale perd ses vétérinaires
L’étude, commandée par le Département, a été réalisée par quatre étudiants de VetAgro Sup et supervisée par le GDS 38 et la chambre d'agriculture de l'Isère.

La diminution du nombre de vétérinaires spécialisés en activité rurale en Isère est de plus en plus inquiétante. Les conclusions de l’étude réalisée par quatre étudiants de VetAgro Sup (69) – Franck Bonvallot, Aurore Leleu, Camille Le Moine et Clotilde Pallier – viennent mettre des chiffres sur les difficultés auxquelles sont confrontés les praticiens ruraux. « La fragilité du maillage vétérinaire était déjà connue, mais mal appréhendée par les différents acteurs locaux » selon les étudiants rapporteurs. D’où l’importance de cette étude (1), présentée aux élus du Département le 20 mars à Maubec, de façon à pouvoir apporter des solutions concrètes.

Sur les 300 vétérinaires que compte le département de l’Isère, une cinquantaine exerce en milieu rural. Entre 2017 et 2020, leur nombre a diminué de 30%. Ils sont répartis dans une vingtaine de cabinets : cinq de ces cabinets se consacrent exclusivement à l’activité rurale, quand les quinze autres ont une activité dite « mixte ». Etablie à partir de nombreux entretiens avec des vétérinaires en exercice, cette étude fait ressortir les difficultés à la fois économiques, techniques et de territoire auxquelles ceux-ci sont confrontés. Cette baisse du nombre de praticiens en milieu rural s’explique en partie par la baisse de densité des zones d’élevage et les difficultés économiques rencontrées par les éleveurs.  « Les éleveurs eux-mêmes font de moins en moins appels aux vétérinaires, particulièrement dans la filière ovine », explique Aurore Leleu. À quoi bon en effet quand l’intervention a un coût plus élevé que le veau qui doit la subir ? Ces difficultés des éleveurs font effet boule de neige : il n’y a plus assez d’activité rurale pour que celle-ci soit rentable, et les vétérinaires doivent la compléter avec d’autres disciplines, notamment la « canine », autrement dit les animaux de compagnie. Cette mixité d’activité créé des problèmes de manque de temps chez les praticiens, souvent au détriment des interventions en zone rurale, ce qui réduit le nombre de vétérinaires spécialisés et compétents.

« Sacerdotal » ou « pragmatique »

Pour pouvoir agir, il faut d’abord se rendre compte de la réalité du terrain. Deux profils types de praticiens se dégagent de l’étude. Le premier représente la majorité du genre : ce sont les vétérinaires dits « pragmatiques », avec une approche rationnelle et rentable de l’activité, qui essaient d’allier vie privée avec vie professionnelle et qui développent des initiatives avec les éleveurs. Le second est dit « sacerdotal » selon les rapporteurs de l’étude. Tels les médecins de campagne, ces praticiens-là ne comptent ni leurs heures ni leurs kilomètres, et voient leur métier comme une mission essentielle, au détriment parfois de leur vie personnelle. Et bien que minoritaires, ces vétérinaires-ci maintiennent le maillage dans les zones les plus isolées, comme dans le Sud-Isère. Le risque est à la désertification s’ils disparaissent. Des associations comme Véto 38, qui rassemble une vingtaine de praticiens, s’attachent à structurer et conserver l’activité rurale, mais la difficulté à se projeter dans l’avenir rend leurs opérations compliquées. Les nouveaux arrivants sont trop peu nombreux pour inverser la balance.

Les disparités dans le maillage vétérinaire font que certaines zones du département sont mieux couvertes que d’autres, ce qui rend l’obtention de statistiques ardue. Pour pouvoir « combler les trous dans la raquette », il faut que les acteurs locaux « s’adaptent aux différentes dynamiques des territoires et s’appuient sur la loi DDADUE (1) », affirme Camille Le Moine, une des étudiants ayant participé à l’étude. Cette loi propose plusieurs aménagements, notamment le soutien aux vétérinaires praticiens, le soutien à l’installation des nouveaux arrivants et à la pérennité de leur installation, et une aide pour les stages des étudiants vétérinaires.

Des actions rapides

Le maillage vétérinaire Isérois tient, mais pour combien de temps encore ? Dans des secteurs comme celui du Sud-Isère, la plupart des praticiens font partie de cet archétype « sacerdotal », prêts à faire de grands déplacements et de longues heures d’astreinte. Mais ces vétérinaires se font de plus en plus rares. « La crainte est de voir la fermeture d’un cabinet faire effet domino et entrainer les autres », admet Benjamin Dubail, le président de l’association Véto 38. « A titre d’exemple, il y a un vétérinaire à Bourg-d’Oisans qui monte jusqu’au col de la Croix de fer. Il fait 10% de rural du secteur à lui tout seul. Il tient, mais pour combien de temps encore ? » Car ce qui est urgent, selon Jean-Yves Bouchier, le président du GDS 38 (Groupement de Défense Sanitaire) c’est d’offrir une vraie aide aux vétérinaires dans un délai rapide, et surtout de se tourner vers le conventionnement entre praticiens et éleveurs. Le Département, en la personne de Jean-Pierre Barbier, a promis de développer un « plan vétérinaire » sur la même base que le « plan médecin » destiné à attirer et pérenniser des praticiens dans la région. En attendant, l’Isère rurale s’accroche à ses vétérinaires d’élevage.

(1) Etude financée par la Département de l’Isère et réalisée par les étudiants de VetAgro Sup et de Sciences Po Lyon en associant la DDPP, le GDS, l’association Véto 38et la chambre d’agriculture de l’Isère.

(2) La loi « portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne » dite DDADUE, adapte le droit français à plusieurs réformes importantes de l'Union européenne. Il s'agit notamment des directives "droits d'auteur et audiovisuels", des directives et des règlements traitant des droits des consommateurs ou encore du système financier européen.

Isalia Stieffatre

Le conventionnement, une possible solution ?

Plébiscité par certains éleveurs présents à la restitution de l’étude, le conventionnement est peut-être la solution pour éviter le délitement du maillage vétérinaire. Dans les faits, ce qui est appelé « groupe vétérinaire conventionné » et qui est rassemblé au sein de la FEVEC (La Fédération des Eleveurs et Vétérinaires en Convention) a pour objectif de recréer du lien entre éleveurs et vétérinaires et de rendre possible un meilleur suivi sanitaire de l’élevage. Le fonctionnement de ces structures est simple : les éleveurs sont adhérents d’une association qui établit une convention de travail avec un cabinet vétérinaire de statut libéral. Le montant de la cotisation est forfaitaire, basé sur l’unité d’intervention vétérinaire, et défini annuellement. Le contrat donne droit à tous les types d’interventions des vétérinaires sur l’exploitation, de l’urgence à la formation et à la fourniture des médicaments. Pour Jean-Yves Bouchier, président du GDS 38 c’est le système à privilégier pour sauvegarder le lien entre éleveurs et vétérinaires : « Avant, le vétérinaire était une figure respectée, presque le « sachant ». Aujourd’hui le lien s’est rompu. Avec le conventionnement, les éleveurs reviennent plus facilement vers les vétérinaires. » À ses côtés, un des éleveurs présents acquiesce. Lui-même fait partie d’une structure qui compte « deux vétérinaires conventionnés et plus de cinquante éleveurs ». Comme toutes les interventions sont comprises dans le forfait il « n’hésite plus à appeler le vétérinaire. » Pour lui aussi, le conventionnement est le système sur lequel les acteurs locaux doivent s’appuyer. « Le problème est économique pour beaucoup d’éleveurs. Le fait qu’on supprime le paiement à l’acte rend les choses plus faciles. » En 2018, dix cliniques dans la région fonctionnaient sur ce système de conventionnement.

IS

La profession vétérinaire en chiffres

La situation vétérinaire sur le territoire français est disparate, mais une tendance s’affirme : la hausse du nombre global de vétérinaires et la chute du nombre de praticiens en activité rurale. Selon l’Atlas démographique de la profession vétérinaire de 2020, sur les 18 874 vétérinaires exerçant dans le pays, 71% ont une activité principalement d’animaux de compagnie, et 19% d’animaux d’élevage. 
Sur 5 ans, le nombre de vétérinaires déclarant une activité exclusive ou principale en milieu rural est passé de 4 123 à 3 518, soit une diminution de 14,7%. 
Dans le département de l’Isère, la baisse se chiffre à 30% pour les vétérinaires ruraux. En primo-entrants (jeunes diplômés), la baisse nationale sur les cinq dernières années est de 869 vétérinaires. 
Chez les exerçants, on dénombre une perte de 656 praticiens. Etonnamment, l’Isère est pourtant une zone d’attractivité pour les vétérinaires, avec une hausse de 10% dans son territoire. Mais la grande majorité se tourne vers une activité d’animaux de compagnie, aux dépens des animaux d’élevages.

IS

La restitution de l'étude sur le maillage vétérinaire a été présentée aux élus du Département et aux éleveurs.