Actu vue par Antoine Reboul
"Notre mandat sera marqué par ce virus"

Isabelle Doucet
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Le maire de Beaucroissant et son conseil municipal ont décidé d'annuler la foire de septembre.

"Notre mandat sera marqué par ce virus"
Antoine Reboul, maire de Beaucroissant.

Vous venez d’annuler la foire de Beaucroissant de septembre. Sa tenue était donc impossible ? 

Le conseil municipal a pris cette décision car une telle manifestation nécessite l’usage d’un pass sanitaire. En effet, l’Assemblée nationale a voté la prolongation de l’état d’urgence jusqu’au 30 septembre. Or, le pass sanitaire n’est pas une solution pour Beaucroissant. Les jours de foire, il se crée des embouteillages aux entrées de la foire côté Grenoble et côté Rives. Contrôler les pass sanitaires aurait pour conséquences d’arrêter le flux. Nous créerions un embouteillage qu’il ne nous serait pas possible de résorber comme à l’habitude. D'autant que les gens doivent aussi présenter une pièce d’identité, ce qui rend l’application des contrôles impossible.

Dans quel état d’esprit se trouve la nouvelle équipe municipale qui, sitôt élue, en est à sa quatrième annulation de foire ? 

Nous sommes résignés. Notre mandat sera marqué par ce virus, qui nous met dans la difficulté. Pour accueillir deux foires par an, nous fonctionnons avec une régie municipale et des équipes que nous payons toute l’année. Nous ne pouvons pas mettre ces collaborateurs au chômage même s’il n’y a pas d’activité. C’est la double peine car nous n’avons pas de ressources, nous ne bénéficions pas des aides de l’État et nous sommes obligés de verser un salaire à cinq personnes. Le budget foire représente 170 000 euros de charges inscrites au budget annexe de la commune. A cela s’ajoutent plus de 100 000 euros de charges fixes. Ces charges sont incompressibles. En 2020, le Département et la Région ont versé respectivement 175 000 et 150 000 euros d’aides exceptionnelles qui ont permis de boucher le trou. Mais le trou se creuse de nouveau avec l’annulation de la prochaine foire. D’autant que nous sommes en période électorale et qu’il est difficile d’obtenir des assurances de la part des collectivités. Les foires représentent un budget total de 750 000 euros. En 2019, nous avons beaucoup investi pour la 800e sans gagner d’argent. De plus la sécurité représente un poste de plus en plus important ces dernières années.  La foire rapporte chaque année entre 30 000 et 50 000 euros à la commune. Ce n’est pas grand-chose. Cela permet de faire fonctionner une équipe qui travaille tout au long de l’année sur d’autres missions que les foires et de maintenir un taux d’imposition très bas car le budget annexe abonde au budget principal. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit.

Que disent les exposants ? 

Certains commerces et les restaurateurs voulaient absolument que la foire se tienne. C’est leur fonds de commerce et ils n’ont pas d’autres occasion de faire du chiffre d’affaires. Le secteur du machinisme agricole a trouvé des solutions dans leur réseau professionnel, en organisant des journées portes ouvertes ou en vendant sur internet. Mais cela leur manque de ne pas se retrouver. La foire est une grand-messe, le moment de revoir ses clients ses collègues, un temps de convivialité. Quant aux forains, ils n’ont pas de clients en ligne, donc pas de boulot.

De cette absence, la foire se dessinera-t-elle un nouveau visage ? 
Nous avons envoyé des questionnaires aux exposants en leur demandant leurs préconisations pour les futures foires et pour conserver le lien. Les réponses que nous avons reçues sont encourageantes. Ils seront là en 2022 et compte tenu de son importance, la foire ne va pas disparaître. Nous avons des objectifs de rénovation. Nous souhaitons donner un aspect plus qualitatif et professionnel à la partie agricole, en réorganisant les emplacements par filières, en révisant la signalétique en en réalisant des plants où les visiteurs puissent se retrouver. Nous souhaitons développer des ateliers thématiques, créer une place centrale où puissent se tenir des démonstrations de matériel ou des rencontres professionnelles. Nous travaillons sur des axes d’évolution en conformité avec le souhait des agriculteurs : mise en valeur des circuits courts, de la bio, des marques départementale et régionale en créant des allées spéciales pour producteurs locaux. Mais il convient d’aider ces gens à venir. La clientèle est demandeuse d’évolutions. C’est le cas dans le domaine des énergies renouvelables bien que nous devions être vigilants quant aux prestataires. Nous pouvons avancer sur ces thématiques nouvelles tout en conservant l’ancrage rural et agricole qui est le noyau de Beaucroissant. 

La clientèle évolue-t-elle ?

Les urbains viennent à Beaucroissant car c’est une foire à la campagne qui revêt un côté exotique. Elle attire des publics familiaux, citadins et ruraux, qui viennent voir les animaux. Mais la base de la clientèle est rurale, des gens qui vont traditionnellement à la foire parce qu’ils venaient déjà avec leurs grands-parents et qu’ils perpétuent la tradition. C’est la visite annuelle, un moment festif de joie et de liberté, où l'on retrouve les amis pour passer la journée comme dans un parc d’attraction. Compte tenu de l’immensité de la foire, il est possible de travailler de façon sectorielle pour que tous les publics trouvent leur compte. Nous souhaitons par exemple développer l’allée dédiée à l’horticulture durant la foire de printemps car de nombreux visiteurs ont des jardins et font leurs achats de végétaux. Chacun est content de trouver à la foire un écho à ses préoccupations.

Comment les habitants vivent cette situation ? 
Il y a une dimension plus affective liée à l’annulation de la foire car c’est tirer un trait sur ce qui est un élément de la vie du village. Les Manants le portent dans leur nom. Ce sont ceux qui restent par rapport aux forains, ceux de l’extérieur. A l’annonce de l’annulation de la foire de septembre, j’ai reçu beaucoup de messages de tristesse. Nous nous retrouvons dans une situation inversée où c’est la foire qui crée des soucis à la commune, qui n’arrive pas à financer son personnel et handicape les investissements. Si nous ne trouvons pas une solution avec l’État ou les collectivités, nous serons condamnés à gérer les affaires courantes.

Propos recueillis par Isabelle Doucet