Prospectives
Regards sur la ferme Isère en 2040

Isabelle Brenguier
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L’agriculture iséroise a des atouts. C’est ce qu’ont constaté les élus et les agents de la Chambre d’agriculture de l’Isère en s’interrogeant sur l’avenir de l’agriculture, ses opportunités et ses menaces.

Regards sur la ferme Isère en 2040
Elus et agents de la Chambre d'agriculture de l'Isère ont réfléchi sur l'avenir de l'agriculture iséroise à l'horizon 2040.

Difficile de prédire à quoi ressemblera l’agriculture iséroise dans 20 ans. A défaut, les responsables et agents de la Chambre d’agriculture de l’Isère ont pris un temps de réflexion sur cette question. Ainsi, ils ont imaginé différents scénarios vers lesquels l’activité agricole pourrait progresser, appuyés par un cabinet indépendant spécialisé dans la prospective.
Initié en juin 2023, ce travail a été mené au niveau de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Comme le souligne Aurélien Clavel, vice-président de la Chambre d’agriculture, « qu’il s’agisse des bassins de productions, ou de consommations, il ne s’arrête pas aux frontières des départements ». Il a été présenté aux élus et aux salariés de la chambre d’agriculture du département lors de deux réunions plénières tenues au cours du mois de septembre.
Selon Jean-Claude Darlet, le président de la Chambre d’agriculture de l’Isère, « l’intérêt de ce projet est de pouvoir prendre le temps de se projeter, de ne pas être dans le traitement d’un sujet d’urgence ». Conseiller à la Chambre d’agriculture de l’Isère en charge de ce projet, Thomas Huver considère que « ce travail de prospective sert à prendre du recul par rapport aux problématiques du quotidien et au suivi des filières dans l’objectif de pouvoir mieux agir demain ».
Les salariés et les élus ont apprécié. « Pendant deux heures, cet exercice nous a permis de prendre un peu de hauteur, de façon à réfléchir aux questions et aux enjeux d’avenir », estiment-ils d’une même voix. « En aucun cas, il n’est à prendre comme une vérité, ni comme un engagement. Il s’agit d’hypothèses nous permettant d’identifier les opportunités et les contraintes de l’agriculture iséroise de façon à réfléchir aux orientations à prendre, aux filières à développer », détaille Aurélien Clavel.

Des perspectives

La consommation de viande, l’accès à l’eau, les circuits courts, sont autant de questions lourdes de conséquences pour les agriculteurs, les outils de transformation, les territoires dans leur globalité. Pour Jérôme Crozat, vice-président de la Chambre d’agriculture de l’Isère, « la vraie question est de savoir si notre pays veut jouer la carte de la souveraineté alimentaire demain aussi bien en plaine qu’en montagne. Car les activités de polyculture-élevage et même de grandes cultures quand elles sont maîtrisées, sont sources de valeur ajoutée, bénéfiques à l’ensemble des territoires ».
Le travail réalisé a montré que l’Isère disposait d’atouts intéressants, qui permettront à son agriculture de saisir des opportunités. « Nous avons la chance exceptionnelle d’avoir 1,2 million de consommateurs dans le département, dont une partie dispose d’un pouvoir d’achat relativement élevé. Cela nous donne la possibilité de développer la vente directe, ce n’est pas le cas de tous les départements français. Mais cela demande des efforts aux agriculteurs. Ils doivent être excellents au niveau de la qualité. Pour cela, il faut qu’ils soient bien accompagnés, bien conseillés, sur les plans techniques et économiques.  C’est ce qui fera que les fermes retrouvent de l’argent, puis des perspectives. C’est ce qui permettra aux jeunes d’avoir envie de s’intéresser au métier d’agriculteur et de s’installer », assure Alexandre Escoffier, secrétaire adjoint à la Chambre d’agriculture de l’Isère, élu en charge de ce projet.
Parmi ses atouts, la ferme Isère peut aussi compter sur des structures logistiques, des opérateurs économiques agricoles et agroalimentaires et une grande diversité dans la typologie de ses exploitations, avec de nombreuses filières et productions, plus enclines à résister aux risques (notamment climatiques, mais pas seulement).

Force de proposition

Ce travail a une fois encore mis en exergue les rôles des consommateurs et des politiques. Alexandre Escoffier reconnaît l’effort fait en Isère pour favoriser la consommation locale. « Mais il faut que cela continue. Il faut aussi que les consommateurs se remettent en question et acceptent de consacrer une part plus importante de leur budget à l’alimentation », estime-t-il.
L’équation entre qualité des produits et prix n’est pas facile à résoudre. Le pouvoir d’achat s’impose toujours comme variable. « Pendant 20 ans, nous avons travaillé pour faire monter nos produits en gamme et aujourd’hui, il faudrait faire marche arrière parce que les consommateurs ne considèrent pas l’alimentation comme une priorité ? », s’inquiète un agriculteur. « Il faut revoir nos modèles, penser les exploitations agricoles comme des entreprises, les faire vivre, évoluer, innover, maîtriser autant sa production que ses ventes, se diversifier, travailler sur les marges, sur le collectif. Il faut être très professionnel, de la production à la commercialisation. Et quand cela est possible, se passer des GMS (1) », ajoute-t-il.
L’action des collectivités a aussi été examinée. « Quel rôle peuvent-elles jouer ? » se sont demandés les participants. Ayant la main sur la restauration collective, elles doivent être associées, c’est sûr. Elles sont aussi sources d’opportunités. Mais pour Aurélien Clavel, « il faut rester vigilant. En Isère, en comparaison avec d’autres départements, elles sont déjà bien investies. Il est important que chacun reste à sa place ».
Le responsable conclut : « Incontestablement, la ferme Isère dispose d’atouts. Ils donnent aux agriculteurs des raisons d’être optimistes. Mais il faut qu’ils arrivent à s’en saisir, que ce soient eux qui profitent des opportunités. Il ne faut pas attendre que d’autres -les collectivités, les industriels, les GMS- mettent en place de nouveaux circuits de distribution et que le monde agricole ne fasse que suivre et subir. C’est à lui d’être force de proposition ».

Isabelle Brenguier

(1)   Grandes et moyennes surfaces

« Prospect’Aura 2040 »

« En termes de méthode, le projet « Prospect’Aura » a consisté à collecter la vision de plus de 200 acteurs du monde agricole d’Auvergne-Rhône-Alpes sur l’évolution du secteur ces dernières années ainsi que sur l’évolution de l’agriculture à venir », détaille Thomas Huver.
« Ensuite, nous avons identifié et listé l’ensemble des variables en capacité d’influer de quelque manière que ce soit l’agriculture. Sans être exhaustif, figurent comme variables de nombreux items dans les domaines des entreprises agricoles, des marchés et des filières, des dynamiques territoriales, des politiques publiques, des interactions avec la société… Puis, en prenant en compte différents types d’évolution, nous avons élaboré cinq scénarios d’avenir, tous plausibles, mais pas forcément souhaitables ».

IB

Un argumentaire de communication

Pour Didier Crost, agriculteur à Villette-d’Anthon dans le Nord-Isère et élu à la Chambre d’agriculture de l’Isère, « certains des scénarios présentés font vivement réagir. Ils donnent des perspectives plutôt pessimistes pour la filière végétale, que ce soit en termes de possibilités d’export ou même en termes d’auto-suffisance alimentaire. Avec le climat que l’on a aujourd’hui, les efforts de réduction des intrants ont des conséquences directes sur la production. Les rendements sont moindres, comme la rémunération des agriculteurs. J’attends que suite à ce travail, des réflexions soient portées pour éviter la réalisation de ces projections. Je pense aussi qu’il peut servir d’argumentaire de communication auprès des consommateurs. La population doit être davantage sensibilisée à ces risques-là sans qu’on attende qu’il n’y ait plus rien dans nos assiettes. Car à ce moment, il sera trop tard ! »

IB