Stratégie
La double vie de paysan-boulanger

Marianne Boilève
-

Début octobre, la chambre d'agriculture de l'Isère et l'Adabio ont organisé une matinée porte-ouverte chez François-Xavier Marillat, paysan-boulanger bio à Ornacieux. Tout en faisant visiter ses installations, le jeune exploitant a détaillé ses choix stratégiques et ses contraintes.

La double vie de paysan-boulanger
Paysan-boulanger à Ornacieux, François-Xavier Marillat (au centre de la photo) a expliqué ses choix stratégiques lors d'une journée porte-ouverte organisée par la chambre d'agriculture de l'Isère et l'Adabio.

François-Xavier Marillat aurait presque été étonné de voir tout ce monde dans la cour de sa ferme s'il n'y accueillait sa clientèle chaque samedi. Sauf que ce jour-là, les visiteurs ne sont pas venus acheter du pain, mais comprendre comment il produit et transforme ses céréales bio. Car François-Xavier est paysan-boulanger. Face à lui, une quinzaine d'agriculteurs en grandes cultures, élevage, maraîchage..., les uns venus par curiosité, les autres parce qu'ils ont un projet en tête. « Je réfléchis au passage en bio et voudrais me diversifier », lâche un éleveur laitier des Terres froides déjà reconverti en bovin viande. Céréalier dans le Nord-Isère, Didier Boichon a pris le tournant du bio au printemps dernier pour « se sortir d'affaire ». Comme beaucoup.

Du grain au pain

Quand il a repris la ferme en 2014, via le Répertoire Installation, François-Xavier Marillat n'envisageait pas d'autre voie. Fils d'agriculteur, il a pourtant commencé sa carrière loin de la terre, dans l'industrie. Mais, attiré par l'agriculture et la fabrication du pain depuis l'enfance, il a opté pour une reconversion professionnelle et une installation hors cadre familial à Ornacieux. Après un BPREA en grandes cultures bio, il conjugue désormais ses deux passions. « Je voulais tout produire du grain au pain, mais il n'existe pas vraiment de formation propre au pain, explique le jeune exploitant. J'ai tout appris au cours de mes stages chez des paysans-boulangers. » 

Pas de formation spécifique

En effet, juridiquement, la profession de paysan-boulanger n'existe pas. Et il y a d'autant moins de formation spécifique que le métier d'artisan boulanger, lui, est très encadré. François-Xavier a donc un statut d'agriculteur exerçant « une activité de diversification agricole dans le prolongement de l'acte de production ». Et il a pensé toute son organisation en conséquence, rationnalisant ses investissements et son temps de travail en fonction de son objectif final : fabriquer et vendre (en direct) un « pain authentique, pétri à la main et cuit au feu de bois »

Rotation longue

Côté cultures, il dispose d'une SAU de 18 hectares, toute en fermage, ce qui lui assure une marge en cas d'aléas de production. Un tiers de la surface est cultivé en blé meunier (essentiellement des variétés anciennes avec un rendement de 25 à 30 quintaux à l'hectare) et trois hectares en céréales secondaires (seigle et/ou épeautre), avec un peu de sarrazin et de maïs, le reste étant planté en luzerne. Ces prairies temporaires sont la clé d'une rotation longue et diversifiée, qui permet de combiner apport en azote et gestion du salissement, point souvent délicat en agriculture biologique. « J'essaie de varier les cultures de printemps et d'hiver, car je suis en non labour, précise l'agriculteur. Mais j'ai quelques soucis avec les adventices. »

Paysan stratège

En paysan stratège, François-Xavier Marillat privilégie les achats en Cuma et fait appel à un entrepreneur pour certains travaux, comme le binage ou les moissons. Il vend son fourrage sur pied à des éleveurs (50 euros la tonne), quand il ne l'échange pas contre du fumier. Un parti pris qui lui a permis de limiter ses investissements en matériel agricole et de privilégier l'atelier de transformation (environ 50 000 euros investis dans l'achat du moulin, du matériel de boulangerie, du four à pain, etc.).

Stockage à la ferme

Quant aux céréales récoltées, l'essentiel est stocké pour l'activité boulangère, et l'excédent commercialisé, ce qui assure une rentrée d'argent frais (5 tonnes de blé vendues à 400 euros la tonne). La production de blé - une dizaine de tonnes - est soigneusement triée et stockée à la ferme. Le paysan-boulanger dispose de quatre cellules de stockage (achetées d'occasion), dans lesquelles il peut entreposer jusqu'à 150 quintaux de grain. « C'est important de garder son blé, surtout avec des variétés anciennes, indique-t-il. Il vaut mieux faire maturer les grains et attaquer la mouture vers le mois d'octobre pour panifier plus facilement. » 

Limiter le risque insecte

Encore faut-il le stocker dans de bonnes conditions pour limiter le « risque insecte ». La qualité du tri, la propreté des cellules ainsi que leur ventilation sont déterminantes pour la bonne conservation des grains, surtout en bio. « Une erreur ne se rattrape pas avec du curatif : on ne peut faire que du préventif », rappelle l'agriculteur qui explique qu'avant la moisson, il vide sa grande cellule de 15 tonnes, la nettoie, l'aspire et passe un coup de désherbeur thermique avant d'y stocker la nouvelle récolte. « C'est important de préparer et de traiter les locaux en amont, mais aussi de bien trier la récolte pour stocker un grain propre », insiste-t-il. En bio, c'est la meilleure solution anti-charançon.

Marianne Boilève

Système bio Paysan-boulanger : synthèse technico-économique de la chambre d'agriculture de l'Isère

Du grain au pain

200 kilos de pain par semaine
François-Xavier Marillat consacre une trentaine d'heures chaque semaine à la fabrication du pain.

200 kilos de pain par semaine

La fabrication du pain est l'opération qui prend le plus de temps dans l'organisation hebdomadaire de François-Xavier Marillat. Pour limiter les opérations de manutention, il a installé la meunerie juste au-dessus du fournil. Les sacs de grain sont montés à dos d'homme, mais le paysan-boulanger réfléchit à installer un système de vis sans fin pour acheminer le grain et améliorer le confort de travail. La mouture est réalisée par un moulin électrique à meules de pierre de type Astrié, qui n'écrase pas le grain mais le « déroule », préservant ainsi ses qualités nutritives. D'une grande finesse, la farine complète est ensuite envoyée dans un caisson - la bluterie - où elle est séparée du son (vendu à un éleveur de cochons) avant de descendre par gravité dans des big bag entreposés dans le fournil. A raison de 20 kilos de grain à l'heure, François-Xavier Marillat passe environ quatre heures par semaine à confectionner sa farine. Il réalise aussi des prestations de meunerie pour des collègues, ce qui lui permet d'amortir son outil.

Gamme de pains réduite

La préparation du pain et des fournées sont les temps forts de la semaine. Le paysan-boulanger consacre une trentaine d'heures à produire plus de 200 kilos de pain (300 pendant le premier confinement). Les fournées sont concentrées sur trois jours (55 kilos le mercredi, 105 le vendredi et 55 kilos le samedi) et la gamme volontairement réduite (nature, graines, noix, seigle). Le levain est préparé la veille au soir et la pâte pétrie le lendemain. Une fois découpés, les pâtons sont façonnés et mis au repos. Après une fermentation lente 5 à 6 heures, la première fournée est lancée à 6 heures du matin. Les cuissons s'enchaînent dans le four à bois jusqu'à 13 heures. « Au début, c'est stressant : il faut penser à tout en même temps, reconnaît François-Xavier. Mais avec la pratique, ça devient machinal et c'est plus cool. » 

Commercialisation

Une fois cuit, reste à commercialiser le pain et le livrer. Si une partie de la production est vendue en direct à la ferme le samedi matin, le reste est livré dans deux magasins des environs, une AMAP et sur un marché. Une opération un peu chronophage, mais qui convient bien au paysan-boulanger. En tout cas, on le devine heureux. Car même si ses revenus ont diminué par rapport à sa vie d'avant, il exerce un métier qu'il aime et qui lui permet « s'y retrouver ». Un atout devenu rare en grandes cultures.
MB