Phyto
Producteurs de fruits en situations critiques

Marianne Boilève
-

Lors des Rencontres phytosanitaires organisées par le Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL) et la Direction générale de l’alimentation, les experts ont fait le point sur les substances actives autorisées et les conséquences du retrait de certaines d’entre elles.

Producteurs de fruits en situations critiques
Avec le retrait progressif de certaines substances actives, les arboriculteurs se retrouvent en difficulté pour lutter contre les ravageurs ou traiter des maladies comme la bactériose.

Produire des fruits tient parfois de la gageure. Pris en tenailles entre les aléas climatiques, les injonctions de la société, l’interdiction d’un nombre croissant de substances actives et l’émergence de nouveaux parasites, les arboriculteurs se retrouvent régulièrement confrontés à des impasses. Au point que certains renoncent aux productions les plus délicates et se mettent à arracher leurs arbres, notamment les cerisiers. Pourtant, des solutions existent. Partout en France, producteurs et chercheurs mettent en œuvre des systèmes de protection innovants et des techniques de lutte ou d’application alternatives. C’est ce qu’ont mis en évidence les Rencontres phytosanitaires « tout fruit », organisées par le Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL) et la Direction générale de l’Alimentation (DGAL) les 26 novembre et 15 décembre derniers.

Nouvelles solutions agronomiques

« Depuis quelques campagnes, les problèmes phytosanitaires nécessitent de plus en plus de recherche et d’expérimentation pour essayer de trouver de nouvelles solutions agronomiques et techniques », résume Bertrand Bourgoin, expert en arboriculture fruitière, en introduction de ces deux premiers séminaires 100% digitaux consacrés aux évolutions réglementaires et aux « innovations pour une protection des cultures plus respectueuses de l’environnement ». La résistance aux produits et la restriction des usages nécessitent en effet de trouver des solutions alternatives.

Approbation européenne

Les substances actives étant régulièrement soumises à une autorisation européenne (programmes AIR), les agriculteurs doivent s’adapter en permanence. Sur les 500 substances actives soumises à approbation, plus de 80 ont ainsi disparu du paysage communautaire depuis 2010, dont le chlorpyrifos ou le dimethoate qui ont fait couler beaucoup d’encre en 2018. En 2021, les autorisations d’une quinzaine de produits vont à leur tour expirer, quand d’autres, comme le mancozèbe ou le phosmet, ne seront pas réapprouvés (programme AIR4). Pourquoi ? Soit parce que les substances, comme la bromadiolone, ne sont plus autorisées, soit parce qu’elles ne sont plus « soutenues », les fabricants ayant décidé de ne pas réinvestir dans leur réévaluation, par « manque d’intérêt commercial » ou parce que leur interdiction est pressentie à court terme. 

Stabilité en trompe-l’œil

Avec 468 en 2015 et 475 en 2020, le nombre de substances autorisées semble pourtant ne plus varier beaucoup ces dernières années. « C’est une stabilité en trompe-l’œil, analyse Jean-Claude Malet, expert en usages dits orphelins à la DGAL, car de nombreuses matières actives disparaissent pour être remplacées par des substances à faible risque ou par des substances dont l’efficacité est moindre. »

Situations critiques

Ces évolutions sont scrutées de près par la Commission nationale des usages orphelins (CUO), dont la mission est d’« anticiper les conséquences du devenir des substances actives sur les usages ». La CUO s’appuie pour cela sur les travaux de huit groupes techniques spécialisés (fruits à pépins, noyau, coque, petits fruits, kiwi, olivier, agrumes et un groupe transversal en agriculture biologique), qui font remonter les situations critiques et avancent des solutions. « Certains usages apparaissent très fragiles à court terme », voire « en grandes difficultés », avertit Bertrand Bourgoin. 

Impasses techniques

En 2020, plusieurs espèces fruitières se sont ainsi retrouvées pénalisées du fait d’impasses techniques. C’est le cas notamment du traitement des bactérioses (pour les fruitiers à noyau, les noyers ou les kiwis), de la gestion des ravageurs (pucerons pour les fruits à pépins, à noyau et les petits fruits, les mouches (D. suzukii), les punaises pour les fruits à pépins ou à coque etc.), et du désherbage « en situation critique » surtout pour les petits fruits et les jeunes vergers. 

Fongicides en sursis

L’année 2021 ne s’annonce pas moins compliquée, du fait du retrait de plusieurs produits, dont le mancozèbe (malgré un délai pour l’écoulement des stocks). « Il va y avoir un vrai souci pour la gestion de la tavelure des fruits à pépins, la rouille grillagée du poirier et plusieurs autres maladies », anticipe Jean-Claude Malet. D’autres matières actives, comme le captane ou le dithianon, deux fongicides, sont par ailleurs en sursis. Un contexte peu favorable au développement de projets, reconnaît l’expert, qui relève cependant plusieurs axes de travail intéressants dans la lutte contre les ravageurs, comme le piégeage de masse, les insectes stériles ou la confusion sexuelle. Mais, convient-il, « ce sont des solutions à plus ou moins long terme ».

Marianne Boilève
Substances dans le flou
Le sort de plusieurs substances actives, comme le diathianon ou le phosmet, est très incertain.

Substances dans le flou

Si le statut de certaines substances est clair, le sort de plusieurs autres est encore imprécis. Officiellement interdit depuis 1er janvier, le mancozèbe peut toutefois être commercialisé pendant six mois encore, le temps d’écouler les stocks. Les agriculteurs disposent d’un délai de six mois supplémentaire pour l’utiliser. L’avenir du diathianon ou du phosmet est plus incertain. 

Discussions communautaires

La situation du premier (un fongicide) est « en discussion » et devrait être examinée dans le cadre d’un prochain comité de réapprobation européenne. Celle du phosmet (un insecticide) est plus flou encore : « Il n’est pas encore inscrit au calendrier des prochaines discussions communautaires, mais nous avons un doute sur sa capacité à être réapprouvé, confie Jean-Claude Malet, expert à la DGAL. Il n’y a pas de question à se poser pour 2021, mais c’est un dossier en difficulté aujourd’hui. » Le phosmet a en effet été au cœur de nombreux échanges entre les responsables de la filière cerise et la DGA, qui a refusé une dérogation « compte tenu de sa toxicité ».

Dérogations

Quant à l’homologation de substances alternatives, elle ne va pas forcément de soi : tout dépend de la toxicologie du produit. Pour le Curatio (bouillie sulfocalcique à effet fongicide), la question semble d’actualité. « Une porte est entrebaillée pour une dérogation : l’Anses doit revenir vers la DGAL pour donner son avis », indique l’expert. C’est également le cas de l’insecticide Exirel, utilisé de façon dérogatoire, notamment pour lutter contre D. suzukii dans les vergers de prunier. « Suite à la disparition d’un certain nombre de produits contre les chenilles, comme le carpocapse, le produit est en cours d’évaluation par l’Anses. Nous devrions avoir une réponse au courant de l’année. De ce fait, pour la campagne 2021, nous serons encore sous régime dérogatoire, mais nous espérons obtenir une AMM pour 2022. »

MB