Tous les acteurs de la filière agriculture biologique étaient réunis à la Chambre d’agriculture de l’Isère pour faire un état des lieux du secteur et préparer sa relance.
L’agriculture biologique en Isère n’est pas épargnée par la crise qui traverse toutes les productions, après des années « de croissance à deux chiffres », comme le soulignait Jacqueline Rebuffet, responsable de la commission bio à la Chambre d’agriculture de l’Isère.
C’est la raison pour laquelle la chambre a rassemblé tous les acteurs économiques de la bio « pour connaître leurs attentes », saisir les opportunités de marché, définir des plans d’action.
Ils étaient près d’une quarantaine, fin mars à Moirans, pour partager leurs connaissances et lancer des pistes de stratégie collective.
Des bases saines
Adrien Petit, le directeur du Cluster régional bio, à Valence, rapporte qu’en « magasins spécialisés, les six derniers mois de 2023 ont été positifs (+1 %) après deux années de baisse. La reprise de la croissance se confirme en 2024. L’hémorragie est terminée et nous retrouvons des bases saines ».
Cependant les fermetures de magasins ont été nombreuses depuis 2021. « Ce qui profite aux magasins en place. »
Il observe un retour de la confiance des magasins spécialisés.
Biocoop reste leader sur ce segment avec 40 % de parts de marché.
En revanche, en grande distribution, « la baisse de l’offre se poursuit ». Ce sont les marques nationales généralistes de produits bio qui connaissent le plus fort recul, faute de reconnaissance.
Le réseau des Amap a aussi beaucoup souffert.
La restauration hors domicile a cependant volé au secours de la bio, notamment portée par la loi Egalim en restauration scolaire.
Un autre relais de croissance pourrait être la restauration commerciale, qui présente « un gros potentiel », mais où il reste « beaucoup de travail à faire », selon Adrien Petit.
Les premiers produits bio consommés restent les fruits et légumes, suivis des produits en vrac et des produits pour bébés. Les produits d’hygiène et de soin sont en recul.
Plans d'urgence
Les facteurs explicatifs de cette baisse d’intérêt pour la bio seraient d’une part un message brouillé auprès des consommateurs et d’autre part une spirale inflationniste. Les leviers pour y remédier sont en cours d’être actionnés.
Deux plans d’urgence ont déjà permis d’intervenir auprès de 93 fermes en Isère, notamment en production lait, viande, maraîchère et viticulture.
Un troisième plan de 90 M € est à venir qui délivrera une aide en fonction de la baisse du chiffre d’affaires.
Par ailleurs une campagne de communication sur l’agriculture biologique est en cours d’élaboration.
Enfin, la filière compte sur l’évolution de l’achat de denrées en restauration collective.
Porté par la restauration collective
Tanguy Le Maître, responsable appro et achat à Mangez bio Isère (MBI), observe quant à lui une augmentation des achats de la plateforme de 15 % en 2023.
Cette tendance est portée par la loi Egalim et la restauration collective scolaire. En augmentation de 18 %, elle représente 70 % du chiffre d’affaires de MBI, lequel s’élève à 5,8 M €.
Il souligne « la volonté politique du Département » et le travail réalisé avec les cuisines mutualisées. « Nous avons encore une marge de progression surtout dans les lycées. Mais les directives viennent de la Région et ce n’est pas la même politique, ni les mêmes ambitions. »
Il poursuit : « Nos deuxièmes clients sont les entreprises, les magasins spécialisés, la restauration commerciale et le médico-social, lequel représente un gros potentiel. »
De plus, « les gros clients, comme le CEA ou ST Micro, tirent cette activité en imposant aux sociétés de RHD le bio et le local. En revanche, les magasins sont en retrait, la plateforme MBI entrant directement en concurrence avec la centrale d’achat Biocoop ».
Fromage et légumineuses
Le premier poste d’achat de MBI est la viande (ovin, porc, volaille) auprès d’acteurs isérois ou régionaux.
Il est suivi par les légumes, bruts ou en 4e gamme élaborée par le partenaire de MBI, AB Épluche.
Le secteur beurre-œuf-fromage est en hausse de 22 %, servi « par une grande diversité des apporteurs et des marchés publics forts ».
Le développement des légumineuses et des compotes porte le segment de l’épicerie (+ 22 %), mais celui des fruits reste un peu à la peine (+ 3 %). Tanguy Le Maître rappelle cependant que « certaines cultures ne pourront jamais se faire en Auvergne-Rhône-Alpes ».
Christophe Corbière, chef de projet alimentation et circuits courts au département de l’Isère, attire l’attention des acteurs de la bio sur leur capacité à répondre aux besoins de la restauration scolaire en raison de son rythme.
« Il faut avoir d’autres débouchés pour les périodes de vacances », recommande-t-il.
De la même manière, Jacqueline Rebuffet indique qu’il convient aussi d’avoir « des marchés pour les pièces les plus nobles », certains avant pouvant être déclassés ainsi que le signale le président de l’Adabio.
Équilibre matière
La coopérative Sicarev et sa filiale iséroise Dauphidrom fait figure de poids lourd de la filière viande car elle rassemble 8 000 éleveurs en région. 5 % de ses abattages sont en bio « dans le cadre de partenariats forts », souligne Christophe Chavrot, président de Dauphidrom. Le point fort de la coopérative : l’organisation des débouchés, qu’ils concernent la restauration hors domicile ou les GMS. Le responsable précise qu’il s’agit « surtout de troupeau laitier, transformé en steak haché ». Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, le prix carcasse bio a gagné 1 € / kg, soit un peu moins que le conventionnel.
De taille plus modeste, l’Union des éleveurs bio, Unebio, est spécialisée dans la mise en marché des viandes biologiques. Son représentant régional, Gérard Mongis, constate « une baisse de l’activité GMS compensée par une augmentation de l’activité en restauration collective ». Il ajoute : « le problème est de valoriser les bonnes carcasses » car « 80 % de la viande bio est sous forme transformée ». Unebio travaille en partenariat avec MBI.
À l’échelle locale, Les Salaisons de Chartreuse sont aussi confrontées à l’équilibre matière. Leur dirigeant, Cédric Forel, souligne les difficultés « à travailler sur du porc local ». Le territoire est maillé de petits élevages qui travaillent de façon indépendante et dont les coûts de production sont loin de ceux des grandes structures. Il ajoute à cela les problèmes d’équilibre matière, de valorisation des carcasses et de main-d’œuvre. Pour trouver un équilibre économique, l’entreprise, qui emploie trois salariés à Entre-deux-Guiers, développe le travail à façon d’une part et collabore avec MBI d’autre part.
Communiquer
Enfin, dans la filière fruits et légumes, l’offre et la demande en bio peinent toujours à s’ajuster. Les prix demeurent bas et la production n’est pas toujours au rendez-vous.
« Nous manquons de carottes à la fin de l’hiver et au début de l’été, ajoute Tanguy Le Maître. Il y a une problématique de conservation en Isère. La période de césure est compliquée. »
Face à ces questionnements, les participants ont proposé une série d’actions : construction ou consolidation de filières, sensibilisation à l’éducation alimentaire, organisation d’événements dans les territoires, veille sur les initiatives intéressantes en France, rencontre avec les prestataires de la restauration collective ou encore, pénétration du marché des grandes entreprises avec le levier de la loi Egalim.
D’une seule voix, ils reconnaissent la nécessité de communiquer en direction du grand public sur les produits bio.
Isabelle Doucet
La production bio en Isère
30 744 ha certifiés.
932 fermes (19 % des exploitations).
Principales productions : légumes, fruits, grandes cultures, fourrages, PPAM, bovins viande, lait, apiculture, ovins viande.
23 fermes ont été décertifiées en 2023, contre une dizaine les années auparavant, et 21 ont arrêté leur activité.
56 % des installations (avec DJA) sont en bio en 2023, contre 61 % en 2019.
Les principales installations en AB se font en maraîchage.
(Source Chambre d'agriculture de l'Isère)
Tenir la filière bio
Le secteur laitier est sans doute celui qui a le plus souffert de la contraction de la demande en produits bio.
La situation de la production laitière en agriculture biologique est tendue depuis quelques mois.
En 2023, Biolait a collecté 270 millions de litres, en recul de 10 % comparé à 2022.
« Changement climatique, contraction des intrants, réduction des charges et donc baisse de la production, développement de la monotraite, déconversions » : Daniel Boiteux, délégué régional, explique les raisons pour lesquelles la production de lait bio est en perte de vitesse. Il rappelle qu’il y avait 400 producteurs de lait (bio et conventionnel) en Isère en 2022 « et 200 annoncés en 2030 ».
Biolait collecte une quinzaine de producteurs, notamment dans le Trièves et le Nord-Isère. Les perspectives sont donc « moyennes » et les baisses de collecte en bio encore effectives en 2024.
Le marché se tient par le fait que l’offre en lait bio est limitée. Le délégué observe « une correction après un fort développement ».
Biolait cherche de nouveaux segments de valorisation mais pointe un défaut de communication sur le cahier des charges de la filière bio.
Maintenir un différentiel de prix
La coopérative Sodiaal observe les mêmes contradictions sur les prix du lait bio entre 2020 et 2022.
La demande n’est plus au rendez-vous. La collecte de lait bio s’établit à 60 millions de litres en 2022 sur 522 millions de litres au total pour la région Sud-Est, avec un déclassement de 20 % du lait bio.
La coopérative laitière, qui dispose de deux usines, à Saint-Etienne et Vienne, oriente cette dernière vers la production de petites séries.
Elle a aussi engagé un partenariat avec la marque C’est Qui Le Patron ? ! (CQLP) sur le beurre bio, qui permet de valoriser le prix du lait à hauteur de 565 € / 1 000 litres.
La coopérative souhaite retrouver un différentiel significatif (celui de 120 € de 2020 est tombé à 50 € en 2023) entre le prix du conventionnel et celui du bio.
Conserver les producteurs bio
À l’échelle du territoire, la coopérative Vercors lait observe une collecte stable sur le lait en agriculture biologique et en croissance sur le conventionnel. « Notre objectif est de conserver ceux qui livrent en bio », explique Paul Faure, le président de Vercors lait.
Le fromage bleu du Vercors-Sassenage connaît une bonne trajectoire en bio, « le seul endroit où il y a une marge », reprend le président. C’est pourquoi la coopérative fait un effort pour le mettre en avant dans ses magasins, chez les grossistes et en GMS.
En 2023, Vercors lait a réussi à maintenir un différentiel de prix de 100 € / 1 000 l entre le bio et le conventionnel.
Selon le Cniel, le niveau de consommation du lait bio en France est retombé en 2023 au niveau de 2018.
Isabelle Doucet