Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA, appelle les gouvernants à « redonner à l’agriculture un ancrage stratégique ». Interview.
Dans quel état d’esprit sont les agriculteurs en cette fin du mois de septembre ?
Luc Smessaert : « Ils sont dans l’attente des promesses qui ont été dites, mais qui n’ont pas été tenues. Au plus fort des manifestations en janvier et février dernier, nous avions eu des assurances de la part du gouvernement de Gabriel Attal. Pas moins de 62 engagements avaient été pris parmi lesquels le renforcement des contrôles de la loi Égalim, la mise en place d’une mission parlementaire sur cette loi, un plan d’aide pour la trésorerie, notamment des petites exploitations, un plan pour l’élevage, l’instauration d’un contrôle annuel unique et bien d’autres mesures de simplification. Le projet de loi d’orientation agricole avait été adopté fin mai en première lecture. Nos espoirs étaient grands. »
La dissolution a mis un coup d’arrêt et rebattu totalement les cartes…
L. S. : « Elle a fait l’effet d’une douche froide, nos espoirs se sont, un temps, envolés, mais il en faut plus pour nous décourager. Nous avons pris nos responsabilités et devant une vacance du pouvoir qui paraissait s’éterniser, nous avons travaillé, avec Jeunes agriculteurs, sur un texte appelé « Loi Entreprendre en agriculture », qui reprend les promesses de l’exécutif et qui entend donner ce qui manque aujourd’hui à l’agriculture, c’est-à-dire une stratégie et de la cohérence. »
Quel est l’esprit de cette loi « Entreprendre en agriculture » ?
L. S. :« Cette loi doit permettre à tous les agriculteurs de retrouver de la fierté, de la dignité et faire en sorte que ce métier, quelle que soit la production, redevienne attractif. Il doit aussi redonner aux exploitants la capacité de produire en France pour renforcer notre souveraineté alimentaire, créer de la richesse et de nourrir le pays, l’Europe et une partie du reste du monde, encourager le renouvellement des générations etc. Ce texte doit transformer le changement de logiciel que les agriculteurs ont déjà pris à leur compte mais qui tarde encore à irriguer les esprits et les actes de nos gouvernants. »
Pensez-vous que le prochain gouvernement le reprendra à son compte ?
L. S. : « A-t-il vraiment le choix ? Regardez la Chine et la Russie ou encore l’Inde et le Brésil. Chacun de ces pays a fait de l’énergie et de l’agriculture deux armes éminemment stratégiques, sans pour autant brandir la souveraineté à tout bout de champ. Ils le font sans le dire. Le gouvernement serait bien inspiré de prendre le même chemin. Des premiers gages devront être donnés à l’occasion des débats au Parlement sur deux textes importants : le Projet de loi de Finances 2025 et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Nous attendons notamment des avancées réelles sur la retraite calculée sur les 25 meilleures années applicable dès le 1er janvier 2026 ; la déduction extra-comptable (ou défiscalisation) de 15 000 euros pour les éleveurs ; l’exonération de la taxe sur le foncier non bâti (TFNB) à 30 % voire 50 % ; la sacralisation de la dotation pour épargne de précaution. D’une manière générale nous souhaitons retrouver des éléments du projet de loi adopté fin mai et des recommandations que nous avons émises. Nous ne sommes pas maîtres du jeu. Il reviendra aux Parlementaires de trancher. Il serait opportun que le gouvernement déclare l’urgence sur ce texte car l’agriculture française ne tiendra pas longtemps au rythme auquel elle est soumise. »
Pour appuyer ce texte, seriez-vous prêt à redescendre dans la rue comme à l’automne 2023 et au début de l’année 2024 ?
L. S. : « Manifester n’est pas une fin en soi et nous avons toujours agi en responsabilité. Nous demandons de redevenir pleinement acteur de notre destin pour le maintien d’un tissu économique en milieu rural, pour le développement de nos campagnes, la préservation de la biodiversité, la bonne gestion de l’eau... Nous souhaitons que les pouvoirs publics nous donnent les moyens de produire du blé, de la viande, du vin, des fruits, des légumes, du sucre, du miel, de l’huile…, dans un cadre réglementaire moins contraignant. L’arrêt des surtranspositions est à ce titre une condition sine qua non. De même, la notion d’intérêt général majeur pour l’agriculture ou encore le droit à l’erreur doivent être inscrits dans la loi. Le texte est sur le bureau du Premier ministre. Il sera sur celui du ministre de l’Agriculture et tous les parlementaires l’ont déjà reçu ! Si nous devions ne pas être écoutés ou si nous nourrissions le sentiment que nos gouvernants se moquent de nous, je pense que nous pourrions passer à l’action. La situation est tendue, surtout après la mauvaise année que nous venons de passer sur le plan économique. La Loi Entreprendre en agriculture est notre fil rouge, notre leitmotiv. C’est un texte fondateur. À nos gouvernants de le nourrir, de l’amplifier et de redonner ainsi à l’agriculture un ancrage stratégique qu’il n’aurait jamais dû perdre. »
Propos recueillis par Christophe Soulard