Site de Coiranne
A Bourgoin-Jallieu, sur l'A43, les agriculteurs veulent faire durer le blocage

Isabelle Brenguier
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Depuis vendredi 26 janvier, des agriculteurs du nord-Isère bloquent l’A43 entre Grenoble et Lyon. Les annonces du gouvernement ne leur ont pas donné envie de partir.

A Bourgoin-Jallieu, sur l'A43, les agriculteurs veulent faire durer le blocage
Vendredi 26 janvier, les agriculteurs du nord-Isère étaient plus de 300 à venir manifester leur colère dans une ambiance très bon enfant.

Au petit matin, samedi 27 janvier, sur le site du blocage de Coiranne sur l’A43, au niveau de Bourgoin-Jallieu, l’ambiance est détendue. Mais les manifestants qui ont passé la nuit après s’être installés la veille au soir, restent déterminés. Ils ne sont pas prêts à partir. Les annonces faites par Gabriel Attal, le Premier ministre, ne les ont pas convaincus.

Unis

Ils tentent de se réchauffer auprès des feux, car le brouillard étant tombé, il fait plus froid que pendant la nuit. Peut-être que la fatigue joue aussi… Ils ne sont plus aussi nombreux que la veille. Mais ils sont bien décidés à rester.
Car ils en veulent plus que ce qui leur a été détaillé. « On est sur un point stratégique. On va tenir tant qu’on ne nous annoncera pas des mesures qui aideront vraiment nos exploitations. Si rien n’est fait, il y en a beaucoup qui vont mettre la clé sous la porte d’ici peu. Le monde agricole est vraiment dans la galère. Il faut que cela change », avance Sébastien Pérouse, producteur de céréales à Vasselin, un des agriculteurs à l’origine du blocage, avec Adrien Muet, installé en polyculture-élevage à Succieu.
« Cela faisait plusieurs jours que les agriculteurs du nord-Isère voulaient participer à la manifestation générale. C'est pourquoi, nous avons créé des groupes sur les réseaux sociaux et avons lancé cette initiative. Car en discutant, nous nous sommes rendus compte qu'on pensait tous la même chose et qu'il fallait agir », précise l'agriculteur.
Aussi, quand le mouvement a été lancé, ils sont tous venus. De leur propre volonté. Sans banderole syndicale. Sans vouloir dégrader quoi que ce soit. Unis. Simplement pour exprimer leur ras le bol. « Ras le bol de la superposition des normes. Ras le bol de l’administratif. Ras le bol de devoir se justifier sur tout ce qu’on fait. Ras le bol des contrôles. Ras le bol de ne pas arriver à joindre les deux bouts », indiquent-ils tous d’une même voix.

Plus de 300

S’ils n’ont pas forcément tous les mêmes revendications, ils veulent juste vivre de leur travail, de la vente de leurs produits. Ils en ont assez de devoir produire des produits qui doivent respecter des normes plus contraignantes que celles d’autres pays, sans qu’ils soient mieux payés, et en voyant ensuite arriver ces produits sur le marché français, sans que cela ne pose de problème.
« Les agriculteurs ont une capacité à encaisser beaucoup de choses. Mais à un moment donné, trop c’est trop, nous ne pouvons plus supporter. Il faut que cela sorte », soutient Sylvain Juppet, agriculteur à Morestel.

« Hier soir, et pendant une grande partie de la nuit, nous étions plus de 300. Il y avait beaucoup, beaucoup de jeunes. Il y avait aussi plus de 100 tracteurs. Nous ne nous attendions pas à ce qu’il y ait autant de monde. Il y avait de la musique. L’ambiance était festive, bon enfant, familiale… Tout le monde était solidaire », déclare André Coppard, agriculteur à la retraite.
Il y avait des agriculteurs, leurs femmes, leurs enfants, mais aussi des salariés agricoles, des stagiaires, des étudiants en agriculture. Et tous le soulignent : « nous avons un soutien très important de la population. Des messages, des klaxons, des pouces levés. Cela fait chaud au cœur », reconnaissent-ils.
« Cela fait au chaud au cœur, mais cela ne fait pas remonter les trésoreries de nos exploitations », nuance, pragmatique, Sébastien Pérouse.
Pour autant, depuis le vendredi soir qu'ils se sont installés, ils ne cessent de recevoir des dons et des denrées alimentaires d'entreprises et de particuliers du monde agricole -mais pas uniquement-, pour les accompagner dans leur blocage. « C'est un vrai soutien et cela compte beaucoup pour nous », rapporte encore Adrien Muet.

Annonces insuffisantes

Sur le blocage, les annonces du Premier ministre alimentent les conversations. En substance, pour les manifestants, elles représentent des avancées, mais elles ne sont clairement pas suffisantes pour redonner des perspectives.
« Sur le GNR, il fallait commencer par là. Sur les contrôles, même s’il y en a qu’un par an qui sera réalisé physiquement par un contrôleur, on reste contrôlé en permanence par satellite. Cela ne nous satisfait donc pas. Et on ne veut plus de contrôleurs armés. Sur l’environnement, ce n’est pas concluant non plus, il en manque beaucoup. Et sur Egalim, cela fait trois ans que des contrôles doivent être réalisés pour faire respecter la loi auprès des industriels et des GMS. C’est quand même incroyable de devoir faire de tels blocages pour que cela soit effectif. Nous attendons de voir… », analysent-ils.
Damien Michallet, sénateur de l'Isère, est aussi venu soutenir les agriculteurs dans leur mobilisation et leur assurer qu'il porterait leurs paroles au sein de l'hémicycle. « Il y a une absolue nécessaité à revoir les normes », reconnait-il.
Les agriculteurs en veulent donc plus et reconnaissent aussi se demander si les annonces seront suivis d’actes. « Est-ce que ces paroles seront tenues ? » Ils n’en sont pas certains.

Isabelle Brenguier

 

L’hésitation des jeunes qui veulent juste gagner leur vie
Alban Guillaud et Remy Chapelon veulent juste vivre de leur métier.

L’hésitation des jeunes qui veulent juste gagner leur vie

Ils sont jeunes et déjà très responsables. Passionnés par l’agriculture, ils ont toujours rêvé de s’installer. Mais la conjoncture leur fait se poser des questions.

Alban Guillaud a 25 ans. Originaire de Chèzeneuve, il est salarié chez un agriculteur en polyculture-élevage à Maubec. Il veut s’installer. Mais quand il dresse la liste des pour et des contre, il doute. « J’ai une femme, une fille, une maison. Quand on est agriculteur, on a moins de perspectives que lorsqu’on est salarié. L’agriculture est le seul secteur d’activité qui permet de vendre ses produits sans savoir à quel prix. Aujourd’hui, je peux presque dire que je fais toutes les tâches les plus intéressantes du métier d’agriculteur quand mon patron doit gérer toutes les contraintes. Si je m’installe, il faudra que je travaille plus. Et je gagnerai moins. Ça fait réfléchir. Pourtant j’adore l’agriculture. C’est un métier de passion que j’ai vraiment envie d’exercer. Je n’ai pas peur du travail, quand je suis en vacances, je m’ennuie… Je ne cherche pas à gagner 10 000 euros par mois, mais je veux gagner ma vie », explique-t-il.

Agé de 23 ans, Remy Chapelon s’est installé en août 2023 dans une ferme céréalière de 130 hectares à Saint-Alban-de-Roche, après avoir été diplômé d’un Bac pro Agro-équipement à la MFR de Mozas. Mais il n’arrive pas à vivre de son exploitation. Aussi continue-t-il de travailler à temps plein chez l’agriculteur qui l’a accueilli pour tous ses stages. « La journée, je travaille chez mon patron, et le soir et le week-end chez moi », avoue-t-il. « Depuis tout petit, je veux faire ce métier. Pour le moment, ça va, je suis jeune, je tiens. Mais je ne tiendrai pas comme cela toute ma vie. Je ne veux pas faire fortune. Je veux juste vivre de mon métier sans être tout le temps dans la rouge ».

IB

Les bio aussi en ont marre

De la déception. De la colère. De la frustration. Tels sont les sentiments des agriculteurs qui ont converti leur exploitation en bio, et qui aujourd’hui souffrent aussi, se sentant abandonnés du gouvernement et des consommateurs.
Nicolas Roybin, éleveur laitier à Trept, a franchi le pas en bio, « pour avoir une meilleure rémunération, parce que son système de production s’y prêtait, pour répondre à la demande sociétale et à celle de son ancienne coopérative Sodiaal ». Il estime « s’en sortir », puisqu’il arrive à payer ses charges, le salaire de ses trois employés qui l’aident à s’occuper de ses 105 vaches laitières et de ses 380 hectares, et le sien. Mais à quel prix. L’administratif (cela l’occupe chaque jour pendant deux heures), les normes, il en a marre. Il indique par exemple, être dans l’attente de 25 000 euros de la Pac, qui auraient déjà dû lui être versés (son dossier est en ordre selon les agents de la DDT), mais il n’a encore rien reçu.
Quant à Francis Badin, éleveur de vaches allaitantes, producteur de céréales, installés à Maubec, il vient tout juste de terminer sa conversion. Et regrette déjà. « J’ai suivi tout le parcours pour que mon exploitation soit en bio. J’ai payé pour me faire contrôler et labelliser. Et au final, je ne suis pas mieux payé qu’en conventionnel », explique-t-il.

IB