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Les champignons agresseurs du noyer démasqués

Isabelle Doucet
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Botryosphaeria n’est pas le seul champignon responsable du dépérissement des noyers, mais il en est un acteur important. Une étude mesure son agressivité.

Les champignons agresseurs du noyer démasqués
Les noix sont principalement contaminées par botryosphaeria ; dipaorthe ; fusarium et colletotrichum.

Plusieurs types de champignons sont responsables du dépérissement des noyers en France.
Mais une espèce, botryosphaeria, a plus particulièrement attiré l’attention des scientifiques et donné matière à une étude baptisée Caribou (1).
Financés à hauteur de 100 000 euros par le ministère de l’Agriculture, les travaux réunissent un consortium composé des stations expérimentales de la Senura (38) et de Creysse (47), du CTIFL (2) et du laboratoire universitaire breton Lubem (3).
Au terme de 18 mois de recherche technologique, les scientifiques en savent déjà plus sur les agressions fongiques, les familles de champignons responsables des nécroses sur fruits et rameaux et leur comportement.
Les études peuvent désormais passer à une seconde étape, qui consiste à élaborer des méthodes de lutte en biocontrôle.

Fruits et bois nécrosés

Le programme Caribou a débuté en 2020 et s’est achevé avant l’été 2022.
Le constat de départ est que l’augmentation de la consommation de fruits à coque dans le monde s’accompagne naturellement d’un accroissement des vergers.
Mais depuis les années 2000, les Américains ont commencé à observer la présence de chancres du bois, considérés comme un frein au développement de la filière.
Une des responsables de cette maladie du bois est la famille des champignons botryosphaeria.

Etude symptomatologique

Pour avoir une idée précise de cette pression fongique, les chercheurs ont mené une étude symptomatologique dans des parcelles expérimentales des deux grands bassins de production : Sud-Ouest – sur variétés serr et franquette — et Sud-Est, sur franquette uniquement.
Une étude de pathogénicité a également été conduite pour vérifier que le champignon est bien à la source des dégâts relevés sur fruits et sur bois.
Les symptômes retenus sont les branches asséchantes, les nécroses remontant sur les boules de rameaux, les fruits nécrosés et/ou momifiés et les jeunes brindilles desséchées.
L’échantillonnage s’est déroulé en quatre collectes opérées en septembre 2020, mai et août 2021.

Les responsables sont…

Le CTIFL a procédé aux analyses des échantillons.
L’enjeu : en raison de la diversité des champignons, parvenir à les isoler pour les identifier.
C’est l’ADN qui a parlé. Sur près de 2 000 « isolats fongiques », c’est-à-dire le matériel végétal prélevé, 60 % concernent six espèces : neofusicoccum parvum ; botryosphaeria dothidea ; dipaorthe eres ; fusarium juglandicola ; colletotrichum godetiam et colletotrichum finorinae.
Quels que soient les bassins et les campagnes de prélèvements, ces espèces sont toujours présentes sur le matériel végétal abîmé.


Cependant, elles varient d’une année à l’autre. Par exemple, en 2020 fusarium est beaucoup plus présent qu’en 2021, année où c’est le colletotrichum qui exerce la plus forte pression fongique.
Les scientifiques observent en outre que la « variabilité est plus importante entre les parcelles qu’entre les bassins ».
Ce que renseigne également l’étude, c’est que les six espèces sont responsables du dépérissement avec une exception d’importance : colletotrichum est davantage présent sur des rameaux sains.
En conclusion, les noix sont principalement contaminées par botryosphaeria ; dipaorthe ; fusarium et colletotrichum.
Les rameaux sont principalement infectés par dipaorthe, fusarium « et dans une moindre mesure par botryosphaeria », indiquent les scientifiques.
Les pistes de recherche viseront donc à déterminer s’il y a un lien entre les conditions climatiques et le développement des espèces ; s’il y a des interactions positives (développement des champignons) ou négatives (ralentissement de la progression de la maladie) entre les espèces et quelle est la responsabilité du colletotrichum.

Une espèce agressive

Le laboratoire Lubem s’est focalisé sur l’espèce botryosphaeria pour en étudier sa pathogénicité, voire différencier l’agressivité entre les espèces de cette même famille (neofusicoccum parvum et botryosphaeria dothidea).
Après inoculation de rameaux sous serre et en vergers, les premières conclusions sont que les infections des deux espèces sont significatives.
« Botryosphaeria provoque moins de nécroses que neofusicoccum. On observe un comportement différent des deux espèces. Neofusicoccum a une agressivité plus rapide », constatent les scientifiques.
Ces résultats obtenus ont été confirmés par une nouvelle batterie de tests de pathogénicité réalisée dans les stations expérimentales de Creysse et de la Senura.
Une chose est certaine, toute blessure de l’arbre « est une porte d’entrée pour le développement des champignons ».
Ces résultats seront présentés au IXe symposium International de la Noix et de la Noix de Pécan en juin 2023 à Grenoble.

Isabelle Doucet

(1) Caribou ou Développement d’outils innovants de caractérisation et de détection des botryosphaeriaceae responsables dépérissement du noyer.
(2) CTIFL : Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes
(3) Lubem : Laboratoire universitaire de biodiversité et d’écologie microbienne de l’Université de Bretagne occidentale

Magic après Caribou

Magic après Caribou

Place à la recherche sur les solutions de biocontrôle.

Faisant suite à l’étude Caribou, le projet de recherche Magic (1) doit permettre de bâtir des pistes pour la gestion des maladies fongiques sur noyers par des solutions de biocontrôle.
Marie-Neige Hébrard, ingénieure en expérimentation à la station de Creysse, en brosse les objectifs : consolider l’identification et la caractérisation des champignons responsables des dégâts sur noyers ; comprendre les cycles biologiques des champignons pour mieux les combattre ; élaborer des méthodes de protection par biocontrôle et les tester et enfin, diffuser les résultats obtenus.
Magic mobilise les mêmes partenaires scientifiques que Caribou.

La sensibilité dans le temps

La première étape consistera à renouveler les prélèvements dans les deux bassins de production selon un protocole identique à Caribou.
D’autres variétés pourraient être testées : possiblement fernor dans le Sud-Est et chandler dans le Sud-Ouest.
L’étude devra déterminer la sensibilité des noyers après observation du comportement des champignons d’une année sur l’autre. Autrement dit une méthode de piégeage apportera des informations pour cerner des fenêtres de tir.
La « dynamique temporelle des émissions de spores » des champignons sera mesurée à l’aide de lames placées dans les vergers et en fonction des conditions climatiques. Il s’agira par exemple de vérifier si la pluviométrie est un facteur aggravant.

Freiner la maladie

Une autre partie de l’étude reposera sur la recherche, au moyen d’analyses informatiques (in silico), « d’espèces potentiellement associées à une limitation du développement des pourritures ».
Elle consiste à dénicher les « champignons antagonistes », c’est-à-dire ceux qui freinent le développement des espèces pathogènes.
Ces espèces subiront une batterie de tests d’efficacité, d’abord en laboratoire par application et observation de l’effet de la solution de biocontrôle sur des fruits prélevés. Puis dans les vergers afin d’évaluer l’action du produit.
Une fois identifiées, l'objectif est de rajouter ces espèces fongiques à la liste des produits de biocontrôle.

Diffusion de la connaissance

La diffusion des résultats s’opérera à plusieurs niveaux.
D’un point de vue scientifique, Magic viendra enrichir le Guide pour la reconnaissance des champignons sur milieu de culture.
Des fiches techniques sur les champignons seront par ailleurs éditées.
Les résultats alimenteront aussi la base de données diagno-noix.
Enfin, les conclusions des études déboucheront sur une formation sur la reconnaissance des maladies fongiques destinée aux producteurs et aux techniciens.

ID

(1) Magic : Gestion des maladies fongiques du noyer par des solutions de biocontrôle.

Le dépérissement des noyers à l’étude

Une vaste étude sur les causes du dépérissement pour les filières noix et châtaignes attend sa validation pour être lancée en 2023.
Elle ferait suite à tous les travaux mis en place ces dernières années par les différents organismes (thèse à l’Inrae, stations de Creysse et de la Senura, CNPF au titre de l’adaptation des pratiques sur fruitiers, Chambre d’agriculture de l’Ardèche).
Un Observatoire national et un Groupe national du dépérissement ont déjà été mis en place. Maladies, sol, nutrition, stress hydrique, conditions climatiques seraient passés au crible.

Gare au broyage !

Des travaux de thèse sur le broyage du bois de taille des noyers font apparaître le caractère controversé de cette pratique en raison de la forte dispersion des spores.
« Il convient plutôt d’exporter les branches que de les broyer », recommandent les scientifiques.
En revanche, si le verger est sain, qu’il n’y a pas de symptômes (les coteaux sont souvent moins exposés à la maladie car plus ventés), donc sans pression fongique, le broyage n’aura pas d’impact.